L'année 2013 a été difficile pour la Tunisie, pour les Arabes et pour leurs espoirs de libération. Les Tunisiens avaient placé beaucoup d'espoirs dans les révolutions qu'ils ont initiées en 2010. Ils avaient placé beaucoup d'espoirs dans leur capacité à créer un nouveau modèle de changement pacifique, qui puisse mener à bien une révolution sans revenir à la répression et sans glisser dans la violence. Ils ont placé beaucoup d'espoirs dans le dialogue national, lancé par les leaders politiques, les syndicats et les organisations de la société civile en septembre, pour qu'il puisse extirper la transition démocratique de la crise provoquée par les assassinats de deux personnalités politiques en six mois.
Ces espoirs sont près de se réaliser. La semaine dernière, la Tunisie a fait l'avant-dernier pas vers la consolidation de sa transition démocratique avec l'adoption de la plus grande Constitution de son histoire - qui adopte les valeurs de liberté, de dignité et de justice - et avec la passation de pouvoir du gouvernement élu à un gouvernement indépendant et technocrate chargé de gérer la période menant aux élections législatives et présidentielles et à la transition à un gouvernement démocratiquement élu.
Retour en arrière: Née en Tunisie il y a trois ans, la flamme du Printemps arabe a permis d'espérer une politique différente dans ce pays où la dictature avait régné pendant plus d'un demi-siècle. Elle a permis aux Arabes d'espérer pouvoir jouir de la liberté et de la démocratie, loin du despotisme qui avait empêché le progrès et enterré les tentatives de réformes.
En ce troisième anniversaire de l'étincelle tunisienne, la question principale est la suivante: Le modèle tunisien de transition démocratique a-t-il réussi à mettre la Tunisie sur le chemin de la démocratie? Et quelle sont les principales caractéristiques qui font le succès de ce modèle?
La révolution a offert la liberté à tous - le fruit de sacrifices de plusieurs générations, et surtout de la jeunesse, toutes catégories sociales confondues. Mais la liberté peut avoir plusieurs conséquences - elle peut autant apporter les bienfaits de la paix, de la sécurité, de la démocratie et de la prospérité qu'elle peut aussi apporter le chaos, la brutalité, la division et l'échec si on ne la manie pas de manière responsable et consciencieuse.
La Révolution du Jasmin s'est battue contre des vents contraires et contre des vagues de contre-révolution. Plus d'une fois, le processus démocratique a manqué de s'effondrer face aux défis intérieurs comme extérieurs, dont notamment le faible héritage et la faible expérience démocratiques de la plupart des acteurs politiques, au pouvoir comme dans l'opposition, dans le contexte d'une si jeune démocratie.
Le processus de changement démocratique est long et complexe. Il demande de la patience, une vision à long-terme et la volonté de mettre de côté les priorités partisanes immédiates afin de construire un système partagé, respecté et respectueux de tous. L'intense processus de transition tunisien correspond à la construction d'un consensus autour d'une architecture commune pour la gestion de la vie publique : écrire une Constitution dans laquelle tous les Tunisiens et toutes les Tunisiennes puissent se reconnaître, mettre sur pied des institutions-clés comme la Commission électorale, la Commission des Médias, la Commission des Droits de l'Homme, le Conseil des gouvernements locaux et bien d'autres qui établissent de nouvelles règles pour protéger et représenter les principes de l'alternance pacifique, de la démocratie participative et du respect des droits et des libertés. Le processus correspond à la construction minutieuse d'institutions, de mécanismes et de règles partagés afin de donner vie aux principes de la révolution et de répondre aux attentes de tous ceux qui, dans la rue il y a trois ans, revendiquaient leur liberté, leur dignité et la justice.
Le processus visant à établir une nouvelle politique par le consensus a été mis au défi par le conflit dialectique entre l'ancien système - que la révolution voulait détruire - et le nouveau système aujourd'hui en voie de construction. Ce type de tension fait son apparition dans toutes les phases post-révolutionnaires. En Tunisie, nous avons cherché à consolider la dynamique du changement en formant des alliances entre les partis attachés à la démocratie et à la lutte contre la dictature. La formation d'un gouvernement de coalition entre partis modérés - séculaires et islamistes - a été une étape important pour surmonter les divergences idéologiques menaçant d'affaiblir le processus démocratique.
