Malgré un changement de son image de Big Brother du système Ben Ali, l’Agence Tunisienne d’Internet (ATI) connaît de nombreux problèmes depuis un an. Elle fait face à l’arrivée de l’Agence Tunisienne des Télécommunications (ATT), dont la création, dans un contexte de lutte anti-terroriste, suscite bien des controverses. L’ATI se trouve au cœur des priorités politiques et économiques liées à la restructuration de l’internet tunisien.
Depuis les nouveaux locaux de sa direction générale, près de la place Pasteur à Tunis, et non plus dans la villa octroyée par Ben Ali à l’époque de sa création en 1996, l’ATI gère encore le réseau internet tunisien en tant que point d’échange internet (TunIXP). Avec, en prime, un 404Lab.
Premier laboratoire tunisien d’innovation destiné aux hackers et aux blogueurs, il se trouve dans l’espace qui abritait jadis la centrale de contrôle de l’internet. Drôle de mélange pour celle qui avait la réputation du puissant Ammar404, en référence à la page qui s’affichait dès lors qu’un Tunisien essayait d’accéder à une page déplaisante pour le régime. Son directeur Moez Chakchouk travaille depuis plus de trois ans à changer cette image - voire même le nom, à At-Tounissya Internet S.A.
Bataille au niveau des tribunaux contre la censure des sites pornographiques, lutte pour une rénovation de l’ATI, régularisation des anciens dossiers hérités de l’ère de Ben Ali, participation active à la promotion de la liberté d’expression sur internet, organisation de la conférence Freedom online pour les libertés sur internet à Tunis en juin 2013: les activités pour prouver que l’ATI a changé sont bien là.
Malgré toutes ces actions, le directeur admet sa déception face à la situation actuelle où tout semble être fait pour "dissoudre l’ATI" et supprimer à jamais "les acquis de la Tunisie dans le domaine de l’internet".
Dernière garante de neutralité dans la cyber-surveillance, une ATI au bord de la faillite fait aujourd’hui face à des ministères insistants et à l’arrivée de l’ATT.
Sous pression de certains ministères, "L’ATI doit avant tout être neutre"
En 2011, Moez Chakchouk déclarait dans une interview accordée à l’hebdomadaire Réalités que "Aujourd’hui l’ATI doit avant tout être neutre". Promoteur de la liberté d’expression sur Internet, Moez Chakchouk n’a cessé depuis de promouvoir une nouvelle image de l’ATI, société anonyme de son statut, et plus destinée à développer l’internet tunisien qu’à être un organe de la cyber surveillance.
Or, cela n’a jamais été chose aisée à accepter pour les différents gouvernements qui se sont succédés depuis la révolution.
"Il y a un vide juridique sur les missions de l’ATI. Nous avons eu des missions 'héritées' du régime Ben Ali qui n’avaient aucun statut légal et qui sont restés collés à l’ATI', expliquait Moez Chackchouk à l’époque. Il admet recevoir encore des demandes émanant de certains ministères pour surveiller telle ou telle page "alors que tout doit émaner des ordres des autorités judiciaires dans le cadre d’une enquête ou d’une affaire". Moez Chackchouk affirme que l’ATI n’a exécuté que les ordres de la justice tunisienne et avoir refusé tout autre ordre, quelqu’en ait été la source.
Pressions pour un contrôle sur internet au nom de la lutte antiterroriste
Les mentalités peinent à changer. Dans une interview accordée au quotidien Al Chorouk le 23 février dernier, le ministre de l’Intérieur Lotfi Ben Jeddou déclare fermement qu’internet est devenu un "moyen d’encourager le terrorisme" et déplore le manque de coopération du Ministère des télécommunications à ce sujet.
Or il n’existe aucun recours légal si ce n’est l’ouverture d’une enquête pour imposer directement ce genre de censure. L’ATT n’ayant pas encore d’existence, il semble difficile d’imaginer l’exécution du contrôle souhaité par Lotfi Ben Jeddou. Le porte-parole du ministère de l’intérieur, Mohamed Ali Laroui a d’ailleurs rectifié le tir par la suite, soulignant la nécessité d’un cadre juridique adéquat et de moyens.
Dans ce contexte, l’ATI, qui possède une partie des équipements et du savoir-faire, est devenu un élément gênant notamment à cause de son indépendance fonctionnelle.
La création de l’ATT et la privatisation de l’ATI
Créée en novembre 2013, l’Agence tunisienne de télécommunications (ATT) a pour mission principale d’assurer “l'appui technique aux investigations judiciaires dans les crimes des systèmes d'information et de la communication”. Son rôle de surveillance suscite bien des inquiétudes.
