Nous sommes toujours en compagnie de Fawzi Mellah qui nous raconte l'aventure d'Elyssa, la reine vagabonde.
Le premier panneau se termine par une escale à Chypre qui constitue l'objet du second panneau de notre triptique. Nous voilà dans l'île de Chypre pour nous réjouir de ses merveilles et nous laisser aller au rêve. Pour une princesse phénicienne, l'île de Chypre n'est point une contrée inconnue. Les marins de Tyr et des autres cités cananéennes la connaissaient depuis toujours. Ils y avaient établi une fondation, Kition, bien connue par les auteurs des écrits bibliques et les archéologues qui ont dégagé les vestiges.
Aux navigateurs phéniciens, Kition servaient d'escale, de refuge, de pied-à-terre et de comptoir pour le commerce des métaux, notamment le cuivre dont leurs métallurgistes faisaient du bronze. L'expédition d'Elissa ne manqua pas de s'enrichir. Elle se dota de femmes nécessaires à la multiplication et à l'équilibre du groupe.
Cet épisode, tel que décrit par le mythe, est incontestablement retouché: Dans le palimpseste, des vierges, qui se trouvaient au bord de la mer, furent enlevées par les compagnons d'Elissa. Fawzi Mellah a préféré y voir un don offert par les Chypriotes pour garantir la pérennité des migrants. En outre, il y a, une omission. La lettre conçue par l'auteur d'Elissa, la princesse vagabonde, passe sous silence l'apparition du grand prêtre de Chypre qui, dans le récit originel, se montra généreux à l'égard de la reine fugitive: d'après Justin, il vint accueillir la reine vagabonde. Pourquoi cette omission?
Au lieu de se perdre dans les méandres des explications gratuites, laissons les compagnons de la Princesse Vagabonde reprendre la mer en direction du couchant, vers les côtes d'Afrique, où, jadis, les Phéniciens installèrent un comptoir auprès de la population autochtone: c'était Utique dont le nom reste une énigme. Et le troisième tableau du triptique de se déployer pour nous introduire dans de nouveaux paysages naturels et ethnoculturels. On peut titrer ce panneau: Elissa au pays du roi Hiarbas. Au cours de cette longue traversée, on fit escale à Sabrata et à Hadrumète avant d'atteindre la Colline Parfumée, où la reine décida d'élire pied-à terre. La population accourut sous la houlette du roi Hiarbas, non point hostile mais inquiète et interrogatrice. Sur la scène se déroulent des palabres chargées de convoitises, de passions, de ruses, qui aboutissent à la naissance de la ville Neuve, Qart Hadasht, sur un terrain, qui livre aux fondateurs d'abord une tête de taureau et puis une tête de cheval, deux signes, dont il fallait pouvoir faire le décryptage. Le tableau se termine par le feu, qui offre à la reine la possibilité de poursuivre sa chaste fuite et de rejoindre, sans doute, l'âme de son mari, Acherbas. La vie de Carthage en dépendait; elle accepta de se donner la mort.
Voilà donc le récit de la fondation de Carthage, remodelé et instrumentalisé par Fawzi Mellah. Comment faut-il justifier les modifications introduites sur les versions les plus courantes, notamment celles de Timée de Taormine, qui vivait au IIe siècle avant J.C., et de Trogue-Pompée, un historien gaulois, contemporain d'Auguste, dont le récit fut adopté et transmis par Justin, entre le IIe et le troisième siècle de l'ère chrétienne.
Ces modifications touchent certains faits et leur interprétation comme par exemple l'affaire des vierges Chypriotes. La tradition classique parle de leur rapt, alors qu'elles vaquaient à l'accomplissement de leur devoir de jeunes filles envers la déesse Ashtart, dont le culte relevait de la prostitution sacrée: c'était une pratique religieuse bien établie en Mésopotamie et en Méditerranée. Des textes en parlent et des faits archéologiques en témoignent. Fawzi Mellah semble avoir estimé plus simple de justifier leur présence au sein du groupe par le don. Ainsi, il évita les méandres de la prostitution sacrée. Il fallait du temps et de la patience pour instruire ce dossier. Gustave Flaubert l'aurait sûrement fait; féru d'érudition, il n'aurait pas hésité de s'y investir. Parmi les modifications relevées, on relève l'absence du prêtre du temple de Junon à Chypre. Dans les deux plus grandes traditions, il est dit que la reine fut bien accueillie par le prêtre de Junon, lequel accepta de l'accompagner à condition que la magistrature sacerdotale lui fût reconnue et resta l'apanage de sa descendance. Pourquoi Fawzi Mellah a préféré écarter ces données pourtant admises par les principales versions disponibles du mythe, sachant que le fait religieux ne saurait être absent quand il s'agit d'une communauté humaine?
