Plus de trois mois après l'intronisation du gouvernent des technocrates en Tunisie, un bilan de la communication politique du gouvernent Mehdi Jomâa s'impose.
Fort d'une légitimité consensuelle, soutenu par les partis politiques mais aussi par le quartet qui a chapeauté le dialogue national (UGTT, UTICA, LDH, OA), le gouvernement Mehdi Jomâa aura profité d'un à priori positif plutôt inédit depuis le début de la révolution tunisienne.
Les Tunisiens, traumatisés par un excès de politique pendant trois ans, semblaient accueillir d'un bon œil l'arrivée d'un gouvernement non-partisan qui promettait de se retirer de la scène politique dès la réussite de l'organisation des élections et la passation de pouvoirs.
Deux règles étaient à suivre: ne pas faire de vagues, et apporter des réponses concrètes aux Tunisiens qui ont vu le rêve de la révolution se transformer en un cauchemar de pauvreté et de stagnation économique.
L'impératif de la discrétion
La stratégie de la discrétion en politique a été théorisée par l'illustre Jacques Pilhan. Pour ce stratège du "désir", la parole présidentielle (et politique plus généralement) doit être maîtrisée et rare. "La règle de base, c'est que pour être entendu, il faut être attendu", et cela s'organise avec des apparitions contrôlées et suffisamment espacées pour susciter l'attente et l'intérêt.
Sur ce point là, le gouvernement Jomâa semble tenir la promesse.
Les discours du PM sont rares et espacés, sa parole publique est associée à un message clair et précis, évitant plutôt habilement les polémiques.
C'est la rupture totale avec les anciens ministres de la Troïka, qui écumaient les plateaux télé et faisaient la une des médias tous les jours. Rares sont les apparitions de ceux qui nous gouvernent et encore moins leur présence dans les polémiques politiques de tous les jours. Une bonne prestation donc, le gouvernement de Jomâa semble bien communiquer sans excès de prise de parole publique.
Le cas Karboul
La jeune ministre a créé le buzz dès sa nomination, son voyage en Israël lui ayant valu une notoriété qui semblait dépasser celle de son Premier ministre.
Disruptive dans sa communication, elle est la première ministre tunisienne qui fera les chauffeurs de salles lors du festival des Dunes électroniques, elle se mettra en avant lors d'une campagne de nettoyage de la ville de Djerba, tournera des vidéos de promotion du tourisme tunisien, participera à un Ted Talk, puis, lors de son déplacement avec le Premier ministre en France, publiera plusieurs selfies d'elle avec différents politiques et personnages publics.
L'usage des nouveaux médias sociaux est au cœur de la stratégie de communication de la ministre. Instagram et Twitter, relayés ensuite par les facebookeurs tunisiens, deviennent un canal de communication plus important que les médias classiques. La Karboulmania et la Karboulphobia divisent les Tunisiens.
Malgré ce succès apparent, cette stratégie est clairement contre-productive dans un contexte où le gouvernement cherche à éviter les polémiques et les coups d'éclats. Si l'on devait sonder les Tunisiens sur la notoriété spontanée des ministres, le trio Jomâa-Karboul-Ben Jeddou serait loin devant. L'état d'esprit à l'intérieur de l'équipe gouvernementale ne peux que s'en ressentir. L'effort est partagé, pas les retombées médiatiques.
Répondre aux attentes des Tunisiens
Si la première clause du contrat semble remplie, on est très loin de la perfection sur le deuxième point.
Mehdi Jomâa a toujours insisté sur l'importance du travail en cette période de turbulences économiques. C'est louable en soi. Mais l'ancien employé de Total a complètement raté sa communication gouvernementale sur la répartition des efforts et les retombées possibles d'un "retour au travail" des Tunisiens. Malgré les timides actions entreprises pour expliquer l'état de l'économie, aucune innovation n'a été mise en place pour mieux informer les Tunisiens. Pourtant, les leviers des médias sociaux étaient là, les infographies, la vidéo et autres auraient pu être utilisés pour une communication pédagogique et accessible aux citoyens.
