Après l'Antiquité et le moyen âge, voici une œuvre qui s'inscrit dans la chaleur du présent sans rompre avec le charme d'autrefois. Il s'agit de Retour à Thyna de Hédi Bouraoui, œuvre qui me parait relever de la littérature identitaire où l'Histoire et le patrimoine matériel et immatériel sont bien mis à contribution: l'auteur y exalte ses racines.
Le lecteur se trouve confronté à une très vaste enquête aux dimensions multiples, ce qui n'en facilite pas l'analyse. L'ouvrage s'étale comme un tissu dont l'artisan a bien choisi la chaîne et la trame. Pour la chaîne, le lecteur reconnaît aisément les racines, la liberté, la patrie, l'amour et bien d'autres valeurs humaines. Quant à la trame, l'auteur a retenu la ville dont il est natif, la société et la lutte pour la libération nationale.
Des souvenirs, des mythes et des légendes sont également mis en avant. Hédi Bouraoui n'a rien laissé pour compte, il fait appel à son imaginaire de Sfaxien pour inventer des personnages, des acteurs, des protagonistes: Zitouna et ses multiples amants qui baignent dans la réalité, la fiction, la médiocrité, l'ambition et la démesure.
Fière de son toponyme mystérieux et suggestif, la médina de Sfax se dresse bien solide sous la protection d'une vigilante muraille qui porte les empreintes de ses bâtisseurs du IX° siècle, autochtones mais arabes de culture.
Se prévalant d'une histoire glorieuse, ses portes s'ouvrent sur un passé prestigieux, un présent dynamique et un futur prometteur. Le nom de chacune d'elles constitue l'expression d'un programme ou l'intitulé d'un drame aux scènes multiples.
Sfax paraît dans toute la magnificence de ses spécificités, ses grandeurs, ses faiblesses, ses ambitions et ses conflits internes et externes. Elle se veut endogame. C'est un plateau gigantesque où les principaux acteurs se succèdent ou se rencontrent dans des rapports truculents et complexes, allant de l'amour à la haine et du sublime aux sentiments les plus sordides.
A ce propos, Hédi Bouraoui nous offre toute une galerie de portraits dont le nombre et le réalisme relèvent de l'enquête prospographique: les personnages sont nombreux et différents parce qu'ils racontent la vie. Entre Tahar le nouveau riche, Sadok né aux îles Kerkenna, homme d'affaires qui a su louvoyer et tenir tête à l'érosion socialisante en alliant le bon sens populaire et la pragmatisme paysan, Amar le paysan, Dahak le fou du théâtre, Kateb et ses sœurs et Zitouna, la fille di Si Mokhtar.
Aux portraits de cette même galerie, il faut joindre celui de Mansour, un journaliste fort modeste qui s'avère capable de veiller à l'éducation de ses enfants. Peut-être faut-il ajouter à la galerie une présence juive avec une tendance à la réhabilitation d'une communauté mal à l'aise: Moshé Boukhobza qui participe à la lutte pour la libération nationale. C'est une excellente occasion pour exalter l'harmonie dans la différence. Entre les communautés, il y a contacts, échanges et entre-aide. Moshé propose au père de Kateb un poste de coursier dans une entreprise.
Dans Retour à Thyna, la réalité devient parfois médiocre et encombrante surtout quand le récit en arrive à friser le simple reportage: la route de Agareb, la plage polluée de Chaffar, la mariée de Sfax, Boudeya et son orchestre, des intrigues politiques, la fameuse statue plus d'une fois installée et déboulonnée, etc. A côté de ces personnages qui risquent de paraître prosaïques, il y a des thèmes dont la littérature tunisienne de langue française semble être friande tout comme le cinéma. Ce sont les viols, les noces, les funérailles, la circoncision, etc., Zitouna perd sa virginité dans la violence et la souffrance; Mansour subit un châtiment corporel qui fournit à l'instituteur le prétexte de vivre ses fantasmes d'obsédé sexuel.
Ces enquêtes ethnographiques permettent à l'auteur d'évoquer la laideur et la beauté du temps de son enfance et de sa jeunesse. Chemin faisant, il raconte le mythe fondateur de Sfax. Il en profite pour donner à son ouvrage une dimension historique et archéologique. Mais ce sont là des territoires où les écueils abondent. L'auteur n'a pas toujours su les éviter.
Mais, les principaux thèmes de Retour à Thyna demeurent l'amour, la mort, le changement et le retour. Tout semble s'ordonner autour de l'œuvre de Kateb et de sa mort dont tous les personnages du récit sont préoccupés et obsédés. Kateb aimait Zitouna, sa cousine. Le viol dont elle a été victime serait à lire comme un crime passionnel que le coupable paye de sa mort. Quant à Zitouna, elle perd sa virginité dans la souffrance et le sang mais elle conquiert sa féminité, son individualité et sa liberté. Par ce long parcours, l'auteur traduit le passage de la société tunisienne vers la modernité: désormais la femme n'est plus en marge; elle retrouve le cœur de la société. Brisant les tabous et réduisant la phallocratie, Zitouna se marie avec Mansour.
L'autre mot clef de cette œuvre romanesque, est le retour. Hédi Bouraoui semble fort préoccupé par ce besoin du retour qui se fait irrésistible. Le retour à soi, à sa ville natale, à sa patrie, à son héritage. Ce besoin du retour se traduit par le verbe et par l'image: des scènes de la vie quotidienne, des cérémonies, des formules.
L'auteur se délecte en prononçant des mots pris au dialecte de son milieu d'origine. Il en savoure le son et le sens. Mais il s'agit d'un retour porteur de renaissance. "Se pencher sur Thyna, c'est renaître de ses propres cendres". Pour l'auteur, le souvenir, c'est-à-dire, la mémoire, ne doit pas être une drogue à vertu dormitive mais un fertilisant, une source de vie, de création, un facteur de changement.
