"Les deux gouvernements de la Troïka sont tombés à cause de ceux qui ne comprennent pas l'Islam et qui se sont rendu coupables d'actes terroristes", a assuré Rached Ghannouchi lors d'une interview accordée ce jeudi 13 mars à Mosaïque FM.
"Hamadi Jebali a démissionné à l'issue de la crise ayant suivi l'assassinat de Chokri Belaïd et Ali Larayedh après l'assassinat de Mohamed Brahmi. Ce qui contredit clairement ceux qui disent qu'Ennahdha est complice de ces actes. Nous sommes les premiers à avoir fait les frais du terrorisme et des salafistes, car ces deux gouvernements sont tombés à la suite de leurs actes", a ajouté le leader du mouvement islamiste Ennahdha.
Ennahdha et les enfants salafistes
Rached Ghannouchi est revenu longuement sur les rapports entre son mouvement et les salafistes, estimant que le jugement au sujet de ceux qui étaient ses "enfants" a changé lorsque ces derniers ont pris les armes.
"Pour vous prouver que nous ne sommes pas de connivence avec les salafistes, je pourrais vous donner le nombre de prisonniers ou le nombre de tués, mais nous ne sommes pas fiers de cela, car après tout ce sont des Tunisiens. Nous ne sommes pas fiers du fait que 1400 personnes aient été emprisonnées, nous ne sommes pas fiers du fait que 40 ou 50 personnes, que ce soit dans les rangs de l'armée et de ces jeunes-là (d'idéologie salafiste) aient été tués. Mais ces derniers sont responsables de ce qui leur arrive à présent", a indiqué Ghannouchi.
"Au début ils faisaient simplement des actions humanitaires ou de prosélytisme, nous n'étions pas d'accord avec eux, mais c'était leur droit. Une fois qu'ils ont porté les armes contre les Tunisiens, notre jugement a changé", a-t-il affirmé.
"L'Etat n'a pas à s'immiscer dans les opinions et la pensée des citoyen, il ne doit agir que lorsque les gens se rendent coupables d'actes de violence. Pendant le gouvernement d'Ali Larayedh, le meeting de Kairouan organisé par Ansar Al Charia a été interdit, car les actions prosélytes de ce groupe se traduisaient par la suite par les armes".
"Mais il ne faut pas non plus mettre tous les musulmans pieux dans le même sac et les considérer tous comme des terroristes. Il faut faire la différence entre les extrémistes et les autres, quelle que soit leur idéologie", a nuancé le président d'Ennahdha.
"Nous avons eu du mal à trouver un mufti"
"Avant de combattre les conséquences de l'extrémisme religieux, il faut en combattre les causes et la première de ces causes est l'absence de référent religieux", a déclaré Ghannouchi.
"Où sont les savants religieux aujourd'hui en Tunisie? L'enseignement religieux n'est plus ce qu'il était. Le jour où nous devions nommer un nouveau mufti, nous avons dû chercher longtemps celui qui pouvait prétendre au poste", a-t-il déploré. "Donc vous en avez choisi un qui était au RCD", a rétorqué l'animateur de l'émission. "Donnez-nous une alternative", a répondu Rached Ghannouchi, amusé.
"Nous sommes contre toute forme de sanction collective"
Commentant les propos du député Ennahdha Néjib Mrad, contre un certain nombre d'hommes d'affaires que ce dernier accusait de corruption, Rached Ghannouchi a affirmé que ces propos n'engageaient que leur auteur et qu'Ennahdha avait publié un communiqué pour les dénoncer. Le leader d'Ennahdha a salué en ce sens l'effort des hommes d'affaires dans l'amélioration de la situation économique et rejeté toute forme de sanction collective.
"Aujourd'hui l'Etat n'a plus la possibilité d'employer de nouvelles personnes, qui va les employer? Les hommes d'affaires. Si quelques hommes d'affaires ont des choses à se reprocher, c'est à la justice de s'en charger, les autres doivent avoir les mêmes droits que n'importe quel citoyen, notamment le droit de voyager. Il faut en finir avec les sanctions collectives".
Rached Ghannouchi a ensuite réaffirmé que son parti rejetait la loi d'immunisation de la révolution, pour les mêmes raisons.
"Si l'article 15 (du décret-loi 35/2011 relatif à l'élection de l'Assemblée nationale constituante et portant sur l'exclusion de "collaborateurs" de l'ancien régime) est proposé au vote en plénière, Ennahdha votera contre", a-t-il assuré.
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Les Frères musulmans et l'Arabie saoudite
Interrogé sur la récente décision de l'Arabie saoudite de classer les Frères musulmans comme organisation terroriste, Rached Ghannouchi a estimé que le mouvement Ennahdha "n'était pas concerné".
"Nous ne voulons pas nous mêler des affaires des autres pays, nous sommes un petit pays et nous voudrions avoir de bons rapports avec tous les Etats à travers le monde. Nous espérons pour les pays du Golfe et pour les pays arabes en général qu'ils aient plus que de bonnes relations, qu'ils soient unis. Nous voyons des unions se former partout dans le monde, sauf chez les arabes, pourquoi? Mais encore une fois, nous ne nous mêlons pas des affaires des autres pays", a-t-il insisté.
Rétablir l'ordre, pas la dictature
Rached Ghannouchi a enfin estimé que le train tunisien était à présent sur les rails, contrairement aux "trains qui déraillent à droite et à gauche". "Les Tunisiens ont de quoi être fiers", s'est-il félicité.
Pour le président d'Ennahdha, il s'agit à présent de rétablir l'ordre et le prestige de l'Etat, tombés avec la dictature, à l'issue de la révolution.
"Nous ne voulons pas restaurer une dictature mais nous voulons restaurer l'ordre. La liberté doit être responsable et encadrée par la loi", a-t-il déclaré.
"La Tunisie ne vit pas une démocratie normale, mais une démocratie transitionnelle. La prochaine période sera également une période de transition et nous aurons besoin d'un gouvernement d'union nationale regroupant la grande majorité des partis politiques représentés à l'Assemblée", a-t-il conclu.
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