Origine de l'homophobie en islam
Si le Coran et la tradition du prophète dans ses plus authentiques recueils ne traitent pas d'homosexualité ainsi d'ailleurs que le restant des sources islamiques de confiance, d'où vient l'homophobie en islam? D'une certaine confusion dans laquelle se sont retrouvés les diseurs des traditions et d'un effort jurisprudentiel conforme à l'esprit de son époque. D'où les récits contradictoires, allant jusqu'à placer l'homosexualité au-dessus de l'adultère en gravité alors que s'il a été possible de considérer celle-là comme une turpitude ce n'était que par analogie avec celui-ci.(1) L'exagération est allée chez d'aucuns jusqu'au parallélisme entre l'homosexualité et l'incroyance. Cela s'est retrouvé chez certains chiites.(2)
En islam sunnite, nous prendrons en illustration le cas de Chafaï, dont il est attesté avoir dit au sujet de l'homosexualité: "Il n'a été rien authentifié du prophète sur son interdiction ou sa permission." Malgré cela, nous trouvons certains traditionalistes qui, sans mettre en doute ce qui précède, parlent de l'existence de deux récits, prétendant que le même Chafaii a tenu un propos contraire selon un second récit.(3)
Concernant la peine pour homosexualité, Ibn Hajar dit : "Une partie des plus éminents spécialistes de la tradition prophétique -- tels que Boukhari, Dhuhli, Bazzar, Nasa'i et Abi Ali de Nishapur -- disent qu'il n'est pas possible d'y authentifier quoi que ce soit".
Il ne reste pas moins que l'opinion fausse dominante demeure que l'homosexualité est prohibée aussi bien par le Coran que par la Sunna et l'Ijma'a, ce consensus sapientium ou accord des sages qui démontre la vérité à défaut d'autres preuves. Le consensus chez les Compagnons est la mise à mort de l'auteur; s'ils ont divergé, c'est sur la façon de l'exécuter, se partageant en diverses versions. En plus de ce que nous avons déjà dit concernant l'avis dissident des chafaïtes par exemple, signalons que les hanafites ne parlent de mise à mort qu'en cas de récidive.
Du fait de l'absence d'une disposition légale particulière en matière d'une telle turpitude présumée, les légistes se sont retrouvés contraints de recourir à l'adultère afin d'incriminer l'acte d'homosexualité, lui étendant, par syllogisme, la prescription expresse y relative.(4) L'islam n'a donc pas prévu de peine pour l'acte homosexuel; le maximum qu'on puisse dire en la matière est qu'il a laissé sa détermination au législateur qui en est arrivé, en sévérité, à l'autodafé du temps d'Abou Bakr, selon certaines narrations.
Les avis se sont partagés sur la peine, la plupart soutenant que l'auteur de l'acte homosexuel, acteur ou sujet, mérite d'être mis à mort; et ils ont soutenu que c'était le châtiment légal pour une telle désobéissance sur terre du moment qu'elle est prouvée devant le juge selon les moyens de preuves légales.(5) Mais le consensus est loin d'être établi pour tous.
S'agissant de la sanction, la mise à mort étant de manière classique, un autodafé ou par tout autre mode,(6) elle n'est appliquée à l'acteur et au sujet devant être tous deux majeurs, doués de raison et de discernement, qu'une fois faite la preuve de l'intromission de la verge dans le fondement, en tout ou en partie.(7) En cas de repentir de l'auteur de l'acte avant que sa preuve ne soit apportée, il n'encourt aucune sanction, et ce aussi bien en sa qualité d'auteur que de sujet; toutefois, le repentir après l'administration de la preuve ne fait pas tomber la sanction. Enfin, en cas de reconnaissance de l'acte homosexuel suivi de repentir, la décision de pardonner ou non relève du regard du juge.
Ce qu'il importe de relever ici, ce sont ces restrictions prévues par les savants pour l'application de la sanction en une époque où la pédérastie était considérée comme la turpitude absolue. Que dire donc aujourd'hui, alors que la science a prouvé que l'homosexualité ne relève pas de l'ordre des turpitudes?
Au demeurant, la procédure légale prévue pour la preuve de l'homosexualité vient renforcer les restrictions précitées à l'application de la sanction. La preuve de l'homosexualité selon la doctrine savante majoritaire se fait principalement par le moyen de le témoignage de quatre hommes ou par l'aveu,(8) comme c'est le cas dans l'adultère. Or, l'aveu doit être libre et sans rétractation, et les quatre témoins oculaires doivent témoigner de l'effectivité de l'intromission.
Pour ce qui est de l'homosexualité féminine, il n'y a évidemment pas d'intromission; ce qui fait qu'avec cette condition essentielle manquante, il n'est pas moyen de parler d'adultère.(9) Par ailleurs, il n'y a pas inévitablement pénétration dans un rapport entre hommes puisque l'homosexualité ne se réduit pas fatalement au rapport sexuel.
Notons que la condition du témoignage implique que le rapport sexuel a lieu sous les regards, soit en public, soit sous surveillance. Si la première hypothèse relève de l'impossible, la seconde est constitutive de la faute de violation de l'intimité des gens. Une telle faute doit annuler et ipso facto toute autre faute, du moins l'application de la sanction.(10)
Est-il besoin, à ce propos, de rappeler à quel point l'islam a toujours été très pointilleux sur la protection de l'honneur et de la réputation des gens contre tout calomniateur divulguant leurs défauts, colportant leurs vices?