Le lecteur se trouve confronté à une très vaste enquête aux dimensions multiples, ce qui n'en facilite pas l'analyse. L'ouvrage s'étale comme un tissu dont l'artisan a bien choisi la chaîne et la trame. Pour la chaîne, le lecteur reconnaît aisément les racines, la liberté, la patrie, l'amour et bien d'autres valeurs humaines. Quant à la trame, l'auteur a retenu la ville dont il est natif, la société et la lutte pour la libération nationale.
Des souvenirs, des mythes et des légendes sont également mis en avant. Hédi Bouraoui n'a rien laissé pour compte, il fait appel à son imaginaire de Sfaxien pour inventer des personnages, des acteurs, des protagonistes: Zitouna et ses multiples amants qui baignent dans la réalité, la fiction, la médiocrité, l'ambition et la démesure.
Fière de son toponyme mystérieux et suggestif, la médina de Sfax se dresse bien solide sous la protection d'une vigilante muraille qui porte les empreintes de ses bâtisseurs du IX° siècle, autochtones mais arabes de culture.
Se prévalant d'une histoire glorieuse, ses portes s'ouvrent sur un passé prestigieux, un présent dynamique et un futur prometteur. Le nom de chacune d'elles constitue l'expression d'un programme ou l'intitulé d'un drame aux scènes multiples.
Sfax paraît dans toute la magnificence de ses spécificités, ses grandeurs, ses faiblesses, ses ambitions et ses conflits internes et externes. Elle se veut endogame. C'est un plateau gigantesque où les principaux acteurs se succèdent ou se rencontrent dans des rapports truculents et complexes, allant de l'amour à la haine et du sublime aux sentiments les plus sordides.
A ce propos, Hédi Bouraoui nous offre toute une galerie de portraits dont le nombre et le réalisme relèvent de l'enquête prospographique: les personnages sont nombreux et différents parce qu'ils racontent la vie. Entre Tahar le nouveau riche, Sadok né aux îles Kerkenna, homme d'affaires qui a su louvoyer et tenir tête à l'érosion socialisante en alliant le bon sens populaire et la pragmatisme paysan, Amar le paysan, Dahak le fou du théâtre, Kateb et ses sœurs et Zitouna, la fille di Si Mokhtar.
Aux portraits de cette même galerie, il faut joindre celui de Mansour, un journaliste fort modeste qui s'avère capable de veiller à l'éducation de ses enfants. Peut-être faut-il ajouter à la galerie une présence juive avec une tendance à la réhabilitation d'une communauté mal à l'aise: Moshé Boukhobza qui participe à la lutte pour la libération nationale. C'est une excellente occasion pour exalter l'harmonie dans la différence. Entre les communautés, il y a contacts, échanges et entre-aide. Moshé propose au père de Kateb un poste de coursier dans une entreprise.
Dans Retour à Thyna, la réalité devient parfois médiocre et encombrante surtout quand le récit en arrive à friser le simple reportage: la route de Agareb, la plage polluée de Chaffar, la mariée de Sfax, Boudeya et son orchestre, des intrigues politiques, la fameuse statue plus d'une fois installée et déboulonnée, etc. A côté de ces personnages qui risquent de paraître prosaïques, il y a des thèmes dont la littérature tunisienne de langue française semble être friande tout comme le cinéma. Ce sont les viols, les noces, les funérailles, la circoncision, etc., Zitouna perd sa virginité dans la violence et la souffrance; Mansour subit un châtiment corporel qui fournit à l'instituteur le prétexte de vivre ses fantasmes d'obsédé sexuel.
Ces enquêtes ethnographiques permettent à l'auteur d'évoquer la laideur et la beauté du temps de son enfance et de sa jeunesse. Chemin faisant, il raconte le mythe fondateur de Sfax. Il en profite pour donner à son ouvrage une dimension historique et archéologique. Mais ce sont là des territoires où les écueils abondent. L'auteur n'a pas toujours su les éviter.
Mais, les principaux thèmes de Retour à Thyna demeurent l'amour, la mort, le changement et le retour. Tout semble s'ordonner autour de l'œuvre de Kateb et de sa mort dont tous les personnages du récit sont préoccupés et obsédés. Kateb aimait Zitouna, sa cousine. Le viol dont elle a été victime serait à lire comme un crime passionnel que le coupable paye de sa mort. Quant à Zitouna, elle perd sa virginité dans la souffrance et le sang mais elle conquiert sa féminité, son individualité et sa liberté. Par ce long parcours, l'auteur traduit le passage de la société tunisienne vers la modernité: désormais la femme n'est plus en marge; elle retrouve le cœur de la société. Brisant les tabous et réduisant la phallocratie, Zitouna se marie avec Mansour.
L'autre mot clef de cette œuvre romanesque, est le retour. Hédi Bouraoui semble fort préoccupé par ce besoin du retour qui se fait irrésistible. Le retour à soi, à sa ville natale, à sa patrie, à son héritage. Ce besoin du retour se traduit par le verbe et par l'image: des scènes de la vie quotidienne, des cérémonies, des formules.
L'auteur se délecte en prononçant des mots pris au dialecte de son milieu d'origine. Il en savoure le son et le sens. Mais il s'agit d'un retour porteur de renaissance. "Se pencher sur Thyna, c'est renaître de ses propres cendres". Pour l'auteur, le souvenir, c'est-à-dire, la mémoire, ne doit pas être une drogue à vertu dormitive mais un fertilisant, une source de vie, de création, un facteur de changement.