Pourquoi avoir créé une agence distincte de l’ATI? Est-ce pour la décharger de son héritage d’agence de surveillance et remettre en place une autre agence destinée uniquement à cela? Ou y aurait-il une volonté politique de mettre tout simplement fin à l’ATI? Dans les négociations entre le ministère de l’Intérieur et le ministère des Technologies et de l’Information, il est désormais toujours question de l’ATT. L’ATI est hors-jeu.
"Juste avant le changement de gouvernement en 2014, nous avons reçu une lettre comme quoi l’ancien ministre des Technologies de l’Information et de la Communication avait demandé à la présidence du gouvernement que l’ATI ne soit plus considérée comme une société étatique sous sa tutelle", raconte Moez Chakchouk.
"Or cela reviendrait à donner un signal pour dissoudre l’ATI", s’inquiète le directeur. "Il reste beaucoup de points d’interrogations. L’ATI détient toujours des archives de l’ère Ben Ali qui n’ont été ni traitées ni dévoilées au grand public. Tout comme les équipements de cyber surveillance que l’on utilise plus mais qui font encore partie de nos locaux".
Le ministère des Technologies et de la Communication confirme vouloir ainsi récupérer les équipements de l’ATI qui sont "propriété de l’Etat et qui seront exploités à travers l’ATT".
Pour Moez Chakchouck, privatiser l’ATI reviendrait finalement aussi à la priver de son rôle de garde-fou contre la censure et à récupérer un équipement et un savoir-faire technique précieux.
Nominations d’anciens de l’ATI à des postes clefs
La récupération des techniques de l’ATI par l’ATT semble également toucher les personnes et leurs compétences. Fraîchement nommé à la tête de l’ATT, Jamel Zenkri, était membre du conseil d’administration de l’ATI jusqu’en 2009. Il a occupé, jusqu’à sa nomination, le poste de rapporteur général de l’Instance National des Télécommunications (INT), autorité de régulation de tout le secteur télécom en Tunisie.
Il y travaillait notamment aux côté de l’ancien PDG de l’ATI Kamel Saadaoui. Saadaoui est aujourd’hui coordinateur général entre les différents départements TIC et rattaché au cabinet du ministre des TIC, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique.
Les deux hommes connaissent très bien le fonctionnement de la cyber-surveillance. En 2011, Kamel Sadaaoui avait avoué au site américain Wired que celle-ci était restée partiellement en vigueur après la révolution. "Mais la différence, c’est qu’ils demanderont à un juge d’approuver les activités. En fait le problème n’est pas le filtrage mais qui filtre et sur la base de quelle loi".
Une loi sur la cybercriminalité dans un contexte de lutte antiterroriste
Dans le cas de l’ATT, difficile pour l’instant de connaître qui donnera les ordres. Pour le Ministère des technologies et de la communication, le but de l’ATT n’est pas de censurer car elle sera "contrôlée par un comité de suivi avec un juge".
Pour l’instant, l’ATT n’a pas de locaux ni de réelle existence. Son statut légal a été contesté par Reporters Sans Frontières et un avocat spécialiste d’internet, KaïsBerjab, a déposé un recours auprès du tribunal administratif.
Quant à la loi encadrant la lutte contre la cybercriminalité, elle est actuellement en cours de rédaction. Selon des sources qui ont pu y avoir accès, le projet promet "une vision très vague et très large de ce qui peut avoir un caractère criminel sur internet".
Un déficit économique et une lutte entre opérateurs
Le chiffre d’affaires de l’ATI a dramatiquement chuté en 2013. La faillite aurait été évitée de justesse fin 2013, affirme Moez Chackchouk. Selon le site Tunisie Haut Débit, L’agence n’aurait pas été payée par ses clients opérateurs.
Afin de régulariser les litiges, l’ATI s’est tournée vers l’Institut National des Télécommunications (INT).
Rien qu’en 2014, l’INT a du traiter plus d’une dizaine d’affaires concernant la guerre de monopoles entre les trois grands opérateurs, Tunisiana, Tunisie Télécom et Orange
Pour Welid Neffati, journaliste à Tunisie Haut Débit, le maintien de l’ATI est déterminant.
"Les lobbys ne sont pas que politiques, ils viennent aussi des opérateurs", résume Welid Neffati.
