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Les idées fausses de l'Islam politique

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Sitôt que les résultats des élections tunisiennes ont été annoncés avec la victoire de Nida Tounes sur le parti Ennahdha, les célébrations de la défaite des Islamistes au profit des "séculiers" ont démarré dans les médias français et dans bien d'autres capitales occidentales.

Le contexte historique d'un pays au lendemain d'une révolution, ses circonstances socio-politiques et les conditions régionales complexes, ont été bannis du récit. Entre les clichés des "mauvais islamistes" vaincus par les bons "séculiers" et la résurrection jubilatoire des vieilles prophéties sur "l'échec de l'islam politique", la lutte a été dépeinte comme une bataille d'idéologies et de visions du monde.

Ces conclusions erronées proviennent de fausses prémisses: la tendance à considérer les partis politiques et les mouvements avec un cadre de référence islamique comme des entités anhistoriques métaphysiques en dehors des lois socio-politiques.

Leurs décisions ainsi que leur ligne de conduite sont seulement explicables en référence à la théologie ainsi qu'à l'idéologie.

Leurs références religieuses sont considérées comme la clé de leur succès dans les sociétés vues à travers le prisme de la culture pour la plupart, alors que leur discours religieux est pensé pour leur accorder l'immunité de la défaite. Les revers électoraux de partis islamistes ont donc peu de chance d'être objectivement discutés, comme on pourrait s'y attendre pour les défaites des démocrates aux États-Unis ou des travaillistes au Royaume-Uni.

La vérité, cependant, est que les islamistes sont des acteurs politiques qui ne diffèrent pas des autres partis et organisations politiques, sujets à la montée et la descente, au succès et à l'échec, et soumis à l'influence des climats politiques nationaux où ils opèrent. Ceux qui travaillent dans des environnements démocratiques ouverts diffèrent de ceux qui se déplacent dans des climats d'oppression et de despotisme. La nature du milieu social plus étendu façonne ces acteurs et définit leurs perspectives politiques et intellectuelles.

Les islamistes du Yémen, qui fonctionnent dans un cadre tribal, ou ceux au Liban et en Irak opérant dans un contexte sectaire, diffèrent sensiblement de ceux qui travaillent dans des sociétés plus culturellement et politiquement ouvertes comme en Tunisie ou au Maroc.

En fait, les conditions du même acteur politique peuvent varier considérablement en fonction des changements dus à sa sphère politique, ce qui a été le cas avec le parti Ennahdha, par exemple, qui a été transformé d'un parti d'opposition sous le régime de Ben Ali à un parti au pouvoir, en raison de l'évolution rapide introduite par la révolution tunisienne.

Le bagage terminologique utilisé pour se référer à ces partis et mouvements est, il faut le dire, une partie du problème. Il est trop large, ambigu et chargé de connotations négatives. Il désigne des acteurs à des extrémités opposées du spectre islamique avec des visions de l'islam et de la politique qui sont à couteaux tirés: en partant des anarchistes violents de Daech et d'al-Qaïda et des wahhabites quiétistes d'Arabie saoudite, qui souscrivent à une lecture puritaine de l'islam et rejettent fermement la démocratie et ses procédures qu'ils considèrent comme non-islamique, à ceux qui, comme Ennahdha ou le Parti Justice et Développement, cherchent à légitimer la démocratie dans un cadre de référence islamique, ainsi qu'à l'adopter comme leur méthodologie politique.

Ces derniers ne voient pas de contradiction entre leur foi et les droits humains, les libertés publiques ou les libertés individuelles. Lorsqu'on se réfère à ces partis, il peut être plus juste de parler de "l'islam politique démocratique".

Les mouvements politiques islamiques sont des sous-produits de deux projets interconnectés. La première est la modernisation dans la région, avec toutes ses tensions, ses réussites, ses échecs et ses conséquences, au premier rang desquels l'urbanisation et l'éducation de masse qui sont à la fois une conséquence et une réponse au processus de modernisation.

Contrairement à la croyance commune, les partis islamistes ont tendance à faire mieux dans les sociétés modernes, tels que ceux de la Turquie et de la Tunisie, qu'ils ne réussissent dans des sociétés plus traditionnelles comme l'Arabie saoudite ou autres régions du Golf.

Le second est l'état de la nation. Les partis politiques islamiques sont fondamentalement influencés et façonnés par leur environnement local. Leurs préoccupations et priorités restent principalement nationales, même si on parle de la notion de "ummah", qui est en réalité une question de solidarité morale et affective, rien de plus.

Nous devons dépouiller les phénomènes de "l'islam politique" de l'aura mystique les enveloppant, qui résulte d'une tendance à les assimiler au "fondamentalisme": une masse de pulsions irrationnelles en colère toutes motivées par des aspirations religieuses et des incitations, et au lieu de cela les situer dans les conditions de leur temps et de leur espace.

