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Le Sahara occidental vu de l'intérieur (dernière partie)

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Une société en mutation travaillée par la question générationnelle

La question générationnelle est au cœur des transformations de la société sahraouie dont les revendications sociales actuelles se sont distanciées du dilemme antérieur de fidélité Etat-Polisario. Pour les jeunes nés après les années 80, c'est l'absence de projet de société et de perspectives de mobilité sociale qui posent problème.

La question de l'identité ressort des situations concrètes vécues par les nouvelles générations. Avoir un oncle à Tindouf, un autre employé dans un ministère à Rabat, un troisième en prison, est un facteur d'écartèlement entre plusieurs identifications à des causes antinomiques. Le discours du Polisario a ainsi pu représenter une forme d'affirmation de soi alternative, ou par défaut, comme l'idéologie islamiste peut être une façon de s'opposer à l'Etat. Tiraillés entre plusieurs identités, beaucoup de jeunes se sont emparés de la question des droits humains dans laquelle ils ont trouvé un moyen de surmonter ce dilemme d'identification, et de réélaborer la formulation de leurs revendications en la reliant à une cause universelle qui dépasse les enjeux strictement locaux.

Le système de valeurs a été perturbé par l'Etat lui-même à travers le système de la rente qui a contribué à reproduire et à alimenter les préjugés contre les Sahraouis de la part des gens du Nord : paresse, incapacité à se prendre en charge, indolence, etc. "Certains pensent que l'amélioration des conditions de vie des Sahraouis n'a eu aucun effet mécanique sur leur intégration sociale, aucun impact sur les structures sociales sahariennes qui restent autonomes, imperméables à tout changement exogène, rétives à toute interpénétration par des éléments 'allogènes' "

Paradoxalement pourtant, la rente, tout en renforçant ce préjugé de la part des gens du Nord, représente un moyen de pression des "assistés" qui expriment leur frustration légitime lors des mobilisations collectives pour l'accès à l'emploi, à l'éducation et contre la mainmise des élites locales.

Considérer la société sahraouie comme figée dans le carcan de la tradition c'est ignorer les mutations qu'elle a subi et les nouvelles problématiques qui émergent au sein de sa jeunesse. L'identité collective sahraouie est en construction. Depuis 10 ans, le Sahara est secoué par des turbulences socio-économiques récurrentes, qu'il s'agisse des revendications pour l'obtention de licences de pêche, des emplois ou du logement, avec une référence explicite à une identité sahraouie enracinée territorialement, qui se distingue du registre séparatiste ou indépendantiste.

Aujourd'hui les mobilisations des jeunes Sahraouis peuvent être interprétées comme un indicateur d'intégration dans la mesure où elles se sont distanciées du séparatisme qui fut à moment donné l'unique voie de contestation, pour interpeller directement l'Etat central et faire entendre leurs inquiétudes. Ce sont là l'expression d'une demande citoyenne et non pas d'une revendication purement politique. Elles illustrent un conflit générationnel entre les plus âgés qui ont trouvé normal de bénéficier passivement de subventions de longue durée, et les plus jeunes qui estiment qu'ils ont le droit d'accéder à un emploi, de vivre de leur travail et de se projeter dans l'avenir de manière active pour être des citoyens à part entière.

La question des droits de l'homme, enjeu central de l'avenir du Sahara occidental

Le processus de libéralisation entamé avec la Constitution de 2011 a été complété par la création du Conseil National des Droits de l'Homme (CNDH) la même année, un organisme indépendant qui possède plusieurs bureaux au Sahara occidental. Il a été mis en place pour en finir avec l'instrumentalisation des droits de l'Homme aussi bien par le Polisario que par l'Etat.

Conçu comme une entité neutre et de proximité, il a eu d'énormes difficultés à s'imposer comme un interlocuteur légitime, car il dérangeait à la fois ceux qui s'étaient approprié l'exclusivité des droits de l'Homme et ceux qui ne voulaient pas en entendre parler.

La délicate mission du CNDH est de renforcer les capacités de la population locale en matière de droits humains, de jouer le rôle de médiateur entre la société civile et les forces de sécurité, et de rendre régulièrement compte aux Nations unies. Dès sa création et son installation dans plusieurs villes du Sahara occidental, le CNDH a pu rapporter officiellement les nombreuses violations des droits de l'homme, et constater une sensibilité exacerbée sur cette question, liées à la dimension internationale du conflit qui fragilise la paix sociale. Il met en place des programmes de formation aux droits de l'homme, cherchant à contrecarrer l'approche purement sécuritaire qui a prévalu jusqu'à récemment, ainsi que la sur-politisation de la vie quotidienne.