Les discours du Premier ministre alertent toujours sur la situation difficile de la Tunisie, pourtant, rien n'indique les raisons profondes d'un tel échec, et si sacrifices il faut faire, qui devrait faire le plus de concessions?
Il faut réformer l'administration?
Oui, mais un PM qui n'explique pas comment rendre l'administration plus efficace et moins coûteuse n'a aucune chance d'être entendu.
La caisse des compensations pèse trop lourd sur le budget de l'état?
Avant d'augmenter les prix, il faut proposer un modèle alternatif de transferts directs vers les plus démunis.
Il faut emprunter pour relancer la croissance?
Alors, il faut expliquer clairement qui seront nos futurs créanciers, quelles sont leurs conditions et comment on compte utiliser cet argent?
Il faut penser au gaz de schiste?
Soit, si c'est pour nourrir les Tunisiens, pourquoi pas? Mais si c'est pour nourrir Total et BP, non merci.
La plus grande inconnue reste la raison même de la présence du gouvernement Jomâa: les élections. Le PM semble avoir complètement oublié que c'est là sa principale mission.
Si les processus avance lentement, l'image donnée par le gouvernement n'est pas celle d'une équipe qui concentre tous ses efforts sur les élections. Dommage, une telle posture aurait rassuré un peu plus les acteurs politiques, économiques et sociaux en Tunisie.
Pour conclure, sur les deux contrats de communication du gouvernement Jomâa, le premier semble rempli, malgré les couacs "naturels" du ministère de l'Intérieur et les écarts de Karboul. Pour le second, c'est un zéro pointé. L'impression ressentie par les Tunisiens est qu'on continue à leur dire que tout va mal, même si des gens "compétents" sont au pouvoir. Les élections, elles, ne semblent plus être une priorité pour le gouvernement.
Une communication du désespoir, donc. Pourtant, la possibilité de rêver encore une avait ressurgi le 29 janvier 2014.
Fort d'une légitimité consensuelle, soutenu par les partis politiques mais aussi par le quartet qui a chapeauté le dialogue national (UGTT, UTICA, LDH, OA), le gouvernement Mehdi Jomâa aura profité d'un à priori positif plutôt inédit depuis le début de la révolution tunisienne.
Les Tunisiens, traumatisés par un excès de politique pendant trois ans, semblaient accueillir d'un bon œil l'arrivée d'un gouvernement non-partisan qui promettait de se retirer de la scène politique dès la réussite de l'organisation des élections et la passation de pouvoirs.
Deux règles étaient à suivre: ne pas faire de vagues, et apporter des réponses concrètes aux Tunisiens qui ont vu le rêve de la révolution se transformer en un cauchemar de pauvreté et de stagnation économique.
L'impératif de la discrétion
La stratégie de la discrétion en politique a été théorisée par l'illustre Jacques Pilhan. Pour ce stratège du "désir", la parole présidentielle (et politique plus généralement) doit être maîtrisée et rare. "La règle de base, c'est que pour être entendu, il faut être attendu", et cela s'organise avec des apparitions contrôlées et suffisamment espacées pour susciter l'attente et l'intérêt.
Sur ce point là, le gouvernement Jomâa semble tenir la promesse.
Les discours du PM sont rares et espacés, sa parole publique est associée à un message clair et précis, évitant plutôt habilement les polémiques.
C'est la rupture totale avec les anciens ministres de la Troïka, qui écumaient les plateaux télé et faisaient la une des médias tous les jours. Rares sont les apparitions de ceux qui nous gouvernent et encore moins leur présence dans les polémiques politiques de tous les jours. Une bonne prestation donc, le gouvernement de Jomâa semble bien communiquer sans excès de prise de parole publique.
Le cas Karboul
La jeune ministre a créé le buzz dès sa nomination, son voyage en Israël lui ayant valu une notoriété qui semblait dépasser celle de son Premier ministre.