"En mettant fin à l’ATI, on risque de nous soumettre à des parties étrangères qui sauront tout de nous ou qui ouvriront et fermeront le robinet à leur guise".
Entre volonté de réguler l’internet tunisien, contrôler les cyber-jihadistes et ouvrir le monopole à l’étranger (selon les exigences la Banque mondiale), le sort de l’ATI est ainsi lié à l’avenir de l’internet tunisien.
Pas de retour à Ammar404 - mais peut-être à la cyber-surveillance
Reste à voir comment cette volonté de contrôler internet sera effective, avec ou sans l’ATI. En 2011, Kamel Saadaoui déclarait déjà qu’il était impossible de tout bloquer et que cela avait été l’erreur de Ben Ali de penser qu’il pouvait le faire.
"Cela me semble difficile de restaurer quoi que ce soit en matière de censure, sachant la capacité de certains internautes tunisiens à détourner celle-ci. Mais symboliquement cela reste problématique pour un pays qui défend les libertés sur un internet", commente Fabrice Epelboin, spécialiste des médias sociaux et observateur de l’internet en Tunisie.
Le coût de l’équipement de filtrage - 16 millions de dinars évalués pour la censure des sites pornographiques - et l’extension nécessaire pour faire face à l’augmentation du trafic internet avaient en partie empêché l’ATI de "filtrer" sur une longue durée des pages Facebook sous ordre du tribunal militaire en 2011. Il semble donc difficile techniquement de rétablir le système de censure en vigueur sous Ben Ali.
Mais pour un jeune hacker qui connaît très bien les rouages de l’internet Tunisien, les vrais techniciens capables de remettre en place un système de censure "travaillent toujours sur ordre du Ministère de l'Intérieur". Sans oublier que l’ATI n’avait pas le monopole du matériel de la cyber-surveillance dont une partie était à la Kasbah et également reliée au Ministère de l’Intérieur.
Si, entre obstacles techniques et vide juridique, le retour à la censure semble compromis, celui de la cyber-surveillance semble en revanche enclenché.
En attendant la suite, l’ATI a accueilli, jeudi 13 mars dans le 404 Lab, la commémoration de la mort de Zouheir Yahyaoui, premier martyr de la cyber-dissidence tunisienne.
Depuis les nouveaux locaux de sa direction générale, près de la place Pasteur à Tunis, et non plus dans la villa octroyée par Ben Ali à l’époque de sa création en 1996, l’ATI gère encore le réseau internet tunisien en tant que point d’échange internet (TunIXP). Avec, en prime, un 404Lab.
Premier laboratoire tunisien d’innovation destiné aux hackers et aux blogueurs, il se trouve dans l’espace qui abritait jadis la centrale de contrôle de l’internet. Drôle de mélange pour celle qui avait la réputation du puissant Ammar404, en référence à la page qui s’affichait dès lors qu’un Tunisien essayait d’accéder à une page déplaisante pour le régime. Son directeur Moez Chakchouk travaille depuis plus de trois ans à changer cette image - voire même le nom, à At-Tounissya Internet S.A.
LIRE AUSSI: La création de l'ATT inquiète
Bataille au niveau des tribunaux contre la censure des sites pornographiques, lutte pour une rénovation de l’ATI, régularisation des anciens dossiers hérités de l’ère de Ben Ali, participation active à la promotion de la liberté d’expression sur internet, organisation de la conférence Freedom online pour les libertés sur internet à Tunis en juin 2013: les activités pour prouver que l’ATI a changé sont bien là.
Malgré toutes ces actions, le directeur admet sa déception face à la situation actuelle où tout semble être fait pour "dissoudre l’ATI" et supprimer à jamais "les acquis de la Tunisie dans le domaine de l’internet".
Dernière garante de neutralité dans la cyber-surveillance, une ATI au bord de la faillite fait aujourd’hui face à des ministères insistants et à l’arrivée de l’ATT.
Sous pression de certains ministères, "L’ATI doit avant tout être neutre"
En 2011, Moez Chakchouk déclarait dans une interview accordée à l’hebdomadaire Réalités que "Aujourd’hui l’ATI doit avant tout être neutre". Promoteur de la liberté d’expression sur Internet, Moez Chakchouk n’a cessé depuis de promouvoir une nouvelle image de l’ATI, société anonyme de son statut, et plus destinée à développer l’internet tunisien qu’à être un organe de la cyber surveillance.
Or, cela n’a jamais été chose aisée à accepter pour les différents gouvernements qui se sont succédés depuis la révolution.
