Note: Le 1er avril 2014, les deux policiers tunisiens accusés du viol en 2012 de la jeune Meriem Ben Mohamed (nom d'emprunt) ont été condamnés à 7 ans de prison. Me Nasraoui, avocate de la victime, s'est dite "très déçue" par un verdict trop "clément". Les avocats de la défense, dont Me Layouni, avaient accusé Meriem d'avoir fait des avances aux policiers. Le procès avait été plusieurs fois reporté.
Maître Layouni,
Je vous écris, en espérant que vous lirez cette lettre jusqu'au bout.
Maitre Layouni, ce n'est pas votre faute mais tout commence au moment où vous avez prêté serment "Je jure par Dieu tout puissant, de remplir les actes de la profession d'avocat en toute probité et en tout honneur, de garder le secret professionnel, de respecter les lois et de ne jamais manquer de respect et aux tribunaux et aux autorités publiques". Les auteurs du serment ont omis de mentionner le respect de l'être humain, le respect des droits et des libertés.
Maitre Layouni, moi-même victime de violences sexuelles, longtemps la honte a guidé mes pas. A cause de gens comme vous j'ai enterré ma souffrance, j'ai préféré croire que j'étais morte de l'intérieur plutôt que d'affronter votre regard, plutôt que d'écouter vos longs monologues moralisateurs sur la question de savoir si une victime de viol a mérité son sort ou pas.
Je n'ai jamais dénoncé mon bourreau par peur qu'un homme comme vous ne vienne me dire que je l'ai séduit, qu'il fallait comprendre ses états d'âme. J'ai peur qu'on m'accuse, j'ai peur qu'on se trompe de victime, j'ai peur qu'il devienne la victime.
Maitre Layouni, vos mots sont inscrits en lettre indélébile sur mon corps et les corps de toutes les autres victimes, qui aujourd'hui, à cause de personnes comme vous, sont rongées par le sentiment de culpabilité, s'interdisent d'exister, de s'affirmer en tant que victime, d'avancer et de vivre.
A cause de votre "morale", j'ai longtemps gardé ce secret qui m'a consumé à petits feux, ce corps (celui de Mariem et le mien) que vous venez aujourd'hui pointer du doigt, parce qu'il est selon vous impur. Mais permettez-moi de vous dire que ce n'est pas moi qui l'ai sali.
Comme Mariem, je n'ai jamais eu la force de réagir face à lui car j'étais pétrifiée, perdue; j'avais peur, il était puissant, j'étais une enfant, il était une brute.
Maitre Layouni, dans les mains de nos bourreaux nous sommes telle des poupées de chiffon, ils nous violent, nous violentent, et on s'excuse si on n'a pas eu la force de réagir.
Dites-moi comment je dois m'habiller pour être la victime de viol parfaite à vos yeux; dites-moi si je dois éteindre ma cigarette pour que vous me croyiez; dites-moi ce que je dois dire pour qu'un jour des hommes comme vous arrêtent de nous traiter de diable et de démon.
Aujourd'hui si vous me croisez dans la rue, je ressemble à toutes les autres filles de mon âge; je ne serai surement pas à votre goût, je ne correspondrai surement pas à vos "critères" de fille bien. Je marcherai à coté de vous, vous ignorerez que chaque jour pour moi est une victoire, et que le lendemain est un nouveau combat, car chaque jour je survis entourée de personnes comme vous qui ne font qu'ancrer cette impureté en moi.
Ce n'est pas votre faute, l'ignorance n'est pas un crime. Le crime est que vous tuez des centaines, voire des milliers de victimes de viols et d'agressions sexuelles par vos mots (et ceux de personnes comme vous).
Maitre Layouni, je m'appelle Dorra, j'ai été victime de viols (je souligne le pluriel) et d'autres formes d'agressions sexuelles, j'avais 9 ans; mais c'est sûrement moi qui l'ai attiré dans mes filets; c'est sûrement de ma faute parce que je ne me suis pas défendue.
Le soir ou vous êtes passé à la télé pour parler du viol de Mariem, je n'ai pas réussi à dormir (comme tous les soirs depuis des années), j'avais l'esprit tourmenté par vos mots, par vos propos. J'avais peur de la vie, parce que des personnes comme vous existent.
Je ne vais pas en dire plus, vous avez sûrement mieux à faire, et ma lettre finira sans doute dans votre corbeille. Mais posez-vous la question, si c'était votre fille, si c'était votre femme, car mon père aussi pense toujours que cela n'arrive qu'aux autres; c'est faux, et j'en suis la preuve vivante.
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