Disruptive dans sa communication, elle est la première ministre tunisienne qui fera les chauffeurs de salles lors du festival des Dunes électroniques, elle se mettra en avant lors d'une campagne de nettoyage de la ville de Djerba, tournera des vidéos de promotion du tourisme tunisien, participera à un Ted Talk, puis, lors de son déplacement avec le Premier ministre en France, publiera plusieurs selfies d'elle avec différents politiques et personnages publics.
L'usage des nouveaux médias sociaux est au cœur de la stratégie de communication de la ministre. Instagram et Twitter, relayés ensuite par les facebookeurs tunisiens, deviennent un canal de communication plus important que les médias classiques. La Karboulmania et la Karboulphobia divisent les Tunisiens.
LIRE AUSSI: Karboulmania/Karboulphobie, autopsie d'un phénomène
Malgré ce succès apparent, cette stratégie est clairement contre-productive dans un contexte où le gouvernement cherche à éviter les polémiques et les coups d'éclats. Si l'on devait sonder les Tunisiens sur la notoriété spontanée des ministres, le trio Jomâa-Karboul-Ben Jeddou serait loin devant. L'état d'esprit à l'intérieur de l'équipe gouvernementale ne peux que s'en ressentir. L'effort est partagé, pas les retombées médiatiques.
Répondre aux attentes des Tunisiens
Si la première clause du contrat semble remplie, on est très loin de la perfection sur le deuxième point.
Mehdi Jomâa a toujours insisté sur l'importance du travail en cette période de turbulences économiques. C'est louable en soi. Mais l'ancien employé de Total a complètement raté sa communication gouvernementale sur la répartition des efforts et les retombées possibles d'un "retour au travail" des Tunisiens. Malgré les timides actions entreprises pour expliquer l'état de l'économie, aucune innovation n'a été mise en place pour mieux informer les Tunisiens. Pourtant, les leviers des médias sociaux étaient là, les infographies, la vidéo et autres auraient pu être utilisés pour une communication pédagogique et accessible aux citoyens.
Les discours du Premier ministre alertent toujours sur la situation difficile de la Tunisie, pourtant, rien n'indique les raisons profondes d'un tel échec, et si sacrifices il faut faire, qui devrait faire le plus de concessions?
Il faut réformer l'administration?
Oui, mais un PM qui n'explique pas comment rendre l'administration plus efficace et moins coûteuse n'a aucune chance d'être entendu.
La caisse des compensations pèse trop lourd sur le budget de l'état?
Avant d'augmenter les prix, il faut proposer un modèle alternatif de transferts directs vers les plus démunis.
Il faut emprunter pour relancer la croissance?
Alors, il faut expliquer clairement qui seront nos futurs créanciers, quelles sont leurs conditions et comment on compte utiliser cet argent?
Il faut penser au gaz de schiste?
Soit, si c'est pour nourrir les Tunisiens, pourquoi pas? Mais si c'est pour nourrir Total et BP, non merci.
La plus grande inconnue reste la raison même de la présence du gouvernement Jomâa: les élections. Le PM semble avoir complètement oublié que c'est là sa principale mission.
Si les processus avance lentement, l'image donnée par le gouvernement n'est pas celle d'une équipe qui concentre tous ses efforts sur les élections. Dommage, une telle posture aurait rassuré un peu plus les acteurs politiques, économiques et sociaux en Tunisie.
Pour conclure, sur les deux contrats de communication du gouvernement Jomâa, le premier semble rempli, malgré les couacs "naturels" du ministère de l'Intérieur et les écarts de Karboul. Pour le second, c'est un zéro pointé. L'impression ressentie par les Tunisiens est qu'on continue à leur dire que tout va mal, même si des gens "compétents" sont au pouvoir. Les élections, elles, ne semblent plus être une priorité pour le gouvernement.
Une communication du désespoir, donc. Pourtant, la possibilité de rêver encore une avait ressurgi le 29 janvier 2014.
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