Ainsi, le protocole de programme conjoint du CNDH avec la police établi il y a deux ans, vise à faire la pédagogie des contraintes locales auprès des officiers et à combattre leurs préjugés envers la population sahraouie. "Un Sahraoui doit toujours prouver qu'il n'est pas pro-Polisario face aux policiers. Les gens perdent ainsi beaucoup de temps avec les injonctions identitaires, le manque de respect et les préjugés. Ici, le moindre incident prend une ampleur démesurée".

Au moment de notre enquête, des entretiens entre une délégation du CNDH et le préfet de police de Laayoune étaient en cours pour informer les autorités locales du rôle de la commission régionale du CNDH, renforcer leur collaboration, "et respecter (le) travail (de la commission) consistant à protéger les citoyens contre d'éventuels dépassements et toute violation de leurs droits". Cette rencontre s'est soldée par la création d'un outil permanent de communication entre la direction de la préfecture de police et celle de la commission régionale des droits de l'Homme « dont le rôle est la formation et la sensibilisation aux droits de l'Homme chez les éléments des forces de sécurité, et la rapidité de traitement des plaintes, à travers des contacts permanents permettant d'évaluer le résultat de la coopération et son impact sur les droits de l'Homme dans la région".

La prise en main des droits de l'homme par le Maroc au Sahara occidental a été motivée par sa volonté d'en ôter l'exclusivité aux séparatistes et d'empêcher le Front Polisario de confisquer cette cause. Le Maroc a compris que celle-ci ne devait pas rester l'apanage des indépendantistes ou de tout autre acteur extérieur (ONU, Etats-Unis, Algérie, etc), et qu'il lui fallait donc affronter cette question sans tarder. En témoigne la réaction virulente de Rabat à la proposition américaine d'avril 2013 d'élargir le mandat de la MINURSO aux droits de l'homme. Cette proposition pourtant vite retirée, met le Royaume sous pression, l'oblige à ne pas fléchir sur cette question, à rester vigilant sur les bavures des forces de sécurité, et à faire preuve d'exemplarité dans ce domaine au risque de miner la crédibilité de son plan de régionalisation avancée.

Sur le plan intérieur, la persistance d'un conflit de dimension régionale et internationale, a permis à la société civile de s'emparer de la question des droits de l'homme pour en faire une cause spécifique mais aussi nationale. Au lieu de demeurer un point de blocage, elle a été le moteur d'une prise de conscience qui a fait tache d'huile dans l'ensemble du Maroc. En cela, les répercussions internes du conflit du Sahara occidental peuvent être envisagées comme une aubaine dans la mesure où le conflit oblige à repenser les cadres sociaux anciens, la gestion trop souvent sécuritaire des revendications sociales, et à stimuler les avancées démocratiques nées d'une situation non-démocratique particulière et localisée. Le Sahara occidental est ainsi appelé à devenir un modèle si la régionalisation s'accomplit dans les règles.

L'émergence des droits de l'homme doit ainsi être replacée dans le contexte plus large de demande sociale liée aux nouvelles identités émergentes et aux aspirations de justice et de dignité. Le CNDH, dans la lignée de l'Instance Equité et réconciliation, cherche ainsi à forger chez les jeunes une confiance et un sentiment d'appartenance territoriale et sociale pour qu'ils ne se sentent pas étrangers chez eux.
Compte tenu de l'enjeu national que représente la question du Sahara occidental, et si l'on en juge par le montant considérable des investissements passés et l'ambition des nouveaux plans programmés pour les années à venir, le Maroc s'achemine lentement mais sûrement vers son plan d'autonomie.

Pour Rabat, il s'agit d'une question intérieure et les efforts poursuivis depuis trois décennies ne laissent aucune place à une quelconque remise en question du futur statut de ce territoire. Même le retour des populations des camps de Tindouf a été anticipé et préparé pour permettre leur intégration dans l'environnement économique et social du Royaume. Une agence et un fonds dédié au soutien social et à l'intégration de ces populations seront prochainement mis en place.

Pour Driss El Yazami, président du CNDH, lors d'une session de formation destinée aux officiers de la sécurité nationale en mars 2014 à Laayoune, le respect des droits de l'Homme est une mission qui concerne à la fois la Justice, la Sûreté et les militants. beaucoup reste à faire.

Malgré les progrès accomplis depuis 2011, le travail que mène le CNDH pourrait s'avérer insuffisant si une réforme du secteur de sécurité n'est pas entreprise au niveau national afin que les droits humains ne demeurent pas, pour des raisons de politique internationale, une cause d'avenir uniquement défendue au Sahara occidental.


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