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Rapport 2014 de l'ACAT sur la torture en Tunisie: "une justice inachevée"

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Certains noms sont déjà connus, d’autres apparaissent pour la première fois. Dix cas détaillés de torture avant et après le 14 janvier ont été répertoriés dans le rapport de l’ACAT (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) et de Trial (Track Impunity Always) sur la "justice inachevée en Tunisie". Dans le contexte actuel, où la loi sur la justice transitionnelle vient d’être adoptée, les victimes de la torture attendent encore le mot de la fin.

La difficile marche vers la justice

Ce n’est pas le premier rapport sur le sujet, ce n’est sans doute pas le dernier. Depuis la révolution, la torture n’est plus un sujet tabou en Tunisie. Les victimes en parlent et acceptent même de montrer leurs visages comme dans l’exposition photographique d’Augustin Le Gall "Sous le Jasmin" qui a été présentée en Tunisie l’an dernier.

Et pourtant, parler ne suffit plus quand la justice ne suit pas. De Walid Denguir, décédé en novembre 2013, dont le cas avait été médiatisé à Rached Jaidane et Kousai Jaibi qui tentent de trouver une justice depuis plus de trois ans, la question de la torture reste tristement d’actualité en Tunisie comme le montre le rapport. Ils sont dix dans ce rapport mais il y aurait plus de 200 victimes pour la seule année 2012 selon la militante Radhia Nasraoui.

La peur des représailles, toujours présente

A la lecture du texte et des cas, le manque de justice est évident et résulte de plusieurs facteurs. En faisant le lien entre les cas de torture pendant la dictature et ceux d’après la révolution, le rapport montre un manque de changement et la persistance de certaines pratiques.

Harcèlement, intimidation, les procédés sont multiples pour empêcher l’accusé de porter plainte, surtout dans le cas de personnes qui tentent de dénoncer des sévices subis avant la révolution.

"Dans les dossiers pour lesquels des plaintes ont été déposées ou sont en cours d’examen par la justice tunisienne, les victimes sont confrontées à de sérieuses difficultés. Le processus vers la sanction et la réparation des crimes qui leur ont été infligés est parsemé d’obstacles tenant, pour certains et selon les informations dont nous disposons, soit à un manque de diligence, soit à l’iniquité patentée de certains magistrats qui œuvrent activement à couvrir les crimes de torture dont ils sont saisis. Dans d’autres cas, ce sont les policiers qui harcèlent les victimes, vraisemblablement pour les punir d’avoir porté plainte."


Il en est ainsi pour le journaliste Slim Boukhdir, cité dans le rapport, qui tente de faire la lumière sur son agression en 2009 et qui reste étroitement surveillé par la police depuis. Le cas de Ghaith Ghazouani est aussi probant. Le jeune homme pointé du doigt comme bien d’autres jeunes de son quartier en 2005 à cause de sa fréquentation trop assidue de la mosquée, est arrêté en Algérie. Il sera ensuite torturé en Tunisie. Aujourd’hui, son désir de justice est limité par la crainte de représailles comme le relate le rapport :

"Il souhaite aujourd’hui porter plainte pour les tortures subies en 2005, mais il craint de subir dans la foulée des représailles de la part de la police, principalement de la police politique qui, semble-t-il, a repris du service dans son quartier. En effet, ces dernières semaines, plusieurs connaissances de Ghaith Ghazouani ont été interpellées sans mandat et interrogées quelques heures sur les activités et les fréquentations de ce dernier. Selon son père, Ahmed Ghazouani, des policiers ont fait irruption au domicile de trois jeunes hommes, deux étudiants et un commerçant résidant dans l’Ariana, dans la nuit du 11 décembre 2013, vers 1 h 30 du matin. Les policiers ont enfoncé la porte de ces trois hommes et les ont menottés avant de les conduire au commissariat et ce, sans mandat. Là-bas, les agents les ont interrogés sur leurs pratiques religieuses et leurs fréquentations, puis leur ont posé des questions sur Ghaith Ghazouani. Ils ont ensuite été libérés à l’aube sans qu’aucune explication ne leur ait été fournie sur les raisons de leur arrestation.L’ACAT et TRIAL craignent qu’il ne s’agisse là de pratiques illégales visant à intimider Ghaith Ghazouani et à le dissuader de porter plainte pour les actes de tortures subis."


Quand à Zyed Debbabi, un autre jeune arrêté et torturé pour avoir "soi-disant" consommé de la drogue en septembre 2013. Il subit les conséquences d’avoir en partie gagné son procès contre ses tortionnaires même si ces derniers n’ont pas été condamnés: "Les auteurs présumés de la torture ont été mutés et rétrogradés. Depuis lors, la famille de Zyed Debbabi reçoit régulièrement des menaces de mort."

Il en est de même pour Ramzi Romdhani, un autre cas, qui n’ose même plus entamer des procédures judiciaires. Il fait l’objet d’un harcèlement continu dans son quartier de Mourouj depuis qu’il a déposé une plainte pour torture en 2011 contre des sévices subis lors de son arrestation en 2007.

