"Lorsque l'on reçoit un coup sur la tête, il peut nous assommer comme il peut nous réveiller". J'aime ce proverbe chinois parce qu'il résume à lui seul ce qu'a été pour nombre d'entre nous l'arrivée du sida dans nos vies. Le sida a été un terrible coup sur la tête pour l'humanité dont il a révélé toutes ses insuffisances. Le sida nous a forcés à nous regarder en face, il a été un grand révélateur de toutes nos insuffisances, inégalités, injustices et zone de non-droit.
La Tunisie a connu son "premier" cas en 1985. Dès le début nous avons voulu créer une association. Au départ nous étions à peine tolérés par le gouvernement. Oser à l'époque montrer des préservatifs, les distribuer gratuitement, organiser des groupes de discussion parler de prévention n'était pas pensable. Nous avons un peu balbutié, il nous a fallu trouver nos marques respectives et nos domaines d'interventions. Au fil des années nous avons trouvé nos marges de manœuvre. Maintenant les choses sont claires. L'Association Tunisienne de lutte contre les MST/SIDA existe depuis maintenant 1990, ce que nous faisons le gouvernement ne peut pas le faire et vice versa. C'est en fait le Fonds mondial qui nous a réuni et a dessiné en quelques sorte nos prérogatives : nous devons travailler ensemble, le gouvernement a besoin de nous pour toucher les populations et nous avons besoin de lui pour modifier les lois.
Pendant des années les autorités ont refusé de parler du sida en Tunisie. L'Afrique était en feu et en flammes, la situation était dramatique. Mais à l'époque la Tunisie ne comptait "que" quelques cas. Mais c'était avoir une vision à très court terme, parce qu'évidemment tout n'a été que simplement décalé dans le temps. Nous avons maintenant ce que nous appelons une épidémie concentrée. Nous sommes juste en amont de ce que l'on peut qualifier d'épidémie généralisée (1% de la population). Le terme "concentrée" vient du fait que nous atteignons 5% dans certaines communautés comportementales. Nous avons dépassé les 5% pour la communauté des MSM, les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes. L'épidémie progresse également chez les usagers de drogues par voie intraveineuse et chez les travailleuses du sexe. Comme dans de nombreux pays, l'usage de drogue est interdit en Tunisie et cela nous oblige à avancer lentement de façon discrète.
Nous ne sommes plus au commencement de quelque chose, nous en sommes au cœur. Selon le dernier rapport de l'ONUSIDA, les pays du Moyen-Orient et donc la Tunisie, sont en train de connaitre une progression importante de l'épidémie. Avant nous avions essentiellement une population masculine concernée par le VIH maintenant, de plus en plus de femmes sont également touchées et le virus touche aussi des personnes beaucoup plus jeunes. Cette population jeune et donc sexuellement active représente près de 45% de la population tunisienne.
Mais à côté de la réalité des chiffres il y a aussi une autre réalité qui est la question du dépistage. C'est vrai en Tunisie, c'est vrai en France et partout ailleurs. Les gens hésitent ou pire refusent de se faire dépister. Nous avons beaucoup travaillé sur cette question de l'accès au dépistage,nous avons changé la loi. Il est maintenant anonyme, gratuit et accessible. Nous avons ouvert 25 centres mais peu de monde s'y rendent. Nous sommes au cœur dela question de la stigmatisation. La moitié des cas que nous découvrons aujourd'hui sont des personnes qui se trouvent déjà au stade parfois avancé de la maladie. Le virus s'est développé et la plupart d'entre eux sont porteurs du virus depuis dix ans sans l'avoir su ou avoir voulu le savoir. Et cela fait dix ans qu'ils transmettent le virus.
Si l'on veut avancer sur la question du dépistage il nous faut impérativement et parallèlement mener la lutte contre la stigmatisation très importante dans notre culture. Nous avons progressé mais nous sommes loin du but. Le regard social stigmatisant est tenace, les comportements, la religion, la loi sont stigmatisant et tout cela demeure profondément ancré dans nos traditions. La conséquence directe de cela est que de nombreux malades se cachent ou restent cachés totalement clandestins. Tout est donc encore plus difficile, rien ne leur parvient ni la prévention, ni les messages les incitant au dépistage, ni évidemment les traitements.
Pour changer cela il faudra probablement plusieurs générations mais nous le faisons pas à pas. Cela passe par un travail minutieux et quotidien des associations, un travail de fourmis de la part de la société civile, un devoir d'explication. Cela passe aussi par des campagnes de communication à grande échelle. En 1990 il était impossible de parler de sida à la télévision tunisienne. Maintenant nous en parlons par le biais de reportages, de témoignages, de spots de prévention, même s'il y a encore beaucoup à faire sur ce terrain-là. Nous avons reçu l'appui de certains religieux ce qui nous est essentiel. Nous avons fait des ateliers de formation avec eux, des campagnes de sensibilisation dans les mosquées et des imams ont fait des prêches lors de la prière du vendredi incitant à la prévention.