Pour parvenir au consensus et partager le pouvoir, il faut savoir faire des compromis. Après l'assassinat tragique, en juillet, du député Mohamed Brahmi, des voix de l'opposition ont appelé à annuler le processus démocratique intégralement en demandant de réduire à néant toutes les nouvelles institutions démocratiques issues des élections du 23 octobre 2011, dont l'Assemblée, le gouvernement et la présidence. La majorité des partis de l'opposition se sont retirés de l'Assemblée, conditionnant leur retour à la démission du gouvernement. Parce que les députés retirés représentaient moins d'un tiers des élus, l'Assemblée aurait pu continuer sans eux son travail législatif comme constitutionnel. Mais le parti Ennahdha et ses partenaires au gouvernement ont préféré entamer des discussions avec l'opposition afin de s'assurer de leur retour au processus de rédaction de la Constitution. Nous ne voulions pas faire passer en force une Constitution qui ne représenterait par tous les Tunisiens et Tunisiennes et qui aurait divisé la société. Bien plus qu'un simple document, la Constitution est le résultat d'un processus à travers lequel la société établit à la fois une interprétation commune et cohérente de ses valeurs fondamentales et les buts et moyens d'y parvenir propre à l'autorité.
Le texte final devait refléter et inclure les revendications et les inspirations de toutes les tranches de la société, afin que tous s'y retrouvent et en partagent la vision.
Voilà pourquoi nous avons choisi de transférer le pouvoir, dans le but de préserver l'intégrité et la continuité de notre transition. Notre légitimité est claire - un gouvernement élu à partir de scrutins libres et justes, jouissant d'un soutien populaire et d'une large majorité parlementaire. Nous avons choisi de renforcer la transition en la plaçant à un niveau de légitimité encore plus élevé - celui du consensus, et non de la majorité. Nous avons décidé de transférer le pouvoir à un gouvernement technocrate transitoire au nom d'une ambition encore plus chère: ancrer la Tunisie fermement sur le chemin de la démocratie, rédiger une Constitution pour tous, construire des institutions communes, et organiser des élections dont le résultat serait accepté de tous car tenues sous l'autorité d'un gouvernement neutre dont les membres ne se porteront pas candidats.
Les émouvantes scènes de célébration lors de l'adoption de première Constitution démocratique tunisienne sont autant de preuves du succès de ce modèle de coexistence. Aujourd'hui, nous avons une nouvelle Constitution pour une Tunisie moderne, adoptée par un corps représentatif et démocratiquement élu, rédigé avec la participation de citoyens et de la société civile, et signée par les trois présidents d'une coalition gouvernementale aux tendances politiques divergentes. Tous les Tunisiens et Tunisiennes peuvent être fiers de cette Constitution qui sauvegarde les libertés civiles et les droits sociaux, économiques et culturels pour lesquels ils se sont battus. La Constitution est pionnière à bien des égards : elle protège les droits environnementaux ainsi que l'accès gratuit aux soins et à l'éducation ; elle prône l'égalité entre les régions et assure la parité homme-femme. Elle va ainsi plus loin que de nombreuses Constitutions à travers le monde en termes de protection des droits économiques et sociaux. Nous espérons que le modèle tunisien saura protéger les fondements d'une vie digne pour tous les citoyens et citoyennes comme il a su, dans un esprit de consensus et de coopération, fonder la première démocratie arabe en son genre.
Ce succès vient également consacrer un certain nombre d'importantes avancées cette année, notamment le vote de la loi sur la justice transitionnelle et la formation de plusieurs importantes instances telles que la Commission indépendante contre la torture, première en son genre dans le monde arabe.
