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Comment finira la guerre du Moyen Orient ? L'histoire chrétienne fournit des indices

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Jack Miles est l'éditeur général de l'œuvre récemment publiée The Norton Anthology of World Religions, travail de référence magistral, résultat de 7 ans d'études d'une équipe de 7 académiciens reconnus à l'international. Miles est lauréat du prix Pulitzer 1996 pour son livre God: A Biography. Il a été, de 2003 à 2007, fellow MacArthur.

La guerre à l'intérieur de l'islam, qui oppose islamistes radicaux et confessions sunnites et chiites, fait des milliers de morts et des millions de déplacés.

Les Américains sont horrifiés et étonnés face au spectacle de tant de musulmans prêts à prolonger une guerre sanglante au nom de légères divergences religieuses. "Pourquoi font-ils cela?", se demande-t-on. Et, de manière plus urgente: "Où cela va-t-il finir?"

Une bonne manière d'aborder ces questions amène à se demander pourquoi nous ne faisons pas ça. C'est en effet un constat surprenant, sachant que notre peuple est à la fois très attaché à la religion et n'est pas avare en violence. Les Etats-Unis sont à la fois le plus religieux des pays développés - taux élevé d'affiliation et de participation religieuse - et le plus violent - taux élevé d'homicides. Pourquoi nous, pourtant statistiquement si prompts à nous entretuer pour n'importe quelle raison, ne le faisons-nous pas pour la religion?

AVANT: Catholiques contre protestants. Maintenant: Sunnites contre chiites

La réponse est dans nos origines. Lorsque les colonies chrétiennes ont fondé l'Etat américain, protestants et catholiques d'Europe occidentale se déchiraient pour des raisons religieuses, détruisant au passage l'infrastructure de leurs pays. Comme le font, aujourd'hui, les sunnites et les chiites en Irak et en Syrie.

La décapitation d'un reporter américain nous horrifie. Imaginez combien nous serions horrifiés par la décapitation d'un Président américain. C'est pourtant ce que firent les Calvinistes (Puritains) de Grande-Bretagne pour édifier leur pays, lorsqu'ils décapitèrent le roi anglican Charles 1er en 1649. L'exécution eu lieu au beau milieu de la guerre civile religieuse qui dura 9 ans (1642-1651) et fit perdre à l'Irlande (victime d'un règne de la terreur comparable à celui de l'Etat Islamique) et à la Grande-Bretagne proportionnellement plus de citoyens que la Première Guerre Mondiale.

Si la guerre civile anglaise a été dévastatrice, la guerre de Trente ans, qui se déroulait à la même époque (1618-1648) sur le continent européen, a été d'autant plus violente. Partie d'un conflit régional en Bohème, à l'instar du conflit local entre sunnites et alaouites en Syrie, cette guerre mis l'Europe à feu et à sang de la mer Baltique jusqu'à la Méditerranée. Si la Turquie et l'Iran finissent par s'investir dans le conflit du Moyen-Orient, le conflit actuel s'étendra de la mer Egée au Golfe persique. Au 17ème siècle, l'effondrement quasi-total des sociétés civiles des régions les plus touchées d'Europe ont mené à la peste et à la famine. Le conflit au Moyen-Orient et au Pakistan y a aujourd'hui permis la résurgence de la polio.

"A l'image des catholiques et des protestants dans leur guerre de religions, les sunnites et les chiites doivent s'épuiser mutuellement avant de constater qu'aucun des deux ne peut dicter sa croyance à l'autre".

Aujourd'hui, les déroutantes alliances américaines - officielles comme officieuses - avec sunnites comme chiites invitent à leur demander: Mais de quel côté êtes-vous? Puisque l'Irak chiite soutient les chiites de Syrie mais que les Américains en ont fait leurs ennemis, de nombreux chiites irakiens croient que les Etats-Unis ont créé l'Etat islamique (sunnite) dans le but de renverser le régime partiellement chiite en Syrie et au prix de fragiliser la domination chiite en Irak. Pendant ce temps, les Etats-Unis ayant mis en place et soutenu en Irak le premier gouvernement chiite depuis plusieurs siècles, certains sunnites ont conclu que les Américains avaient déclaré la guerre à "l'Islam" même, persuadés qu'ils sont que le véritable islam est sunnite.