En revanche, il a jugé nécessaire d'inventer deux épisodes étrangers au récit de base : il s'agit des deux escales que nous avons déjà évoquées: l'une à Sabrata et l'autre à Hadrumète. Je ne veux pas croire qu'il s'agirait d'un acte gratuit. Mais il me serait difficile de trouver une justification convaincante si non celle qui offrirait à l'auteur l'opportunité de nous faire le portrait de chacune de ces deux villes telles qu'ils se les représentait et de dire ce qu'il voulait nous dire. Sabrata serait d'origine libyque. Elle représente l'altérité, un peuple différent, dont l'auteur fait un portrait laudatif. Fawzi Mellah se montre berbérophile. C'est la découverte d'un monde nouveau. Le maître d'œuvre et de l'ouvrage donne libre cours à son imagination : il crée un univers, qu'il anime en se référant à son propre cru, voire à ses fantasmes, tant pour le profane que pour le sacré. Mais là aussi, il tord le cou à l'histoire en faisant de Magon un Libyen de Sabrata au grand dam de Carthage et de l'histoire.
Quant à Hadrumetum, la rencontre ne semble pas avoir été heureuse. A tort, Fawzi Mellah la reconnaît antérieure à Carthage sur les côtes libyques. Il la présente comme l'incarnation de la laideur. Des erreurs sont commises tant pour les faits que pour leur interprétation, sans que l'on puisse savoir si elles sont volontaires ou inconscientes. Pourquoi un portrait si réducteur, voire répulsif ? Serait-ce pour le contraste? La beauté de Sabrata ferait ainsi le pendant à la laideur d'Hadrumète. Peut-être faudra-t-il fouiller dans les rapports de Fawzi Mellah avec Sousse, la perle du Sahel.
Mais là aussi, c'est à l'auteur de rendre compte ou de justifier ses assertions. Les Hadrumétins se montrent méprisants à l'égard des immigrés, "Gens venus de l'horizon": Aurions-nous déjà la semence de ce chauvinisme que l'on attribue aux Soussiens?
L'auteur rappelle une vieille expression que les Tunisois utilisaient naguère pour désigner, non sans orgueil, ceux qui venaient de la Tunisie profonde le terme d'afaqioun c'est-à-dire ceux des horizons lointains qui sont sensés être "gens grossiers et barbares". Pour le Soussien désignaient ceux qui n'étaient de Sousse par le terme péjoratif Zran, dont j'ignore l'étymologie.
Le premier panneau se termine par une escale à Chypre qui constitue l'objet du second panneau de notre triptique. Nous voilà dans l'île de Chypre pour nous réjouir de ses merveilles et nous laisser aller au rêve. Pour une princesse phénicienne, l'île de Chypre n'est point une contrée inconnue. Les marins de Tyr et des autres cités cananéennes la connaissaient depuis toujours. Ils y avaient établi une fondation, Kition, bien connue par les auteurs des écrits bibliques et les archéologues qui ont dégagé les vestiges.
LIRE: La première partie de l'Histoire et de al littérature francophone
Aux navigateurs phéniciens, Kition servaient d'escale, de refuge, de pied-à-terre et de comptoir pour le commerce des métaux, notamment le cuivre dont leurs métallurgistes faisaient du bronze. L'expédition d'Elissa ne manqua pas de s'enrichir. Elle se dota de femmes nécessaires à la multiplication et à l'équilibre du groupe.
Cet épisode, tel que décrit par le mythe, est incontestablement retouché: Dans le palimpseste, des vierges, qui se trouvaient au bord de la mer, furent enlevées par les compagnons d'Elissa. Fawzi Mellah a préféré y voir un don offert par les Chypriotes pour garantir la pérennité des migrants. En outre, il y a, une omission. La lettre conçue par l'auteur d'Elissa, la princesse vagabonde, passe sous silence l'apparition du grand prêtre de Chypre qui, dans le récit originel, se montra généreux à l'égard de la reine fugitive: d'après Justin, il vint accueillir la reine vagabonde. Pourquoi cette omission?
Au lieu de se perdre dans les méandres des explications gratuites, laissons les compagnons de la Princesse Vagabonde reprendre la mer en direction du couchant, vers les côtes d'Afrique, où, jadis, les Phéniciens installèrent un comptoir auprès de la population autochtone: c'était Utique dont le nom reste une énigme. Et le troisième tableau du triptique de se déployer pour nous introduire dans de nouveaux paysages naturels et ethnoculturels. On peut titrer ce panneau: Elissa au pays du roi Hiarbas. Au cours de cette longue traversée, on fit escale à Sabrata et à Hadrumète avant d'atteindre la Colline Parfumée, où la reine décida d'élire pied-à terre. La population accourut sous la houlette du roi Hiarbas, non point hostile mais inquiète et interrogatrice. Sur la scène se déroulent des palabres chargées de convoitises, de passions, de ruses, qui aboutissent à la naissance de la ville Neuve, Qart Hadasht, sur un terrain, qui livre aux fondateurs d'abord une tête de taureau et puis une tête de cheval, deux signes, dont il fallait pouvoir faire le décryptage. Le tableau se termine par le feu, qui offre à la reine la possibilité de poursuivre sa chaste fuite et de rejoindre, sans doute, l'âme de son mari, Acherbas. La vie de Carthage en dépendait; elle accepta de se donner la mort.