"Il y a un vide juridique sur les missions de l’ATI. Nous avons eu des missions 'héritées' du régime Ben Ali qui n’avaient aucun statut légal et qui sont restés collés à l’ATI', expliquait Moez Chackchouk à l’époque. Il admet recevoir encore des demandes émanant de certains ministères pour surveiller telle ou telle page "alors que tout doit émaner des ordres des autorités judiciaires dans le cadre d’une enquête ou d’une affaire". Moez Chackchouk affirme que l’ATI n’a exécuté que les ordres de la justice tunisienne et avoir refusé tout autre ordre, quelqu’en ait été la source.
Pressions pour un contrôle sur internet au nom de la lutte antiterroriste
Les mentalités peinent à changer. Dans une interview accordée au quotidien Al Chorouk le 23 février dernier, le ministre de l’Intérieur Lotfi Ben Jeddou déclare fermement qu’internet est devenu un "moyen d’encourager le terrorisme" et déplore le manque de coopération du Ministère des télécommunications à ce sujet.
"Nous nous sommes réunis quatre fois avec le Ministère des technologies et de communication pour censurer certains sites mais cela est resté sans suite".
Or il n’existe aucun recours légal si ce n’est l’ouverture d’une enquête pour imposer directement ce genre de censure. L’ATT n’ayant pas encore d’existence, il semble difficile d’imaginer l’exécution du contrôle souhaité par Lotfi Ben Jeddou. Le porte-parole du ministère de l’intérieur, Mohamed Ali Laroui a d’ailleurs rectifié le tir par la suite, soulignant la nécessité d’un cadre juridique adéquat et de moyens.
Dans ce contexte, l’ATI, qui possède une partie des équipements et du savoir-faire, est devenu un élément gênant notamment à cause de son indépendance fonctionnelle.
La création de l’ATT et la privatisation de l’ATI
Créée en novembre 2013, l’Agence tunisienne de télécommunications (ATT) a pour mission principale d’assurer “l'appui technique aux investigations judiciaires dans les crimes des systèmes d'information et de la communication”. Son rôle de surveillance suscite bien des inquiétudes.
Pourquoi avoir créé une agence distincte de l’ATI? Est-ce pour la décharger de son héritage d’agence de surveillance et remettre en place une autre agence destinée uniquement à cela? Ou y aurait-il une volonté politique de mettre tout simplement fin à l’ATI? Dans les négociations entre le ministère de l’Intérieur et le ministère des Technologies et de l’Information, il est désormais toujours question de l’ATT. L’ATI est hors-jeu.
"Juste avant le changement de gouvernement en 2014, nous avons reçu une lettre comme quoi l’ancien ministre des Technologies de l’Information et de la Communication avait demandé à la présidence du gouvernement que l’ATI ne soit plus considérée comme une société étatique sous sa tutelle", raconte Moez Chakchouk.
LIRE: La légalité de la création de l'ATT en question
"Or cela reviendrait à donner un signal pour dissoudre l’ATI", s’inquiète le directeur. "Il reste beaucoup de points d’interrogations. L’ATI détient toujours des archives de l’ère Ben Ali qui n’ont été ni traitées ni dévoilées au grand public. Tout comme les équipements de cyber surveillance que l’on utilise plus mais qui font encore partie de nos locaux".
Le ministère des Technologies et de la Communication confirme vouloir ainsi récupérer les équipements de l’ATI qui sont "propriété de l’Etat et qui seront exploités à travers l’ATT".
Pour Moez Chakchouck, privatiser l’ATI reviendrait finalement aussi à la priver de son rôle de garde-fou contre la censure et à récupérer un équipement et un savoir-faire technique précieux.
Nominations d’anciens de l’ATI à des postes clefs
La récupération des techniques de l’ATI par l’ATT semble également toucher les personnes et leurs compétences. Fraîchement nommé à la tête de l’ATT, Jamel Zenkri, était membre du conseil d’administration de l’ATI jusqu’en 2009. Il a occupé, jusqu’à sa nomination, le poste de rapporteur général de l’Instance National des Télécommunications (INT), autorité de régulation de tout le secteur télécom en Tunisie.
LIRE: Jamel Zenkri à la tête de l'ATT
Il y travaillait notamment aux côté de l’ancien PDG de l’ATI Kamel Saadaoui. Saadaoui est aujourd’hui coordinateur général entre les différents départements TIC et rattaché au cabinet du ministre des TIC, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique.
