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Jean Duvignaud, authentique Tunisien (1/3)

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La Tunisie se cherche aujourd'hui et finira par retrouver son être profond, celui que le Coup de son peuple, sa révolution 2.0, a permis de mettre à nu. Or, s'il est quelqu'un qui ait compris l'âme tunisienne et essayé de lui faire parler sa langue tout en volupté et volonté de vivre, ce fut Jean Duvignaud auquel nous rendons hommage dans cette série de trois articles.

Retrouvailles avec le langage perdu de la Tunisie

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Pour le sociologue, essayiste, romancier et critique d'art que fut Jean Duvignaud, la Tunisie, à l'instar de la Grèce, est riche de passés enchevêtrés, si difficiles à démêler. À la suite de Jacques Berque, grand connaisseur de la Tunisie et du Maghreb, Il parle d'une "permanence des signes" qui l'emporte sur les vicissitudes de l'histoire; des signes représentant la cristallisation du passé dans le présent en Tunisie. Sous leur apparente dispersion, Duvignaud distingue des langages imbriqués les uns dans les autres dont la syntaxe n'est indéchiffrable que pour qui ne sait observer la réalité dans ses manifestations quotidiennes brutes et spontanées.

Aussi s'est-il appliqué à faire l'analyse de tels signes, ce qu'il appelle le "langage perdu"; et il y trouve du raffinement, une volupté qui est l'empreinte de tout instant de la vie emportant une promesse véritable de bonheur, même dans les manifestations miséreuses ou tragiques de la vie. Selon Duvignaud, pour qui retrouve ce langage perdu, la Tunisie est bel et bien une "région du monde où tous les sens peuvent être comblés."

C'est pour s'initier et initier ses étudiants à pareil langage, lorsqu'il était professeur de la Faculté des Lettres de Tunis, qu'il étudia Chebika, une oasis de montagne perdue dans le sud, à la frontière algérienne, non loin de Tozeur, entre 1961 et 1965. Il en tira un livre publié aux éditions Gallimard en 1968: Chebika. Changements dans un village du Sud tunisien qui devint un classique de la microsociologie, mondialement encensé. C'était sa façon d'aider les Tunisiens à "déchiffrer les signes de leur propre univers".

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Duvignaud fit plus qu'une enquête sociologique; il a rendu à ce village une dignité nouvelle au-delà de "l'existence sociale dégradée" qui le caractérisait. Les Bédouins observés y ont été admirés pour leurs potentialités de renouvellement et d'invention, jamais considérés en "fossiles survivants de sociétés mortes". En effet, malgré l'archaïsme du milieu étudié, Duvignaud assure qu'il y avait constaté que "le noyau du village est un noyau vivant", créateur de mythes et de rêves en devenir. Sa conviction au sortir de son enquête était une certitude dans la capacité de Chebika de sublimer la dramatique crise dans laquelle il se débattait, de créer une situation nouvelle si on lui en donnait les moyens. Parlant des sociétés en crise des pays en voie de développement, il assurait qu'à l'indépendance politique doit obligatoirement succéder l'indépendance sociale.

Certes, le constat a posteriori est que rien ne semble avoir changé à Chebika, le village demeurant figé "dans l'immobilité du temps" malgré des changements de pure forme altérant son élan originel à l'émancipation en l'enchaînant au rôle dégradant d'une curiosité touristique. Ce n'est qu'un signe trompeur et qui ne trompe nul adepte de la pensée de Duvignaud, sa signification ne se comprenant que par rapport à l'ensemble du pays. C'est toute la Tunisie qui est aujourd'hui un village perdu des confins du sud déshérité, ne pouvant échapper à la dynamique de changement née à Chebika, sauf à retrouver son langage perdu.

Duvignaud, intime de Tunisie

Jean Duvignaud est davantage qu'un ami de la Tunisie, bien plus qu'un maître à penser de ses élites des années soixante; il est véritablement un intime de son âme profonde qu'il a scrutée, admirée et magnifiée dans de nombreux ouvrages, y ayant été "fasciné par la rencontre des sols, des âges, des hommes, des rites..."

Il a fait partie de cette élite universitaire française qui dispensait son savoir à l'université tunisienne où, ne l'oublions pas, prit forme mai 68 en France. Chargé de cours de sociologie jusqu'en 1965, ce poète et écrivain fonda le fameux Maghreb Circus avec ses étudiants dont il emmena une partie au fin fond du sud dans une bourgade isolée, Chebika, pour une plongée dans l'âme profonde de ce qu'on n'appelait pas encore tunisianité.
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Sa recherche sur cette oasis perdue juchée sur la crête d'une montagne devint une référence sociologique mondiale et ses interrogations sur l'être tunisien sont toujours d'actualité, et plus que jamais depuis l'entrée de la Tunisie dans une effervescence salutaire depuis son Coup du peuple de janvier 2011.

Enseignant à Tours depuis 1966, il dirigea pendant vingt ans la Maison des Cultures du Monde où il impose ce qu'il qualifie de "pari sur les cultures". Il y a donné ses lettres de noblesse à une approche nouvelle de la réalité centrée sur ce qui allait devenir une clef éminente de la réalité: l'imaginaire. Il est, d'ailleurs, le fondateur de la revue Internationale de l'Imaginaire.

Cet humaniste de grande envergure qui se définissait comme "écrivain plus que sociologue" a été ravi à ses nombreux amis de par le monde par une longue maladie dans sa maison familiale à La Rochelle en 2007. Mais, le mot fétiche de Duvignaud aidant, l'imaginaire qui est bien plus que réalité, ses amis véritables ne se lassent d'entendre résonner à leurs oreilles les phrases du maître, toujours illuminées par son rire et son accent sarcastique; et ils raisonnent à juste titre que son absence n'est que "la ruse de vivre" de celui qui avait assez d'énergie tonique pour survivre à une mort qui est, dans la nature, une palingénésie.

À suivre...



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