Nous sommes aujourd'hui en pleine transition sociétale. Nous avons vécu des événements violents ces dernière années, ce sont aussi nos premiers pas dans la vie libre et les premiers pas sont toujours maladroits et hésitants. Ces hésitations sont en même temps autant d'espaces qui nous permettent d'apprendre. Je suis persuadé que nous sommes sur la bonne voie. Nous avançons aussi sur la voie de la compréhension vis à vis des personnes touchées par le virus dans une société plus ouverte. Nous avons fait un travail "pédagogique" auprès des media, des personnels de santé, et nous continuons à le faire pour lutter contre les idées reçues tout en multipliant les campagnes de sensibilisation vis-à-vis des comportement à risque partout où nous le pouvons, dans les casernes, les centres pénitenciers...Nous avons avec nous des groupes de jeunes totalement motivés et engagés, et une société civile très active. Les choses changent.
En 2015 la Tunisie va, je l'espère, accueillir la Conférence internationale sur le sida et les infections sexuellement transmissibles en Afrique (ICASA/IST) nous finalisons l'accord en ce moment. Cette conférence a lieu tous les deux ans. La candidature de la Tunisie a été retenue comme figurant parmi les meilleures. Nous avons besoin du regard du monde. Cela fait 15 ans que nous essayons d'organiser cette conférence en Tunisie mais jusqu'à maintenant le régime l'interdisait. Après la révolution nous avons ressayé et notre candidature a été retenue. Certains, un peu sceptiques disent "oui mais quelle sera la situation en Tunisie en 2015"? Mais quel que soit le pays retenu sur le continent africain la même question peut être posée de la même façon. Nous avons l'ambition et la volonté de réaliser la meilleure conférence pour plusieurs raisons. D'abord grâce à la proximité de la Tunisie, l'accueil des Tunisiens et la tradition d'hospitalité gravée dans notre culture. Nous sommes géographiquement à quelques heures du monde entier, et je n'exagère pas. Ensuite parce que notre société civile est extrêmement mobilisée. Nous avons des groupes de jeunes absolument formidables à nos côtés. Enfin parce que 2015 est un moment important sur le plan mondial avec le passage à autre chose au regard des Objectifs du millénaire pour le développement. Sur le plan politique mondial c'est précisément à ce moment- là que l'on va se demander où l'on en est, quelles sont les prévisions et où on veut aller. Nous voulons être présent à ce rendez- vous.
La Tunisie a connu son "premier" cas en 1985. Dès le début nous avons voulu créer une association. Au départ nous étions à peine tolérés par le gouvernement. Oser à l'époque montrer des préservatifs, les distribuer gratuitement, organiser des groupes de discussion parler de prévention n'était pas pensable. Nous avons un peu balbutié, il nous a fallu trouver nos marques respectives et nos domaines d'interventions. Au fil des années nous avons trouvé nos marges de manœuvre. Maintenant les choses sont claires. L'Association Tunisienne de lutte contre les MST/SIDA existe depuis maintenant 1990, ce que nous faisons le gouvernement ne peut pas le faire et vice versa. C'est en fait le Fonds mondial qui nous a réuni et a dessiné en quelques sorte nos prérogatives : nous devons travailler ensemble, le gouvernement a besoin de nous pour toucher les populations et nous avons besoin de lui pour modifier les lois.
Pendant des années les autorités ont refusé de parler du sida en Tunisie. L'Afrique était en feu et en flammes, la situation était dramatique. Mais à l'époque la Tunisie ne comptait "que" quelques cas. Mais c'était avoir une vision à très court terme, parce qu'évidemment tout n'a été que simplement décalé dans le temps. Nous avons maintenant ce que nous appelons une épidémie concentrée. Nous sommes juste en amont de ce que l'on peut qualifier d'épidémie généralisée (1% de la population). Le terme "concentrée" vient du fait que nous atteignons 5% dans certaines communautés comportementales. Nous avons dépassé les 5% pour la communauté des MSM, les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes. L'épidémie progresse également chez les usagers de drogues par voie intraveineuse et chez les travailleuses du sexe. Comme dans de nombreux pays, l'usage de drogue est interdit en Tunisie et cela nous oblige à avancer lentement de façon discrète.
Nous ne sommes plus au commencement de quelque chose, nous en sommes au cœur. Selon le dernier rapport de l'ONUSIDA, les pays du Moyen-Orient et donc la Tunisie, sont en train de connaitre une progression importante de l'épidémie. Avant nous avions essentiellement une population masculine concernée par le VIH maintenant, de plus en plus de femmes sont également touchées et le virus touche aussi des personnes beaucoup plus jeunes. Cette population jeune et donc sexuellement active représente près de 45% de la population tunisienne.
