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Pour moi, tout s'est écroulé quand j'ai arrêté d'être maigre

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La première fois qu'on m'a parlé de mon poids, c'était pour me dire que je n'étais pas grosse. Ça venait d'un garçon et j'étais amoureuse de lui. J'avais quatorze ans, j'étais grande et encore assez mince malgré la puberté.

Il m'a dit : "Tu n'es pas grosse. Tu as juste besoin de faire du sport."  (Je ne lui avais rien demandé.)

Dans mon bikini, au bord du lac, je suis restée paralysée. J'avais envie de disparaître sous le sable.

La remarque m'a d'autant plus choquée que j'avais été maigre toute ma vie. J'étais toujours la fille dégingandée qui se baladait avec insouciance dans le quartier en petit short, en faisant des grands moulinets.

Les adultes faisaient souvent des commentaires sur mon allure. On me félicitait fréquemment d'être grande, mince et blonde. Les dames me prenaient par le menton et tournaient mon visage d'un côté puis de l'autre, d'un air admiratif.

"Quelles jolies pommettes", s'exclamaient-elles. "Quand tu seras plus grande, tu seras contente d'être si grande et si mince. Tu auras l'air d'un mannequin."

J'étais grande, mince et élancée. Des adjectifs qui ont fini par me définir entièrement sans que je m'en rende vraiment compte. A vrai dire, ce n'est qu'après coup que j'ai compris à quel point ils étaient importants.

Après la remarque de ce garçon, j'ai arrêté de mettre des shorts. Bien sûr, je continuais à porter ma tenue de basketball en polyester pendant les matchs de l'équipe, mais je tirais dessus et je me précipitais au vestiaire pour enfiler des sweat shirts qui dissimulaient mes courbes naissantes. Mes jambes allumettes étaient en train de doubler de volume.

Un jour, une fille à la cantine m'a dit: "Tu pourrais être un mannequin grande taille."

A l'époque, j'étais encore grande et musclée, mais j'avais une carrure de sportive, pas très svelte... ce qui me va tout à fait. Mais j'étais entourée de filles minuscules qui parlaient de leur taille menue et de leur silhouette, et qui portaient des tailles fillette, sur des corps tout fins. J'avais l'impression d'être un joueur de rugby. J'imagine que cette fille pensait me faire un compliment, mais j'ai juste retenu qu'elle me trouvait grosse. Elle ne pouvait pas savoir que j'étais en train de manifester les premiers symptômes d'un trouble des comportements alimentaires dont j'allais mettre des dizaines d'années à me débarrasser.

Pour tout vous dire, je refusais d'être imparfaite. Parce que plus personne ne voudrait de moi. Si j'arrivais à incarner mon idéal, tout s'arrangerait. Ma mère arrêterait de boire. Mon père ne partirait pas. Mon frère et ma sœur reviendraient s'installer à la maison. Peut-être même qu'un garçon s'intéresserait à moi! Je me ferais de nouveaux amis. J'aurais de meilleures notes. Tout le monde m'aimerait et personne ne me ferait des remarques. Les gosses des voisins arrêteraient de crier "Ta mère, c'est une alcoolique!" chaque fois que je passerais devant chez eux. Si j'arrivais seulement à être parfaite, tout s'arrangerait. J'en étais sûre.

Mon cerveau se répétait constamment le même refrain: il faut que tu aies l'air parfaite, que tu te sentes parfaite, que tu sois parfaite. Sinon, t'es qu'une pauvre fille, une minable, une pauvre merde qui finira seule. Si tu manges, si tu ravales tes sentiments et que tu t'empiffres pour compenser l'amour que tu n'as pas, alors t'as vraiment tout raté.

J'étais entrée dans un cercle vicieux: j'essayais de ne plus rien avaler pour qu'on m'aime, je me bâfrais quand la nourriture me faisait vraiment trop envie, et je tentais de contrer les effets de tout ce cirque en me faisant vomir. C'était un cycle brutal, où les échecs succédaient aux déceptions. Et je me retrouvais seule au beau milieu de la nuit, avec le sentiment d'être abandonnée de tous. Et puis je recommençais. Je savais parfaitement que j'étais une bête immonde que personne ne pourrait jamais aimer. Je pensais que je méritais toute cette solitude et ce désespoir.

Le pire, c'est que trente ans plus tard, je ne pense pas être grosse, mais je me dis que je devrais quand même faire du sport. Sauf que ce n'est plus la fin des haricots. Je sais qu'on m'aime de toute façon. Et, d'une certaine manière, je m'aime bien aussi.

Tout ça, grâce à une thérapie, bien sûr. Qui m'a demandé pas mal d'efforts et un peu de courage. Pendant très longtemps, la honte de reconnaître que j'avais un problème m'a paralysée. Ça aussi, c'est tordu: cette honte vous empêche de dire les choses, et le silence vous rend malade. Mon travail thérapeutique m'a permis de comprendre qu'en cessant d'avoir honte, je me débarrasserais de ma maladie.

Je suis en voie de guérison depuis plus de dix ans mais je n'en parle quasiment jamais. C'est bizarre, la honte. Elle s'accroche à nous comme une drôle d'odeur, et on est terrorisé à l'idée que d'autres personnes puissent la remarquer. J'ai encore des envies de perfection. Je n'ose pas avouer que j'ai souffert d'un trouble des comportements alimentaires, de peur de vous dégoûter.

Mais je sais que c'est une illusion.

Personne n'aime la perfection. Les objets parfaits, c'est effrayant. On a peur de les faire tomber, ou de les abîmer. Les choses un peu usées, c'est bien plus confortable. Le verre ébréché. La peluche avec une oreille en moins. La fille qui n'a pas eu une vie parfaite.

On peut s'identifier aux choses imparfaites.

La perfection est un mirage. Vous pouvez lui courir après, mais vous ne l'atteindrez jamais. Et si vous pensez qu'il faut attendre d'être parfaite pour être aimée, vous serez seule toute votre vie. C'est marrant: plus je me suis autorisée à être imparfaite, plus je me suis épanouie.

En me regardant l'autre jour, entourée de mes enfants, avec le chat sur les genoux, mon mari m'a dit : "Tu as trouvé le moyen de ne pas être seule, et c'est ce que tu as toujours cherché."

Je n'ai pas réussi à être parfaite, mais j'ai réussi à être aimée.

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