Nous Tunisiens pouvons être fiers de ce que nous avons accompli, d'avoir présenté au monde un nouveau modèle de révolution pacifique. Ce modèle de démocratie consensuelle a porté le pays hors de danger. Petite de par sa géographie, sa population et ses ressources naturelles, la Tunisie a, grâce au travail et aux sacrifices de son peuple, à son fabuleux héritage culturel et intellectuel, et à sa capacité à surmonter les épreuves par le dialogue, offert à la région et à l'humanité un modèle de démocratisation nouveau et unique.
Ces espoirs sont près de se réaliser. La semaine dernière, la Tunisie a fait l'avant-dernier pas vers la consolidation de sa transition démocratique avec l'adoption de la plus grande Constitution de son histoire - qui adopte les valeurs de liberté, de dignité et de justice - et avec la passation de pouvoir du gouvernement élu à un gouvernement indépendant et technocrate chargé de gérer la période menant aux élections législatives et présidentielles et à la transition à un gouvernement démocratiquement élu.
Retour en arrière: Née en Tunisie il y a trois ans, la flamme du Printemps arabe a permis d'espérer une politique différente dans ce pays où la dictature avait régné pendant plus d'un demi-siècle. Elle a permis aux Arabes d'espérer pouvoir jouir de la liberté et de la démocratie, loin du despotisme qui avait empêché le progrès et enterré les tentatives de réformes.
En ce troisième anniversaire de l'étincelle tunisienne, la question principale est la suivante: Le modèle tunisien de transition démocratique a-t-il réussi à mettre la Tunisie sur le chemin de la démocratie? Et quelle sont les principales caractéristiques qui font le succès de ce modèle?
La révolution a offert la liberté à tous - le fruit de sacrifices de plusieurs générations, et surtout de la jeunesse, toutes catégories sociales confondues. Mais la liberté peut avoir plusieurs conséquences - elle peut autant apporter les bienfaits de la paix, de la sécurité, de la démocratie et de la prospérité qu'elle peut aussi apporter le chaos, la brutalité, la division et l'échec si on ne la manie pas de manière responsable et consciencieuse.
La Révolution du Jasmin s'est battue contre des vents contraires et contre des vagues de contre-révolution. Plus d'une fois, le processus démocratique a manqué de s'effondrer face aux défis intérieurs comme extérieurs, dont notamment le faible héritage et la faible expérience démocratiques de la plupart des acteurs politiques, au pouvoir comme dans l'opposition, dans le contexte d'une si jeune démocratie.
Le processus de changement démocratique est long et complexe. Il demande de la patience, une vision à long-terme et la volonté de mettre de côté les priorités partisanes immédiates afin de construire un système partagé, respecté et respectueux de tous. L'intense processus de transition tunisien correspond à la construction d'un consensus autour d'une architecture commune pour la gestion de la vie publique : écrire une Constitution dans laquelle tous les Tunisiens et toutes les Tunisiennes puissent se reconnaître, mettre sur pied des institutions-clés comme la Commission électorale, la Commission des Médias, la Commission des Droits de l'Homme, le Conseil des gouvernements locaux et bien d'autres qui établissent de nouvelles règles pour protéger et représenter les principes de l'alternance pacifique, de la démocratie participative et du respect des droits et des libertés. Le processus correspond à la construction minutieuse d'institutions, de mécanismes et de règles partagés afin de donner vie aux principes de la révolution et de répondre aux attentes de tous ceux qui, dans la rue il y a trois ans, revendiquaient leur liberté, leur dignité et la justice.
Le processus visant à établir une nouvelle politique par le consensus a été mis au défi par le conflit dialectique entre l'ancien système - que la révolution voulait détruire - et le nouveau système aujourd'hui en voie de construction. Ce type de tension fait son apparition dans toutes les phases post-révolutionnaires. En Tunisie, nous avons cherché à consolider la dynamique du changement en formant des alliances entre les partis attachés à la démocratie et à la lutte contre la dictature. La formation d'un gouvernement de coalition entre partis modérés - séculaires et islamistes - a été une étape important pour surmonter les divergences idéologiques menaçant d'affaiblir le processus démocratique.