Sur le fond de tels malentendus, les Etats-Unis sont pour le moins mal placés pour s'allier à une coalition sunnite-chiite non-sectaire contre l'Etat islamique. L'hypothèse de Barack Obama, selon laquelle seuls sunnites et chiites peuvent résoudre leur propre guerre, est pourtant correcte.

Mais le feront-ils? Les violences entre chrétiens du 17ème siècle n'étaient pas moins déconcertantes que celles entre musulmans aujourd'hui. Des rois catholiques pouvaient parfois épauler des protestants contre d'autres catholiques et vice-versa, au fur et à mesure que les enjeux religieux disparaissaient dans la mêlée d'attaques, de contre-attaques, et de retour des agendas classiques de politique de pouvoir. Lorsque la France catholique s'est retournée contre l'Autriche catholique, l'Empire ottoman a pris le rôle d'arbitre aujourd'hui assumé par les Etats-Unis.

Plus important encore, sunnites et chiites refusent de se reconnaître réciproquement en tant que musulmans, comme protestants et catholiques refusaient de se reconnaître mutuellement chrétiens. Hier comme aujourd'hui, la rhétorique polémique glaçait le sang et les exécutions publiques faisaient partie intégrante des propagandes d'intimidation.

Hier comme aujourd'hui, chaque camp voyaient en ses tueurs des saints et en ses victimes des martyrs, niant toute dignité aux mécréants et aux hérétiques du camp opposé. Sunnites et chiites fuient aujourd'hui les régions dominées par l'ennemi de la même manière que les civils catholiques et protestants se fuyaient en masse pendant (et après) la Guerre de Trente Ans.

Vers la fin, le Saint-Empire germanique, bien plus grand que l'Allemagne du 21ème siècle, avait perdu un tiers de sa population. D'autres régions avaient souffert de pertes à peine moins élevées. Ce n'est qu'au 20ème siècle que l'Europe fit face à une violence plus forte que celle des "Guerres de religion européennes".

Comment les guerres de religion européennes prirent fin

Les guerres se terminèrent lorsque les grandes puissances européennes se rendirent compte que leurs rêves d'une Europe entièrement protestante ou entièrement catholique s'étaient transformés en un seul cauchemar dont le continent devait se réveiller pour ne pas en mourir. Le réveil commença avec les Traités de Westphalie en 1648, qui imposèrent la fameuse formule pour la paix en Europe: Cuius regio, eius religio - Tel prince, telle religion. Les autorités d'un Etat, qu'il s'agisse d'un roi ou d'un parlement, auraient désormais le droit de déterminer la religion du pays et n'auraient pas le droit de déterminer celle d'un autre pays.

La formule des Traités de Westphalie ne consacrait en aucun cas les libertés religieuses individuelles. La religion des sujets ou citoyens était soumise à l'autorité de leur Etat, et il semblait évident que tout gouvernement saurait imposer sa religion d'Etat. Les sujets ou citoyens n'avaient en aucun cas le droit à leur propre religion. Mais aussi limitée qu'elle ait pu être, la Paix de Westphalie marqua la fin des guerres religieuses en Europe. Les traités instaurèrent par ailleurs ce que les politologues appellent le "système westphalien", selon lequel les Etats - et toute entité telle les Nations-Unies -s'abstiennent d'intervenir dans les affaires intérieures d'un Etat reconnu. A ce moment précis, un débat portant sur la religion eut des conséquences bien plus vastes à long-terme.

"Les Traités de Westphalie ont partiellement redessiné la carte de l'Europe. La paix au Moyen-Orient pourrait suivre un chemin similaire".

