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L'émission "Andi Mankollek" et la banalisation de la violence faite aux femmes

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"Le monde est dirigé par des gens qui lisent. Ceux qui ne lisent pas seront probablement amené à obéir à ceux qui lisent. Tout simplement parce que ceux qui lisent sont capables de se forger une pensée personnelle, alors que ceux qui regardent la télévision ont la pensée commune que le gouvernement veut répandre. Lire c'est se donner les outils de construire sa liberté et sa force".
Bernard weber


Les Nations Unis ne cessent de rappeler que la violence faite aux femmes est un drame social et qu'il est essentiel, pour chaque pays, d'œuvrer à le combattre et à l'endiguer. Aussi, dans les sociétés développées, la violence faite aux femmes n'est plus un sujet tabou, mais un problème sérieux et extrêmement sensible à résoudre. Il fait l'objet d'études et d'enquêtes de la part des autorités publiques et de la société civile qui se penchent sur le traitement du phénomène à travers des campagnes de sensibilisation que la télévision contribue à relayer, et ce dans le but de toucher le grand public.

Pourtant, il semble que la télévision tunisienne est encore loin de servir de plate-forme d'initiation et de sensibilisation aux réalités d'un problème dont l'impact psychologique agit d'une manière désastreuse sur l'équilibre individuel et collectif ainsi que sur les perceptions sociales liées au genre. Pire encore, certaines émissions de télé-réalité se transforment en un espace de banalisation, voire de légitimation de la brutalité masculine envers les femmes, en témoigne l'émission "Andi Mankollek" de la chaîne privée Al-Tounsiya.

La violence faite aux femmes comme fait naturel et argument commercial

Les spots de l'émission, passés en boucle toute la journée, donnent déjà un avant-goût sur le contenu du programme: un homme, à l'apparence rustre, raconte d'un air triomphateur les scènes de violence conjugale et le fait d'avoir contraint sa femme à quitter le domicile. Un jeune homme exprime, quant à lui, ses regrets d'avoir violenté son épouse. L'air "sympathique", il raconte comment, rongé par les remords, il a failli se jeter sous une voiture. Toute cette mise en scène est accompagnée par les performances de l'animateur de l'émission Ala Chebbi: à l'aide de ses attitudes théâtrales, de ses réactions sur-jouées et de ses éclats de rire, il doit réussir à appuyer le caractère burlesque propre aux émissions de télé-réalité et de ses protagonistes. Sauf que le paradoxe qui règne entre le type du sujet abordé et la finalité de divertissement frôle le malsain et donne un aperçu sur les maux qui gangrènent la télévision du tiers-monde.

Dans les sociétés conscientes de la gravité de la violence faite aux femmes et ayant de la considération pour l'identité féminine, ce genre d'écart médiatique ferait scandale: l'animateur et le comité rédactionnel présenteraient leurs excuses et l'émission serait suspendue. Or, nous vivons encore dans une société archaïque, régie par le dictat patriarcal et où le féminin reste, malgré l'élan réformiste relativement précoce, un genre inférieur. La violence faite aux femmes est alors appréhendée, non pas comme un fait-divers, mais comme un fait naturel ou bien comme un événement comique. Elle fait office d'argument commercial pour un produit audiovisuel et se transforme en un spectacle digne d'être acclamé par le public. Les applaudissements et les rires du public - souvent dictés derrière les caméras - véhiculent une connotation de récompense: la société tunisienne récompenserait ainsi les hommes qui font preuve de brutalité envers la femme.

L'émission "Andi Mankollek" pousse encore plus loin les limites de la perversité. Quelques invités deviennent des célébrités "hissées" au rang de coqueluche. Un reportage est consacré à Mohamed Amine, ce jeune homme qui racontait sereinement, le sourire aux lèvres, les violences qu'il exerçait sur son épouse. Au-delà de sa brutalité, il devient le héros ordinaire d'un feuilleton romantique où l'amour obsessionnel qu'il porte à sa femme légitime ses accès de fureur. L'audimat est conquis. L'émission passe alors à la vitesse supérieure: il s'agit de jouer le rôle de médiateur entre les jeunes époux séparés dans le but de les réconcilier. En Tunisie, on réserve traditionnellement ce rôle à l'institution judiciaire ou familiale qui intervient discrètement pour récupérer un couple à la dérive. Cependant, dans le monde de la télé-réalité, la vie privée devient publique et c'est le média de masse qui se substitue aux institutions traditionnelles.

Pour une télévision qui fait évoluer les mentalités

L'émission de télé-réalité "Andi Mankollek" contribue, de la sorte, à transmettre au public des messages contraires aux mesures légales et protectrices validées par les organisations internationales: éviter la banalisation de la violence faite aux femmes, aider les victimes à prendre les décisions nécessaires pour ne plus avoir à subir cette violence et pour éviter un dénouement quelquefois tragique.

La banalisation de la violence faite aux femmes dans la télévision tunisienne n'est que le reflet de notre société. Elle dévoile également la manière avec laquelle le cadre institutionnel aborde la question du genre. Dans certains pays, des codes déontologiques pour les médias de masse interdisent les représentations dégradantes et discriminatoires à l'égard des femmes. La société civile et les mouvements féministes s'occupent à surveiller la représentation médiatique des femmes. En Turquie, par exemple, des ateliers sur la problématique du genre et des médias sont organisés afin de sensibiliser les professionnels des médias à l'égalité homme-femme et à la violence faite aux femmes. En Hongrie, le ministère des affaires sociales et du travail décerne un prix pour encourager les médias de masse à prévenir contre les violences domestiques.

La conjugaison de tous ces efforts œuvre ainsi à construire une télévision qui dépasse la quête de la rentabilité et qui tend à faire évoluer les mentalités.

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