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Tunisie - Constitution: Refus d'abolir la peine de mort, avortement en danger... Les droits et libertés encadrés

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La séance de lundi, quatrième jour des débats sur la Constitution tunisienne à l'Assemblée a résulté sur l'adoption des articles 20 à 36 du chapitre des Droits et Libertés.

Si l'article 20 suscite une polémique relative du fait que l'égalité entre les citoyens ne serait pas réellement garantie dans la loi, les autres articles ont rapidement été adoptés et concernent des droits fondamentaux tels que la liberté d'expression, de manifestation, d'activité politique et syndicale ou encore le droit des détenus.

Rejet de l'abolition de la peine de mort et possible remise en cause du droit à l'avortement

L'article 21 du projet de Constitution dispose que "le droit à la vie est sacré" et qu'il "ne peut lui être porté atteinte que dans des cas extrêmes fixés par la loi".

Cet article, tel qu'il est énoncé, a fait l'objet de nettes divergences. Même s'il a été adopté par une large majorité (133 voix favorables sur un total de 217 membres), il n'a pas recueilli les deux tiers nécessaires à l'adoption de la Constitution dans son ensemble, à l'image du très controversé article 6 qui interdit notamment l'accusation d'apostasie et ouvre la voie à une criminalisation de l'atteinte au "sacré" (dans un sens religieux).

Les différends portent principalement sur l'abolition ou pas de la peine de mort et le droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG).

L'article volontairement flou, permet, selon la loi qui sera ultérieurement adoptée, soit de maintenir le droit à l'avortement et la peine de mort, soit de les interdire tous les deux, ou encore de limiter l'un ou l'autre.

"La formulation de cet article est vague car elle ne spécifie ni les cas ni les circonstances qui légitiment l’atteinte du droit à la vie. Les quatre organisations s’opposent à la peine de mort en toutes circonstances car elle constitue une violation inhérente du droit à la vie et du droit de ne pas subir de traitement inhumain, cruel ou dégradant", ont alerté dans un communiqué comme les ONG Al Bawsala, Amnesty International, Human Rights Watch et le Centre Carter.


Pour la constitutionnaliste Hafidha Chekir, l'utilisation du terme "sacré" comme la limitation selon des "cas extrêmes" fixés par la loi, revêt un réel danger pour le droit à l'IVG.

"Il aurait fallu dire que le droit à la vie était "le premier des droits", inhérent à la personne humaine. Ici, le terme "sacré" peut introduire une remise en cause du droit à l'avortement", a-t-elle déclaré au HuffPost Maghreb.

Deux amendements ont été déposés sur cet article. Celui de la députée Hasna Marsit énonçait clairement l'abolition de la peine de mort, mais ne prévoyait pas le cas de l'IVG, en protégeant dans l'absolu le "droit sacré à la vie". alors que la députée Nadia Chaâbane a préféré la formule: "Le droit à la vie est sacré pour tout être humain", visant à interdire la peine de mort et à dissocier, selon les interprétations, l'être humain du foetus.

"Nous voulons supprimer la deuxième partie de l'article, permettant de porter atteinte au droit à la vie, car cela serait une manière de constitutionnaliser la peine de mort et ce n'est pas envisageable. (...) La plupart des condamnés à mort en Tunisie l'ont été pour des raisons politiques. Nous pourrions être le premier pays arabe à abolir la peine de mort, comme cela s'est d'ailleurs fait dans quatre pays musulmans. La peine de mort est un meurtre au nom de l'Etat" a déclaré Nadia Chaâbane dans son intervention.

La députée a en outre indiqué que l'application de la peine de mort n'avait, statistiquement, jamais réduit le taux de criminalité. Elle a enfin évoqué le cas de Meher Manaï, un condamné dans les couloirs de la mort depuis 11 ans, déplorant le fait que de nouveaux éléments dans son dossier n'aient pas encore été étudiés. "Cela fait 11 ans qu'il attend la mort, alors qu'il clame son innocence et ce n'est pas acceptable!", a-t-elle conclut.