Pour parvenir au consensus et partager le pouvoir, il faut savoir faire des compromis. Après l'assassinat tragique, en juillet, du député Mohamed Brahmi, des voix de l'opposition ont appelé à annuler le processus démocratique intégralement en demandant de réduire à néant toutes les nouvelles institutions démocratiques issues des élections du 23 octobre 2011, dont l'Assemblée, le gouvernement et la présidence. La majorité des partis de l'opposition se sont retirés de l'Assemblée, conditionnant leur retour à la démission du gouvernement. Parce que les députés retirés représentaient moins d'un tiers des élus, l'Assemblée aurait pu continuer sans eux son travail législatif comme constitutionnel. Mais le parti Ennahdha et ses partenaires au gouvernement ont préféré entamer des discussions avec l'opposition afin de s'assurer de leur retour au processus de rédaction de la Constitution. Nous ne voulions pas faire passer en force une Constitution qui ne représenterait par tous les Tunisiens et Tunisiennes et qui aurait divisé la société. Bien plus qu'un simple document, la Constitution est le résultat d'un processus à travers lequel la société établit à la fois une interprétation commune et cohérente de ses valeurs fondamentales et les buts et moyens d'y parvenir propre à l'autorité.
Le texte final devait refléter et inclure les revendications et les inspirations de toutes les tranches de la société, afin que tous s'y retrouvent et en partagent la vision.
Voilà pourquoi nous avons choisi de transférer le pouvoir, dans le but de préserver l'intégrité et la continuité de notre transition. Notre légitimité est claire - un gouvernement élu à partir de scrutins libres et justes, jouissant d'un soutien populaire et d'une large majorité parlementaire. Nous avons choisi de renforcer la transition en la plaçant à un niveau de légitimité encore plus élevé - celui du consensus, et non de la majorité. Nous avons décidé de transférer le pouvoir à un gouvernement technocrate transitoire au nom d'une ambition encore plus chère: ancrer la Tunisie fermement sur le chemin de la démocratie, rédiger une Constitution pour tous, construire des institutions communes, et organiser des élections dont le résultat serait accepté de tous car tenues sous l'autorité d'un gouvernement neutre dont les membres ne se porteront pas candidats.
Les émouvantes scènes de célébration lors de l'adoption de première Constitution démocratique tunisienne sont autant de preuves du succès de ce modèle de coexistence. Aujourd'hui, nous avons une nouvelle Constitution pour une Tunisie moderne, adoptée par un corps représentatif et démocratiquement élu, rédigé avec la participation de citoyens et de la société civile, et signée par les trois présidents d'une coalition gouvernementale aux tendances politiques divergentes. Tous les Tunisiens et Tunisiennes peuvent être fiers de cette Constitution qui sauvegarde les libertés civiles et les droits sociaux, économiques et culturels pour lesquels ils se sont battus. La Constitution est pionnière à bien des égards : elle protège les droits environnementaux ainsi que l'accès gratuit aux soins et à l'éducation ; elle prône l'égalité entre les régions et assure la parité homme-femme. Elle va ainsi plus loin que de nombreuses Constitutions à travers le monde en termes de protection des droits économiques et sociaux. Nous espérons que le modèle tunisien saura protéger les fondements d'une vie digne pour tous les citoyens et citoyennes comme il a su, dans un esprit de consensus et de coopération, fonder la première démocratie arabe en son genre.
Ce succès vient également consacrer un certain nombre d'importantes avancées cette année, notamment le vote de la loi sur la justice transitionnelle et la formation de plusieurs importantes instances telles que la Commission indépendante contre la torture, première en son genre dans le monde arabe.
Nous Tunisiens pouvons être fiers de ce que nous avons accompli, d'avoir présenté au monde un nouveau modèle de révolution pacifique. Ce modèle de démocratie consensuelle a porté le pays hors de danger. Petite de par sa géographie, sa population et ses ressources naturelles, la Tunisie a, grâce au travail et aux sacrifices de son peuple, à son fabuleux héritage culturel et intellectuel, et à sa capacité à surmonter les épreuves par le dialogue, offert à la région et à l'humanité un modèle de démocratisation nouveau et unique.
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