Défaillances juridiques

Malgré l’arsenal juridique mis en place contre la torture en Tunisie comme le cite le rapport, le manque de justice est palpable surtout dans les procès post-révolution. Après avoir dépassé la peur de porter plainte, la victime se trouve confrontée à un système judiciaire défaillant. Manque de suivi des dossiers, reports multiples du jugement, sont le quotidien de ceux qui s'aventurent sur ce chemin.

Pour Hélène Legeay, responsable des programmes Maghreb-Moyen-Orient à l’ACAT, peu de choses ont changé depuis le précédent rapport de l’ACAT en 2012 (Vous aves dit justice? Etude du phénomène tortionnaire en Tunisie ) qui dénonçait aussi certaines failles de la justice.

"Le rapport publié par l’ACAT en juin 2012 mettait en exergue les obstacles législatifs, judiciaires et politiques à la lutte contre l’impunité. Ce second rapport publié un an et demi plus tard, le 14 janvier 2014 relève les mêmes écueils. L’ACAT et TRIAL effectuent un travail de terrain très poussé depuis plus de 18 mois à travers le suivi juridique de 14 cas de torture perpétrés pour certains avant et pour d’autres après la révolution. Certains de ces cas étaient déjà mentionnés dans le rapport de 2012 et on peut regretter que la situation n’ait guère évolué pour eux.”

Plus qu’une défaillance, le manque de réforme inhérent au système judiciaire depuis la révolution est visible dans les procès pour torture où certains magistrats manquent d’impartialité et sont parfois même complices :

"En général, les plaintes enregistrées sont encore trop rarement instruites et lorsqu’elles le sont, l’instruction est souvent entachée d’irrégularités. Les procureurs et les juges d’instruction bâclent trop souvent l’enquête. Ils ne vont pas systématiquement interroger les témoins mentionnés par la victime et ne vont pas non plus chercher à identifier tous les auteurs et complices impliqués dans la torture. Ce manque de sérieux peut être dû au manque de diligence ou de compétence des magistrats ou bien à leur malhonnêteté. En effet, certains juges font traîner ou bâclent les enquêtes pour couvrir les tortionnaires et leurs complices, parce qu’ils travaillent régulièrement avec les policiers mis en cause ou parce qu’ils n’estiment pas que le recours à la torture pour obtenir des aveux soit tout à fait condamnables."


Une avancée avec la loi sur la justice transitionnelle et l’Instance contre la torture?

Parmi les cas cités dans le rapport, certains sont morts comme Walid Denguir, d’autres sont encore en prison comme Taoufik Elaïba ou Walid Kattali. D’autres encore attendant depuis plus de vingt ans un vrai procès comme Rached Jaidane et Kousai Jaibi.

Victimes de la justice, ils sont pourtant désormais connus via ces rapports et peuvent témoigner à découvert, chose impossible avant la révolution. Au niveau institutionnel, le changement est perceptible mais présente certaines limites. Le vote de la loi sur la justice transitionnelle en décembre dernier pourrait faire changer les choses puisqu’elle doit mettre en place un mécanisme pour juger les crimes du passé.

Pour Hélène Legeay, cette loi n’est pas entièrement satisfaisante notamment dans le mélange qu’elle fait entre crimes de corruption et violation des droits de l’homme. Tout comme l’instance de vérité qui semble avoir trop de missions pour sa structure.

"Le mandat de l’Instance de vérité créée par la loi est trop vaste pour être honoré et les questions essentielles de réformes institutionnelles et de poursuites pénales des tortionnaires y sont reléguées au second plan."

La justice en matière de torture se fera-t-elle alors du côté de l’Instance contre la torture instaurée depuis le 9 novembre 2013? Aujourd’hui, le manque de candidatures pour faire partie de l’instance handicape son lancement et met en doute la mobilisation citoyenne face à la torture.

"J’avoue que je ne sais pas à quoi tient ce manque d’enthousiasme. Peut-être que la rémunération est insuffisante. Peut-être que les avocats défenseurs des droits de l’homme qui pourraient postuler sont réticents à abandonner totalement leur office pendant une période déterminée. Peut-être qu’ils sont dissuadés par le mandat un peu trop large de l’Instance", commente Hélène Legeay. En effet la député nahdhaouie Souad Abderrahim a affirmé au HuffPost Maghreb qu’il s’agissait d’un travail “bénévole”.

Une justice lente

Dans le contexte sécuritaire actuel en Tunisie, où la lutte antiterroriste est de nouveau érigée comme un justificatif aux abus policiers, le rapport montre que les obstacles juridiques sont parfois encore plus dommageables pour la victime qui peut renoncer à la justice par désespoir comme dans le cas de Sidqi Halimi torturé selon son témoignage, par des policiers et des militaires à Kasserine en 2011. M. Halimi n’arrive toujours pas à obtenir justice.

Pour faire face à ces dysfonctionnements, le rapport propose plusieurs recommandations juridiques au gouvernement et à la justice tunisienne notamment l’amendement de certains articles du code pénal.

L’impératif pour mettre fin à la lenteur des procédures judiciaires et aux harcèlements policiers conclue le rapport et témoigne que même après la révolution, la torture persiste. Ces cas ont été passés au crible afin qu’il n’y ait aucun doute sur la véracité des histoires, en attendant une vraie justice.




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