Les deux hommes connaissent très bien le fonctionnement de la cyber-surveillance. En 2011, Kamel Sadaaoui avait avoué au site américain Wired que celle-ci était restée partiellement en vigueur après la révolution. "Mais la différence, c’est qu’ils demanderont à un juge d’approuver les activités. En fait le problème n’est pas le filtrage mais qui filtre et sur la base de quelle loi".
Une loi sur la cybercriminalité dans un contexte de lutte antiterroriste
Dans le cas de l’ATT, difficile pour l’instant de connaître qui donnera les ordres. Pour le Ministère des technologies et de la communication, le but de l’ATT n’est pas de censurer car elle sera "contrôlée par un comité de suivi avec un juge".
Pour l’instant, l’ATT n’a pas de locaux ni de réelle existence. Son statut légal a été contesté par Reporters Sans Frontières et un avocat spécialiste d’internet, KaïsBerjab, a déposé un recours auprès du tribunal administratif.
Quant à la loi encadrant la lutte contre la cybercriminalité, elle est actuellement en cours de rédaction. Selon des sources qui ont pu y avoir accès, le projet promet "une vision très vague et très large de ce qui peut avoir un caractère criminel sur internet".
Un déficit économique et une lutte entre opérateurs
Le chiffre d’affaires de l’ATI a dramatiquement chuté en 2013. La faillite aurait été évitée de justesse fin 2013, affirme Moez Chackchouk. Selon le site Tunisie Haut Débit, L’agence n’aurait pas été payée par ses clients opérateurs.
Afin de régulariser les litiges, l’ATI s’est tournée vers l’Institut National des Télécommunications (INT).
Rien qu’en 2014, l’INT a du traiter plus d’une dizaine d’affaires concernant la guerre de monopoles entre les trois grands opérateurs, Tunisiana, Tunisie Télécom et Orange
Pour Welid Neffati, journaliste à Tunisie Haut Débit, le maintien de l’ATI est déterminant.
"Les lobbys ne sont pas que politiques, ils viennent aussi des opérateurs", résume Welid Neffati.
"Si chaque opérateur - surtout ceux dont l’actionnariat est majoritairement étranger - se mettait à router son trafic comme bon lui semble, on peut se trouver dans une situation où toutes nos données seront traitées à l’étranger".
"En mettant fin à l’ATI, on risque de nous soumettre à des parties étrangères qui sauront tout de nous ou qui ouvriront et fermeront le robinet à leur guise".
Entre volonté de réguler l’internet tunisien, contrôler les cyber-jihadistes et ouvrir le monopole à l’étranger (selon les exigences la Banque mondiale), le sort de l’ATI est ainsi lié à l’avenir de l’internet tunisien.
Pas de retour à Ammar404 - mais peut-être à la cyber-surveillance
Reste à voir comment cette volonté de contrôler internet sera effective, avec ou sans l’ATI. En 2011, Kamel Saadaoui déclarait déjà qu’il était impossible de tout bloquer et que cela avait été l’erreur de Ben Ali de penser qu’il pouvait le faire.
"Cela me semble difficile de restaurer quoi que ce soit en matière de censure, sachant la capacité de certains internautes tunisiens à détourner celle-ci. Mais symboliquement cela reste problématique pour un pays qui défend les libertés sur un internet", commente Fabrice Epelboin, spécialiste des médias sociaux et observateur de l’internet en Tunisie.
Le coût de l’équipement de filtrage - 16 millions de dinars évalués pour la censure des sites pornographiques - et l’extension nécessaire pour faire face à l’augmentation du trafic internet avaient en partie empêché l’ATI de "filtrer" sur une longue durée des pages Facebook sous ordre du tribunal militaire en 2011. Il semble donc difficile techniquement de rétablir le système de censure en vigueur sous Ben Ali.
Mais pour un jeune hacker qui connaît très bien les rouages de l’internet Tunisien, les vrais techniciens capables de remettre en place un système de censure "travaillent toujours sur ordre du Ministère de l'Intérieur". Sans oublier que l’ATI n’avait pas le monopole du matériel de la cyber-surveillance dont une partie était à la Kasbah et également reliée au Ministère de l’Intérieur.
Si, entre obstacles techniques et vide juridique, le retour à la censure semble compromis, celui de la cyber-surveillance semble en revanche enclenché.
En attendant la suite, l’ATI a accueilli, jeudi 13 mars dans le 404 Lab, la commémoration de la mort de Zouheir Yahyaoui, premier martyr de la cyber-dissidence tunisienne.
Retrouvez les articles du HuffPost Maghreb sur notre page Facebook.