C'est seulement à travers le contexte socio-politique historique que nous pouvons espérer guérir les chercheurs, les journalistes et les observateurs des maladies de simplification, de généralisation et de réductionnisme qui déforme actuellement la majeure partie des analyses du sujet.

Les réussites et échecs électoraux du parti Ennahdha - passé, présent ou futur - doivent être écartés des considérations religieuses et morales et vues comme des phénomènes parfaitement normaux dans un système démocratique où les forces politiques oscillent naturellement entre montée et descente. Et si l'affirmation selon laquelle les "religieux" ont été vaincus par les "séculiers" peut fortement plaire à beaucoup, je crains qu'il ne résiste pas à un examen objectif approfondi.

Ce qui est arrivé en Tunisie n'a en réalité rien à voir avec l'idéologie, la religion ou le sécularisme et tout à voir avec l'équilibre des forces politiques locales et conditions géopolitique adjacentes.

Les électeurs tunisiens ont clairement opté pour deux principaux partis politiques, ce qui reflète la réalité de la polarisation entre ces deux entités dans le pays.

L'avance relative de Nidaa Tounes (38% contre 31%) démontre un relatif changement en faveur de l'ancien régime. Ils se sont remobilisés, recyclés et ont rénové leur discours et certains de leurs visages au détriment de nouvelles forces ayant été mises en avant par la révolution.


Ceci indique la réalité du déclin du "Printemps Arabe" et l'impact de l'environnement géopolitique sur la Tunisie ainsi que les forces du changement dans la région.

Ennahdha a pris le pouvoir sur la vague de changement qui a balayé le monde arabe et est maintenant en retrait avec le retour des anciennes forces au milieu de la résurrection d'un climat de coups d'Etat militaires dans la région. La petite Tunisie et le mouvement Ennahdha ne pouvaient pas briser cette tendance générale, même s'ils ont réussi - avec beaucoup de difficultés - à la retenir avec la survie de l'expérience démocratique naissante du pays.

Les développements en Tunisie reflètent une règle générale applicable à ceux qui assument les charges du gouvernement à la suite de la révolution, avec toutes ses pressions, ses défis et même ses dangers. Se tenir debout sur la ligne de front dans la période post-révolution a un prix. Cela entraine une baisse de popularité puisque les révolutions initient nécessairement une grande ferveur et augmente le seuil des attentes à un niveau difficile à atteindre dans des circonstances normales, et impossible dans des conditions post révolutionnaires intensément tumultueuses.

Ce fait est clairement illustré par la performance électorale des deux partis séculiers qui avaient conclu une alliance avec Ennahdha après les élections d'octobre 2011 et qui ont partagé le fardeau du pouvoir avec elle. Leurs pertes ont été amèrement lourdes, avec le Congrès pour la République passant de 29 à quatre sièges seulement, tandis que le Forum pour le travail et les libertés, dont le leader avait servi en tant que président de l'Assemblée constituante pour les trois dernières années, a perdu tous ses sièges et a été éjecté complètement du nouveau parlement.

D'autres facteurs essentiels sont à prendre en compte comme les défis et les dangers de l'expérience tunisienne dans son environnement géographique direct et indirect, en Libye et dans le Sud du Sahara, avec la montée des menaces terroristes en raison de la prolifération des armes en Libye et l'élargissement du cercle de l'anarchie, des conflits et des guerres dans l'hémisphère arabe. Les difficultés économiques du pays sont également significatives vu les troubles politiques et le climat d'instabilité. Ces épreuves ont été aggravées par la crise économique qui a englouti les économies de l'Europe, à laquelle l'économie de la Tunisie est inextricablement liée depuis son indépendance en 1956.

Les résultats des élections tunisiennes auront sans doute un effet palpable sur le parti Ennahdha, l'obligeant à une plus grande accommodation à son environnement local, ainsi qu'à la rénovation et à la réforme dans un contexte démocratique plus ouvert. Ce qui est crucial pour ceux qui ont un intérêt pour le sujet, cependant, est de commencer à voir ce parti, tout comme les autres acteurs politiques islamiques, comme des phénomènes socio-politiques capables d'avancer et de décliner, plutôt que des entités hors de l'histoire.

Ils doivent se libérer de leurs perspectives mystiques et de leurs interprétations culturelles essentialistes des partis politiques avec un fond islamique. Dans les milieux démocratiques ouverts, ils sont susceptibles de se rapprocher des modèles des partis chrétiens-démocrates en Europe. Le parti Ennahdha en Tunisie peut, en effet, servir de laboratoire pour l'évolution possible de l'islam politique dans ce sens. La question est: quand est ce que les journalistes et les experts "occidentaux" se débarrasseront-ils de leurs préjugés idéologiques et commenceront à voir la réalité telle qu'elle est, avec toutes ses complexités, ses teintes et nuances?

Ce blog, publié à l'origine sur Le Huffington Post Etats-Unis, a été traduit de l'anglais au français.




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