Mais à côté de la réalité des chiffres il y a aussi une autre réalité qui est la question du dépistage. C'est vrai en Tunisie, c'est vrai en France et partout ailleurs. Les gens hésitent ou pire refusent de se faire dépister. Nous avons beaucoup travaillé sur cette question de l'accès au dépistage,nous avons changé la loi. Il est maintenant anonyme, gratuit et accessible. Nous avons ouvert 25 centres mais peu de monde s'y rendent. Nous sommes au cœur dela question de la stigmatisation. La moitié des cas que nous découvrons aujourd'hui sont des personnes qui se trouvent déjà au stade parfois avancé de la maladie. Le virus s'est développé et la plupart d'entre eux sont porteurs du virus depuis dix ans sans l'avoir su ou avoir voulu le savoir. Et cela fait dix ans qu'ils transmettent le virus.
Si l'on veut avancer sur la question du dépistage il nous faut impérativement et parallèlement mener la lutte contre la stigmatisation très importante dans notre culture. Nous avons progressé mais nous sommes loin du but. Le regard social stigmatisant est tenace, les comportements, la religion, la loi sont stigmatisant et tout cela demeure profondément ancré dans nos traditions. La conséquence directe de cela est que de nombreux malades se cachent ou restent cachés totalement clandestins. Tout est donc encore plus difficile, rien ne leur parvient ni la prévention, ni les messages les incitant au dépistage, ni évidemment les traitements.
Pour changer cela il faudra probablement plusieurs générations mais nous le faisons pas à pas. Cela passe par un travail minutieux et quotidien des associations, un travail de fourmis de la part de la société civile, un devoir d'explication. Cela passe aussi par des campagnes de communication à grande échelle. En 1990 il était impossible de parler de sida à la télévision tunisienne. Maintenant nous en parlons par le biais de reportages, de témoignages, de spots de prévention, même s'il y a encore beaucoup à faire sur ce terrain-là. Nous avons reçu l'appui de certains religieux ce qui nous est essentiel. Nous avons fait des ateliers de formation avec eux, des campagnes de sensibilisation dans les mosquées et des imams ont fait des prêches lors de la prière du vendredi incitant à la prévention.
Nous sommes aujourd'hui en pleine transition sociétale. Nous avons vécu des événements violents ces dernière années, ce sont aussi nos premiers pas dans la vie libre et les premiers pas sont toujours maladroits et hésitants. Ces hésitations sont en même temps autant d'espaces qui nous permettent d'apprendre. Je suis persuadé que nous sommes sur la bonne voie. Nous avançons aussi sur la voie de la compréhension vis à vis des personnes touchées par le virus dans une société plus ouverte. Nous avons fait un travail "pédagogique" auprès des media, des personnels de santé, et nous continuons à le faire pour lutter contre les idées reçues tout en multipliant les campagnes de sensibilisation vis-à-vis des comportement à risque partout où nous le pouvons, dans les casernes, les centres pénitenciers...Nous avons avec nous des groupes de jeunes totalement motivés et engagés, et une société civile très active. Les choses changent.
En 2015 la Tunisie va, je l'espère, accueillir la Conférence internationale sur le sida et les infections sexuellement transmissibles en Afrique (ICASA/IST) nous finalisons l'accord en ce moment. Cette conférence a lieu tous les deux ans. La candidature de la Tunisie a été retenue comme figurant parmi les meilleures. Nous avons besoin du regard du monde. Cela fait 15 ans que nous essayons d'organiser cette conférence en Tunisie mais jusqu'à maintenant le régime l'interdisait. Après la révolution nous avons ressayé et notre candidature a été retenue. Certains, un peu sceptiques disent "oui mais quelle sera la situation en Tunisie en 2015"? Mais quel que soit le pays retenu sur le continent africain la même question peut être posée de la même façon. Nous avons l'ambition et la volonté de réaliser la meilleure conférence pour plusieurs raisons. D'abord grâce à la proximité de la Tunisie, l'accueil des Tunisiens et la tradition d'hospitalité gravée dans notre culture. Nous sommes géographiquement à quelques heures du monde entier, et je n'exagère pas. Ensuite parce que notre société civile est extrêmement mobilisée. Nous avons des groupes de jeunes absolument formidables à nos côtés. Enfin parce que 2015 est un moment important sur le plan mondial avec le passage à autre chose au regard des Objectifs du millénaire pour le développement. Sur le plan politique mondial c'est précisément à ce moment- là que l'on va se demander où l'on en est, quelles sont les prévisions et où on veut aller. Nous voulons être présent à ce rendez- vous.