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Histoire et littérature francophone de Tunisie, avec Magid El-Houssi

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Le mythe et l'histoire ont une présence certaine dans Elyssa, la Reine vagabonde. Fawzi Mellah les a instrumentalisés pour écrire ce qu'il voulait écrire. La thématique de ce roman est d'une richesse si prodigieuse, qu'elle échapperait à l'inventaire. Les problèmes évoqués sont innombrables: La terre, la mer, l'amour, le pouvoir, l'altérité, la judaïcité, les préjugés, la laideur, l'innovation, l'imaginaire, la culture, l'écriture, l'agriculture, la guerre, la femme, la virginité, la religion, les cultes, les sacrifices, l'identité, l'errance, l'exil, le beau, le bon, etc.

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En d'autres termes, Fawzi mellah s'est servi du mythe et de l'histoire comme enveloppe pour la longue lettre qu'il a voulu nous écrire. En s'identifiant à Elyssa, la Reine vagabonde et en faisant du lecteur le destinataire de la lettre adressée à Pygmalion. Il reste beaucoup à dire sur cette œuvre de Fawzi Mallah pour qui l'histoire et le mythe servent d'emballage à un discours sur la réalité, telle qu'il la perçoit et telle qu'il la conçoit. De même que Gustave Flaubert disait "Madame Bovary, c'est moi", de même Fawzi Mellah pourrait dire, Elissa, la reine vagabonde, c'est moi.

L'histoire se mêle au vécu

Le temps passe et nous devons reprendre la route en compagnie d'un autre écrivain, dont l'œuvre nous conduit vers la Sicile du Moyen-âge arabe. Il s'agit du regretté Majid El Houssi, prématurément disparu, en nous léguant entre autres Une journée à Palerme, une ville où l'Orient et l'Occident se rencontrent sans se confondre pour une mutuelle fécondation.

Dans cet ouvrage, l'histoire se mêle au vécu. Par l'évocation du passé, l'auteur, historien ou poète, que sais-je? Sans doute l'un et l'autre pour déguster le présent. Au fil de la lecture, on constate que tout est dans tout, le souvenir, le souvenir du souvenir, selon une formule fort appréciée par l'auteur lui-même, l'attente, l'histoire, l'espoir. On y trouve des thèmes bien connus chez l'auteur: la mémoire, la nostalgie, la traversée, les voix. C'est une émouvante promenade à travers les rues et les superbes édifices de Palerme, qu'il s'agisse de la fameuse église S. Agostino ou de la célèbre Ziza de Guillaume de Sicile. Majid El Houssi nous y guide en véritable connaisseur. La Sicile lui rappelle Kairouan ainsi que la magnificence et la munificence d'El-Jem l'antique Thysdrus.

Autrefois, la Sicile resplendissait, portant les plus beaux atours de son arabité. Mais aujourd'hui, l'auteur, citoyen tunisien mais néanmoins arabe, y représente l'étranger, c'est-à-dire l'altérité. Il en profite pour une véritable apologie de l'Islam, mais sans démesure, sans orgueil. En rappelant que le prophète bénissait la quête du savoir où qu'il soit, Majid semble justifier sa présence en Italie, loin des siens.

C'est la voie de Dieu. En exaltant l'œuvre des Aghlabides, il se pose, se définit et laisse entendre: Je peux vous paraître en exil, mais n'oubliez pas la grandeur de mon pays et ses splendeurs, dont la Sicile, notamment Palerme, continue d'en témoigner. L'Islam est fait de savoir, de tolérance et de paix. A cet Islam, nous devons Roger le Normand et Frédéric II Hohenstaufen dont le christianisme ne les poussa guère à rejeter la culture arabo-islamique. En tant que musulman de culture, Majid El Houssi se sentait interpellé par le présent. Il réagit contre l'imposture d'un certain Occident qui accuse l'Islam d'intolérance et d'obscurantisme.

Se présentant, comme défense et illustration de la pensée et de la culture arabo-islamiques, cet ouvrage révèle les dons et les talents d'un écrivain plein de vie, sensuel et féru des mots inattendus, d'images pittoresques, de couleurs chatoyantes, de parfums enivrants et d'arômes exotiques. "Là, où on respire une bonne odeur de marché, là où on sent le poisson, le poivron, la tomate, le basilic, la menthe et même le clou de girofle". Quelle sensualité! C'est mordre dans la vie à belles dents. Nous sommes en Méditerranée, au cœur de l'univers. En vivant cette journée à Palerme, le lecteur rencontre le poète, le philosophe, l'historien de l'art, des peintres dotés de palettes aux couleurs inattendues ; elles n'ont rien à envier à l'arc-en-ciel. C'est aussi un hymne à la lumière: "Je ne cesse de rêver de lumière", disait Majid. En lisant une journée à Palerme, on se surprend en train de psalmodier le vivre ensemble de la Sicile médiévale et de l'Andalousie des Omeyyades ou encore chanter le psaume de Bagdad au temps de Haroun al-Rachid et d'al-Mamoun. Cette convivance dans l'euphorie reste possible. Ensemble, nous pouvons en faire une réalité pour le présent et pour le futur. Peut-on résister au désir et au plaisir d'une citation où les couleurs éclatent et s'entremêlent harmonieusement, comme un vol de colombes sur la place Saint Marc à Venise

Il trouvait une jouissance particulière à se tenir dans une crypte tapissée de fresques, une sorte de bien-être où il entrait une pointe de vanité, une satisfaction toute singulière, que seuls connaissaient les passionnés d'art et les fidèles d'amour. Lentement, il triait, un à un, les tons. Le bleu tire aux flambeaux sur une légère fausse couleur verte; s'il est foncé comme le cobalt et l'indigo, il devient aussitôt noir. S'il est clair, il tourne au gris marin; s'il est sincère et doux comme le turquoise, il se ternit et se glace. Quant aux verts, les verts bien foncés, ainsi que les verts empereur et les verts myrte ou menthe, il les soupçonnait d'agir de même que les gros bleus dans leur fusion avec les noirs, mais les verts pâles, les verts cactus, les verts paon, les cinabres et les laques, il humait leur saveur trouble, au fur et à mesure qu'il tendait sa lampe vers eux. Là où la lumière exilait leur bleu et ne détenait souvent que leur jaune battant.

Dans cette peinture, on trouve des éclairs homériques: l'aurore aux doigts de rose de l'Iliade génère chez Magid. "Une aurore rose, d'un rose intense, jus de grenade, palpitation de lumière". Il y en a pour tous les sens. Quelle merveille! Quelle douceur! Quelle ivresse! C'est l'intensité de la vie.

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