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La conscience nouvelle

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Les juristes connaissent la pyramide de Kelsen, sa hiérarchie des normes mettant la constitution au-dessus du système juridique. Ce formalisme, s'il a rendu et rend service, n'est plus pertinent en une époque de confusion des valeurs.

Démocraties minimaliste et maximaliste

Nécessaire en État de droit, il ne suffit plus. Le politique, aspect subjectif éminent, doit être pris en compte. Comme il peut corrompre, vider de tout sens l'État de droit, il est seul parfois à l'édifier.

L'expérience tunisienne en montre les deux visages: hideux dans les travers passés, y compris après l'acquis de l'élection libre; rayonnant dans les rebondissements salutaires, bien que violation caractérisée de la légitimité purement juridique, ayant donné une constitution modèle.

Il ne suffit plus de parler d'État de droit; il faut d'abord une société de droits. Elle est une constellation d'individus qui ne sont pas désincarnés, ayant une subjectivité qu'on a tort de continuer d'ignorer en Tunisie où est possible une transfiguration du politique.

On a le choix entre une démocratie minimaliste, appelée représentative, réduite au formalisme des élections et d'une représentation théorique, et une démocratie maximaliste, participative ou directe, se souciant du sort des institutions, du modèle économique de développement, des solidarités sociales et culturelles. C'est le second type qu'il faut en Tunisie; mais il n'y suffira plus. Déjà, dans les pays ayant une expérience démocratique, il arrive souvent que le système se réduise à une coquille vide, la légalité se trouant d'illégalités.

L'impératif de la conscience

On ne peut plus ignorer la sagesse des anciens rappelant que science sans conscience n'est que ruine de l'âme, à prendre au sens d'esprit et de pensée, l'essence de l'être humain. C'est d'une ruine de tout, donc, surtout de l'État de droit.

Édifiant un État voulu démocratique, on voit comment la notion de droit peut varier dans les esprits, même démocratiques. La souveraineté du peuple est confisquée au profit de partis ne remplissant plus leur rôle classique désormais servi par les associations et une société civile enfin libérée.

Aussi, le peuple ne peut exercer sa souveraineté qu'à l'échelle le plus à proximité de ses intérêts, soit à l'échelle municipale et régionale. Ainsi se saisit-il de ses affaires, reprenant confiance en la politique. Sur la base d'élus locaux, connus personnellement par les électeurs, élus sur des dossiers concrets, selon un contrat de mission dont ils seront comptables, autorisant d'avoir les élus crédibles à l'Assemblée nationale. Et la pyramide démocratique sera à l'endroit.

Pour que cette vérité soit mise en œuvre, il faut une élite politique qui parle en conscience; des politiciens organiques, enracinés dans les soucis du peuple, ne reflétant que ses intérêts, ne s'adonnant pas à la politique politicienne. Comment faire cette politique compréhensive, être juste de voix et de voie sinon en veillant à faire oublier sa personne propre pour se fondre dans la multitude, se muer en cet être collectif parlant en conscience?

Immanence transcendante

Avec une telle subjectivité étendue, globalisée, ce n'est pas le retour de la morale ou de la religion en politique, le "devoir être", qu'il soit religieux ou profane, ainsi que ce qui était appelé "moraline" par Nietzsche étant périmé. C'est le "pouvoir être" qui est de mise; c'est d'éthique dont il est question, en son sens premier d'esthétique, une sensibilité à fleur de peau aux peines du peuple, une culture des sentiments les plus nobles en soi.

Nos politiques ont intérêt à faire leur propre révolution mentale s'ils veulent durer sur une scène devenue ardente où ils ne brilleront guère que telles des lucioles. Ils doivent relever de cette honnêteté évoquée par Montaigne et qui est aussi l'organicité dont parle Gramsci pour les intellectuels; une congruence avec les sensations du plus humble; cette modestie sans calculs ni arrière-pensées ignorée des allées du pouvoir.

Dans notre tradition spirituelle, nous avons nombre de valeurs illustrant cette conscience à placer à la tête de la nouvelle échelle kelsenienne. Il s'agit d'une sorte de transcendance immanente ou d'une immanence transcendante, l'organicité autorisant une fusion avec l'humain tel qu'il se manifeste chez le peuple réel, pris en totalité avec son humus et ses parts d'ombre, ses accents d'inimitiés et ses affections confuses. Politiquement, c'est une langue de vérité, jamais fourchue, jamais ne se parant de fausses vertus qui ne trompent que ceux qui veulent s'en illusionner.

Enracinement dynamique

La spiritualité est incontournable en Tunisie, ce qui est conforme à la postmodernité, cette alchimie entre la technologie sophistiquée et la tradition dans ce qu'elle a de plus immarcescible. Or, nos valeurs traditionnelles relèvent d'une marque indélébile, une lumière en soi, réduite à n'être aujourd'hui qu'un soleil de minuit dans l'obscurantisme intégriste religieux et profane qui nous envahit d'Orient comme d'Occident.

C'est un tel enracinement dynamique, oxymoron révélant l'esprit et le style de notre époque d'effervescences populaires, qu'incarnera la conscience nouvelle, plus haute norme de l'ordonnancement juridique. Impliquant les valeurs juridiques connues, celles impératives en démocratie, elle est aussi cette valeur spirituelle qu'on veut ignorer et qui n'est pas moins pertinente que les valeurs les plus scientifiques. Car elle marque davantage l'imaginaire que le réel depuis que les travaux de G. Durand ont identifié ses structures anthropologiques.

La conscience, subjectivité objectivée

Il est temps pour nos juristes de sortir d'un juridisme se limitant au supposé visible, l'invisible n'étant pas moins tangible. Il nous faut nous pencher sur cet élément subjectif de la conscience pour l'intégrer à l'ordonnancement hiérarchique objectif des valeurs juridiques; car sans la subjectivité humaine, l'objectivité purement formaliste est désincarnée.

Pour que cette conscience relève de la pertinence scientifique, ne versant pas dans les dérives idéologiques, elle doit refléter évidemment les principes et valeurs normatives inférieurs, tout en y ajoutant la plus-value éthique en mesure de leur donner effectivité. Ce ne sera plus du droit dévalué, mais augmenté, nous sortant de l'actuelle mythologie du juridisme et de la politique politicienne.

Une "mythodologie", en quelque sorte, renouant avec l'esprit scientifique hors de tout scientisme en ne dédaignant pas cette subjectivité objectivée. C'est une inéluctabilité en postmodernité.

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