L'avertissement des Guerres de religion chrétiennes et l'exemple instructif des Traités de Westphalie ont profondément marqué les colonies américaines de Grande-Bretagne. Si certaines avaient été fondées en référence explicite à la foi chrétienne, aucune n'a jamais tenté d'imposer ses croyances par voie militaire à une colonie voisine. Après avoir obtenu l'indépendance de la Grande-Bretagne, les auteurs de la Constitution abordèrent la question religieuse de manière comparable aux Traités de Westphalie.

A l'instar des Traités de Westphalie, qui n'avaient pas tenté d'imposer au continent un christianisme de compromis généralisé, la Constitution américaine n'a pas établi de religion d'Etat, mais autorisé les Etats à conserver leurs religions respectives. Avec le temps, les Etats ont progressivement désinstitutionnalisé leurs diverses croyances chrétiennes et ont ainsi laissé place au premier Etat occidental et culturellement européen sans religion d'Etat établie.

Ceci est dû partiellement au prestige de la Constitution. Mais c'est également dû à la consécration du nationalisme. L'Europe ne souhaitait "plus jamais ça" et les Lumières allaient promouvoir concrètement la tolérance religieuse. Le patriote a remplacé le Saint. On préférait désormais mourir pour la nation plutôt que pour la religion. Tuer pour son pays était devenu justifiable sinon vertueux, comme tuer pour sa religion l'avait été auparavant.

C'est peut-être arrivé à ce point de la réflexion que les Américains peuvent trouver le semblant d'une réponse à: Pourquoi le font-ils? Les Américains ont été horrifiés par le processus quasi banalisé des décapitations perpétrées par l'Etat islamique et par la légèreté des commentaires publiés sur internet par leurs partisans. Mais nous nous sommes habitués à entendre nos forces armées banaliser jusqu'à leurs actions guerrières les plus violentes en expliquant par exemple que "nous avions un boulot à faire, et nous l'avons fait". Quant à l'humour et la légèreté, ce sont des traits de caractère aussi américains que le film MASH.

Je ne souhaite aucunement tirer de parallèle entre l'Etat islamique et les forces armées américaines, loin de là. Mais je remarque que la violence et la piété musulmane sont liées au sein de l'Etat islamique de la même manière que le sont la violence et le patriotisme américain aux Etats-Unis.

On notera par ailleurs - avec tristesse - qu'un conflit entre musulmans datant du 7ème siècle a peut-être tardivement atteint son apogée et devra peut-être suivre son cours lentement et brutalement. Entre le Golfe Persique et la Méditerranée, le nombre de chiites et de sunnites est quasiment équivalent, rendant difficile pour l'un comme pour l'autre d'obtenir une victoire claire et rapide. A l'image des protestants et des catholiques lors de leurs guerres de religion, sunnites et chiites doivent s'épuiser avant de se rendre compte qu'aucun ne peut décider de la religion de l'autre. Et il faut qu'ils en viennent à cette conclusion par eux-mêmes - sans intervention américaine ou formation de coalition.

L'éventualité de séparer chiites et sunnites

Les 50 dernières années ont vu une fabuleuse diversification démographique dans l'Occident. Un ami musulman d'origine pakistanaise m'a récemment fait remarquer qu'en 1970, le Canada ne comptait que 35.000 musulmans, avec une seule mosquée à Toronto. Aujourd'hui, plus d'un million de musulmans peuplent le Canada, et on décompte 35 mosquées à Toronto.

Mais au Moyen-Orient, le siècle dernier a été celui de la simplification démographique progressive. Avant la Première Guerre Mondiale, les Juifs représentaient un tiers de la population de Bagdad, et il en restait encore 150.000 en Irak en 1948. Aujourd'hui, il n'y en a plus.