Voilà donc le récit de la fondation de Carthage, remodelé et instrumentalisé par Fawzi Mellah. Comment faut-il justifier les modifications introduites sur les versions les plus courantes, notamment celles de Timée de Taormine, qui vivait au IIe siècle avant J.C., et de Trogue-Pompée, un historien gaulois, contemporain d'Auguste, dont le récit fut adopté et transmis par Justin, entre le IIe et le troisième siècle de l'ère chrétienne.
Ces modifications touchent certains faits et leur interprétation comme par exemple l'affaire des vierges Chypriotes. La tradition classique parle de leur rapt, alors qu'elles vaquaient à l'accomplissement de leur devoir de jeunes filles envers la déesse Ashtart, dont le culte relevait de la prostitution sacrée: c'était une pratique religieuse bien établie en Mésopotamie et en Méditerranée. Des textes en parlent et des faits archéologiques en témoignent. Fawzi Mellah semble avoir estimé plus simple de justifier leur présence au sein du groupe par le don. Ainsi, il évita les méandres de la prostitution sacrée. Il fallait du temps et de la patience pour instruire ce dossier. Gustave Flaubert l'aurait sûrement fait; féru d'érudition, il n'aurait pas hésité de s'y investir. Parmi les modifications relevées, on relève l'absence du prêtre du temple de Junon à Chypre. Dans les deux plus grandes traditions, il est dit que la reine fut bien accueillie par le prêtre de Junon, lequel accepta de l'accompagner à condition que la magistrature sacerdotale lui fût reconnue et resta l'apanage de sa descendance. Pourquoi Fawzi Mellah a préféré écarter ces données pourtant admises par les principales versions disponibles du mythe, sachant que le fait religieux ne saurait être absent quand il s'agit d'une communauté humaine?
En revanche, il a jugé nécessaire d'inventer deux épisodes étrangers au récit de base : il s'agit des deux escales que nous avons déjà évoquées: l'une à Sabrata et l'autre à Hadrumète. Je ne veux pas croire qu'il s'agirait d'un acte gratuit. Mais il me serait difficile de trouver une justification convaincante si non celle qui offrirait à l'auteur l'opportunité de nous faire le portrait de chacune de ces deux villes telles qu'ils se les représentait et de dire ce qu'il voulait nous dire. Sabrata serait d'origine libyque. Elle représente l'altérité, un peuple différent, dont l'auteur fait un portrait laudatif. Fawzi Mellah se montre berbérophile. C'est la découverte d'un monde nouveau. Le maître d'œuvre et de l'ouvrage donne libre cours à son imagination : il crée un univers, qu'il anime en se référant à son propre cru, voire à ses fantasmes, tant pour le profane que pour le sacré. Mais là aussi, il tord le cou à l'histoire en faisant de Magon un Libyen de Sabrata au grand dam de Carthage et de l'histoire.
Quant à Hadrumetum, la rencontre ne semble pas avoir été heureuse. A tort, Fawzi Mellah la reconnaît antérieure à Carthage sur les côtes libyques. Il la présente comme l'incarnation de la laideur. Des erreurs sont commises tant pour les faits que pour leur interprétation, sans que l'on puisse savoir si elles sont volontaires ou inconscientes. Pourquoi un portrait si réducteur, voire répulsif ? Serait-ce pour le contraste? La beauté de Sabrata ferait ainsi le pendant à la laideur d'Hadrumète. Peut-être faudra-t-il fouiller dans les rapports de Fawzi Mellah avec Sousse, la perle du Sahel.
Mais là aussi, c'est à l'auteur de rendre compte ou de justifier ses assertions. Les Hadrumétins se montrent méprisants à l'égard des immigrés, "Gens venus de l'horizon": Aurions-nous déjà la semence de ce chauvinisme que l'on attribue aux Soussiens?
L'auteur rappelle une vieille expression que les Tunisois utilisaient naguère pour désigner, non sans orgueil, ceux qui venaient de la Tunisie profonde le terme d'afaqioun c'est-à-dire ceux des horizons lointains qui sont sensés être "gens grossiers et barbares". Pour le Soussien désignaient ceux qui n'étaient de Sousse par le terme péjoratif Zran, dont j'ignore l'étymologie.
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