Les deux amendements ont été rejetés, ne parvenant à recueillir respectivement que 50 et 49 voix favorables.

Limite des droits et libertés

Les "libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication"et "le droit d'accès à l'information" de même que les "libertés académiques" sont "garanties" selon les articles 30, 31 et 32 adoptés à l'Assemblée.

Les articles 34 et 35 garantissent les libertés syndicales, politiques et associatives, ainsi que le droit de grève.

Mais ces libertés, contrairement à ce qui est énoncé, ne seront pas absolues. En effet l'article 48, non encore débattu, les limitera selon le principe de "nécessité", "sans porter à leur essence", "pour protéger les droits des tiers" ou pour des raisons d'ordre sécuritaires, sanitaires ou "morales". Ce dernier terme a été ajouté dans la version "consensuelle" et sera donc certainement adopté.

La représentativité des femmes

Enfin, l'article 33 portant sur les droits d'élections, de vote et de se porter candidat a été amendé pour que la loi "oeuvre à garantir la représentativité des femmes dans les Assemblées élues.

Cet amendement, s'il octroie une place aux femmes dans les différentes élections nationales ou locales, n'institue pas le principe de parité, qui pourrait être discuté ultérieurement.



Lobna Jeribi, députée Ettakatol



L'absence du mot "parité" dans l'amendement précédemment adopté a été à l'origine du clash du jour. Karima Souid, députée de la circonscription France Sud, ne maîtrisant pas l'arabe, a tenté de demander des explications à Mehrezia Labidi, vice-présidente de l'Assemblée. Elle a affirmé ne pas comprendre pourquoi le mot parité ne figurait pas dans l'amendement.

"Aujourd'hui, alors que je demandais simplement au rapporteur de m'expliquer un terme relatif à la disposition sur la parité, Meherzia Labidi vient s'interposer (...) en refusant de me donner la parole. Je me trouve contrainte de parler sans micro et de parler fort pour être audible. Elle me dénigre et m'agresse verbalement", a expliqué Karima Souid.


L'élue s'est basée sur l'article 77 du Règlement intérieur concernant la traduction des documents, pour accuser la présidente de la séance d'appliquer le règlement à la carte. Outrée de telles accusations, Mehrezia Labidi a invoqué ce même règlement pour annoncer que des mesures disciplinaires seront prises contre la députée dissidente.

Karima Souid a reçu par la suite le soutien de ses collègues, qui brandissaient des exemplaires du Règlement et défendaient le droit de l'élue à "comprendre". Dans son intervention, le député Mourad Amdouni a demandé à la vice-présidente de "s'appliquer ses mesures disciplinaires à elle-même". "Je ne les appliquerais à moi-même que si je le mérite", a rétorqué Mehrezia Labidi.



Les autres articles adoptés

L'Assemblée a également adopté, à une très large majorité, huit autres articles:
  • Le 22 "protège la dignité de la personne et son intégrité physique",

  • Le 23 protège la vie privée et les données personnelles,

  • Le 24 interdit de déchoir les citoyens tunisiens de leur nationalité ou de les exiler

  • Le 25 énonce le droit d'asile politique

  • Le 26 se rapporte à la présomption d'innocence et les droits des prévenus

  • Le 27 précise que la peine est personnelle

  • Le 28 délimite les conditions de détention

  • Le 29 garantit les droits des prisonniers


Retrouvez les articles du HuffPost Maghreb relatifs à la Constitution tunisienne sur cette page


"Fatigués" selon Mehrezia Labidi, les députés ne tiendront pas de séance nocturne et devraient théoriquement reprendre leurs travaux ce mardi, à 10h. L'ordre du jour aléatoire n'étant pas annoncé et rarement respecté, ils pourraient reprendre l'adoption des articles du chapitre Droits et Libertés ou élire les membres de l'Instance électorale (ISIE).

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