Bien sûr, la naissance de l'Etat d'Israël a provoqué de vastes évacuation/expulsions de Juifs dans tous les pays à majorité musulmane du Moyen-Orient. Mais une telle crise n'explique pas pourquoi, alors que les chrétiens constituaient 20% de la population dans la région au début du 20ème siècle, ils ne sont aujourd'hui plus que 4%, en déclin progressif. Les coptes quittent l'Egypte. Les Grecs et les Arméniens ont quitté la Turquie. Le christianisme pourrait bientôt avoir virtuellement disparu de Bethlehem. La simplification démographique du Moyen-Orient est indéniable.

"Une traumatisante migration massive semble être déjà en cours et pourrait être la seule formule actuellement disponible pour la paix"

Il n'y a aucune garantie pour que les chiites et les sunnites ne subissent pas le même sort que les juifs et les chrétiens. Les Traités de Westphalie ont partiellement redessiné la carte de l'Europe. La paix au Moyen-Orient pourrait suivre un chemin similaire. Après les Traités de Westphalie, la persévérance de discrimination entre chrétiens dans les Etats abritant à la fois protestants et catholiques ont mené à l'expulsion ou la migration volontaire de milliers d'entre eux vers des Etats plus accueillant pour leurs croyances. Ce processus a créé une Europe divisée en enclaves religieuses, grandes ou petites, quasiment homogènes. Une telle division au Moyen-Orient serait aujourd'hui impensable sans une traumatisante migration massive - mais celle-ci semble déjà en cours et pourrait être la seule formule actuellement disponible pour la paix.

L'Etat islamique a massacré ou expulsé les chiites et les chrétiens de Mosul, mais les autorités irakiennes ont engagé une expulsion progressive et souvent violente des sunnites de Bagdad, ville bien plus grande. Le processus d'expulsion mutuelle désormais amorcé, il devra peut-être se prolonger jusqu'à ce que les éléments humains combustibles soient entièrement séparés et que le feu s'éteigne enfin. Dans le passé, la partition a été une solution de dernier recours (pensez à l'Inde et au Pakistan). Il se peut que ce soit à nouveau le cas.

Selon le modèle européen, la diversité et la tolérance peuvent se réintroduire lentement dans les Etats religieusement et ethniquement "purifiés" qui en auront découlés - mais lentement peut vouloir dire très lentement. Ce n'est qu'en 2000 que la Suède, un des signataires des Traités de Westphalie, a démis l'Eglise luthérienne de son statut de religion d'Etat.

"Selon le modèle européen, la diversité et la tolérance peuvent se réintroduire lentement dans les Etats religieusement et ethniquement « purifiés » qui en auront découlés".

L'expert en terrorisme Jessica Matthews a récemment dressé les contours d'un processus de paix qui verrait le régime de Bachar al-Assad (et son allié iranien) s'allier à l'opposition sunnite (et son allié saoudien) pour combattre l'Etat islamique. Peut-être qu'une telle coalition pourrait fonctionner. Un rapprochement entre les principales forces sunnites et chiites au Moyen-Orient (considérant provisoirement la Turquie comme un pouvoir séculaire) pourrait même présager une version moyen-orientale de la Paix de Westphalie. Je soutiens en revanche qu'un tel rapprochement ne peut aboutir que si ces deux puissances et leurs clients s'imposent véritablement ce rapprochement et ne sont pas dans une logique de temporisation face aux efforts diplomatiques américains motivés de les y obliger pour des raisons américaines.

Une paix durable fera suite à la défaite de l'Etat islamique si et seulement si cette défaite s'avère la prémisse d'une dynamique plus profonde - une paix entre sunnites et chiites, dont la mise en œuvre concrète pourrait s'avérer impossible sans une sorte de douloureuse séparation des populations, laquelle semble déjà en cours. Pendant ce temps, une diplomatie américaine ramenée à la raison doit enfin reconnaître que, pour certains conflits et malgré de bonnes intentions, il n'y a pas de solution américaine.




Cet article initialement publié sur le World Post a été traduit de l'anglais.

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