Comme nous avons bien spécifié que tant l'adultère que l'homosexualité ne se prouvent légalement que par la pénétration, c'est-à-dire la pénétration de la verge dans le sexe féminin ou le postérieur, il n'est donc ni adultère ni homosexualité en l'absence de pareille intromission. Les livres d'histoire racontent bien à quel point le prophète et les Compagnons étaient sourcilleux dans la vérification de l'effectivité de cette condition par le témoignage oculaire ou par l'aveu.(11)
Au final, on est fondé à soutenir qu'il n'est point de crime d'homosexualité en islam; et dans l'hypothèse impossible de son occurrence, il n'est pas moyen de punition, sa preuve impliquant la commission d'une faute plus grave, à savoir la violation de l'intimité des gens, la transgression de la quiétude de leur vie privée. Or, cela est assimilé en islam à une agression, une iniquité et une perversion sur terre.
À suivre
Notes
- Cf., par exemple, ce qui est dit dans Al Kafi, le livre de cheikh Abi Jaafar Mohamed Ibn Yacoub ibn Ishak AlKoulayni.
- Op. cit. 5\544 op. cit.
- Nous retrouvons aussi le jugement général chez Ibn Tala'a qui a affirmé dans ses Jugements : "Il n'a pas été authentifié de la part du prophète, paix et salut de Dieu sur lui, qu'il a lapidé ni qu'il a émis un jugement en matière d'homosexualité".
- Rappelons que la peine prévue pour l'adultère marié, mâle ou femelle, est la lapidation selon le Coran et la flagellation selon la Sunna, avec la nécessité d'être marié pour la lapidation, mais pas pour le fouet. Ce qu'il faut savoir est que le Coran ne prévoit plus de peine de lapidation qui a été textuellement abrogée. Toutefois, les légistes pensent que la lapidation a été maintenue par le sens, et ce par le consensus des Compagnons. À noter aussi que certains Kharijites ne voient en la matière que la peine du fouet, rejetant la légalité de la lapidation du fait de son abrogation; en effet, ils ne se réfèrent à la Sunna et n'en acceptent que les dires dont l'authenticité est la plus élevée.
- Pour ce qui est de l'au-delà, l'auteur du péché est châtié par le feu de l'enfer s'il ne fait pas pénitence. Ce qui est surprenant c'est que les fuqahas acceptent le repentir dans l'au-delà et n'y croient pas sur terre; la créature ne doit-elle pas imiter son créateur dans la miséricorde et l'absolution?
- On a dit que le consensus des Compagnons était de mettre à mort l'auteur et le sujet, mais qu'ils se sont divisés sur la manière de la mise à mort.
- Et le fait d'être marié ou non pour chacun d'eux et musulman ou non n'emportent aucune conséquence.
- Chez les chiites, selon Mohamd Jawad Moghnia, cela se fait de la manière suivante : 1. L'aveu de l'acteur ou du sujet quatre fois, à la condition qu'il soit doué de raison, majeur, libre dans son acte; ainsi que c'est le cas dans l'adultère -- 2. Le témoignage de quatre hommes justes, le témoignage des femmes, en réunion ou séparément, étant absolument exclu. En cas d'absence de preuve et d'aveu, on ne fait pas prêter le serment à celui qui nie ce qu'on lui reproche -- 3. Le savoir du gouvernant lequel, dans le cas d'arrestation en flagrant délit, applique la sanction à l'auteur et au sujet, comme c'est le cas pour les adultères des deux sexes." À noter que les chiites considèrent que "le savoir du gouvernant a plus de force probante que la preuve".
- C'est peut-être la raison derrière ce qui apparaît être une relative tolérance dans la chronique islamique des juges et jurisconsultes en matière de saphisme. Il est à rappeler, s'agissant d'adultère, que la jouissance de l'homme avec la femme hors pénétration n'implique pas application de la sanction prévue pour l'adultère, et ne nécessite, à l'extrême limite, que l'admonestation et la réprimande prévues pour le fait qui n'est pas l'objet d'une prescription de peine tout en ayant été considéré relever du péché. À noter que la règle en matière d'admonestation et de réprimande est que cela ne doit pas aboutir à la mise à mort. Toutefois, certains fuqahas ont soutenu l'admission de la peine de mort en admonestation dans certains crimes précis et avec des conditions particulières.
- On se rappelle le fait attesté par l'histoire concernant le calife Omar qui n'a pas appliqué la sanction prévue pour la consommation d'alcool en raison de la violation par le plaignant de l'intimité des buveurs. Ce fait bien célèbre est abondamment cité dans les livres de jurisprudence avec d'autres cas similaires; la littérature et l'histoire littéraire abondent de cas similaires allant dans le même sens.
- On raconte ainsi ce qui arriva à Moughira Ibn Chhoba, Compagnon célèbre, qui fut accusé d'adultère devant le calife Omar. Or, les accusateurs ne purent apporter la preuve de la pénétration bien que le rapport physique avec la femme ne faisait pas de doute. Cela le sauva de la sanction et emporta l'application de la peine pour calomnie à ses accusateurs. Cette affaire et d'autres cas similaires occupent une bonne place dans les principales références de notre héritage culturel arabe.