Ce n’est pas le château de Versailles ni un palais beylical mais le château de Mégrine, dans la banlieue sud de Tunis, porte bien son nom. Vieux de deux siècles, il fait désormais office d’école primaire et reste méconnu comparé à son voisin de Sidi Bou Saïd, la villa du baron d’Erlanger. Une association de Mégrinois compte pourtant le faire classer au patrimoine national tunisien.
Moez se souvient encore de l’école dans laquelle il a passé son enfance comme "l’un des palais du Bey". L’histoire veut que Ismaïl Bey, passait par Mégrine avant d’aller à Hamam-Lif et se reposait dans le château, une bâtisse de 300 m2 qui s’étendait au 19è siècle sur un domaine viticole et agricole de huit cent hectares.
"C’était la légende qu’on nous racontait et on aimait y croire" raconte Moez Hanachi avec nostalgie.
Il est aujourd’hui secrétaire général de l’Association de Mégrine pour l’Innovation et la Sauvegarde. Natif de cette ville, il a fait sa scolarité dans ce lieu appelé le "château de Mégrine", une villa d’architecture mauresque dont le style épuré et modeste contraste avec le luxe des palais de Tunis.
C’est pourtant bien un château comme l’affirme Moez Hanachi fièrement. En entrant par la porte principale, pas de longue allée ni de pont-levis mais une grande cour avec une villa blanche et bleue dont la noblesse se traduit par les escaliers de marbre et les colonnades. Les salles de classe, les tableaux de craie et les dessins d’enfants ornent des murs d’un autre âge où l’on distingue encore dans le détail des fenêtres ou des ouvertures au plafond, un style plus ancien.
Le château d’un comte français
Construit au 19è siècle à une date inconnue, la propriété est récupérée par des migrants maltais qui s’installent sur le Domaine de Mégrine, qui allait ensuite devenir le village de Mégrine-Côteaux puis une banlieue avec l’urbanisation de Tunis.
Le château se situe sur les hauteurs, juste à côté des anciennes terres viticoles qui donnaient pendant un temps, le vin de Mégrine. C’est en 1900, que le Comte Foy, un aristocrate français vient s’installer dans le domaine et le transforme en lieu de villégiature. Les murs blancs sont ornés de faïence. On construit des écuries pour le comte, féru d’équitation et la terrasse en roche naturelle, qui surplombe le parc, est ornée d’une piscine octogonale entièrement faite de faïence également, sans oublier les colonnades de marbre à l’arrière du château.
"Il a enrichi l’endroit qui était plutôt pittoresque. On sent l’influence de la villa du baron d’Erlanger à Sidi Bou Saïd, c’est un vrai patrimoine historique avec le marbre et les faïences. Même si nous n’avons pas les premiers plans de construction, on peut voir d’après les photos que ce qui n’était qu’un lieu d’habitation de campagne a vraiment pris ensuite le statut d’un château," commente Bassen Aguirib, enseignant à l’école nationale d’architecture et d’Urbanisme, qui œuvre au sein de l’association pour que le lieu soit classé au patrimoine tunisien.
L’école, le parc Monceau et les pins d’Alep
Mis en vente par le Comte en 1927 et racheté par la Direction générale de l’Agriculture, le château passe ensuite à l’instruction publique qui en fait une école primaire française dans les années trente. L’école devient une école mixte tunisienne après l’indépendance comme l’attestent les noms des directeurs gravés dans la pierre à l’entrée du château.
Quand on traverse la "Cour des Orangers" comme le titre les photos de l’époque, dallée de carreaux noirs et blancs (motif jneh khotifa, aile d'hirondelle en arabe), on tombe sur les restes d’un parc, appelé le "parc monceau" qui surplombait, à une époque, le reste du domaine.
Les herbes folles ont pris le dessus sur les restes d’un jardin mais un arbre trône encore, majestueux.
Mme Chapet, l’une des institutrices de l’époque aurait préservé les photos d’archives retraçant le passé du domaine et certains objets précieux. Mais pour le directeur, les arbres restent la plus grande perte du château, seules preuves vivantes du souvenir de la guerre.
Un lieu oublié
Aujourd’hui, des bancs d’école en bois et en fer sont entassés autour de la piscine abandonnée, en 1960 la 'Gennaria' (véranda) de bois qui ornait la façade principale est aussi remplacée par des colonnes de pierre et l’histoire du château est peu à peu laissée à l’oubli.
L’école de son enfance devient alors pour ce passionné d’histoire et de patrimoine, un sujet d’étude. Il retrace avec les livres, les archives, et l’aide des habitants, le passé d’un château qui fut même cité dans le magazine Vogue de septembre 1927. A l’époque, le château est cité comme une "exquise maison de campagne arabe" puisque sa construction daterait d’avant le protectorat français.
"Le gens ont oublié ce lieu mais il y a tellement d’histoires à raconter sur ce château et son comte" explique l’ancien directeur Ahmed Medfaï, qui a passé vingt un ans dans l’école. "Au moment où l’on a voulu bâtir un chemin de fer, le comte ne voyait pas d’un très bon œil les rails qui allaient passer au milieu du domaine. Mais il a cédé et a demandé en échange que le train fasse une halte à Mégrine et siffle trois fois, comme dans ce célèbre western, qui à l’époque n’existait même pas, quant au train, lui il passait déjà, bien avant l’arrivée du comte," raconte le directeur en rigolant.
Certains aspects du château restent encore inexplorés comme son jardin sauvage. Certains racontent que l’on trouve encore des tunnels creusés par les allemands pour se protéger des bombes, d’autres disent que ce sont de vieux tunnels romains déjà existants.
Un château pour l’histoire et le patrimoine
Les 8 et 9 février, il veut redonner vie au charme d’antan du lieu et surtout mieux faire connaître aux Mégrinois l’histoire de leur patrimoine dans le cadre de l’évènement "pARTimoine". Une exposition de photos retraçant l’histoire du lieu, le visionnage d’un documentaire sur les anciens élèves, et des débats sont prévus avec les habitants pour l’occasion.
Vide quand les jours d’école sont finis, le château de Mégrine est un lieu à découvrir et à explorer. A l’intérieur du bureau du directeur, le plafond orné d’un relief en bois aux feuilles dorées, les murs tapissés de faïences dépareillées datant du 16è siècle pour certaines pièces ou encore les photos d’archive accrochées aux murs, font face aux dossiers des bulletins scolaires et à l’unique ordinateur.
Ce mélange convient parfaitement au nouveau directeur Moncef Braïki qui a su transformer le lieu en bureau de vote provisoire lors des élections du 23 octobre 2011. Moez lui, rêve de faire de l’endroit un centre de recherche à la manière du palais Enneima Ezzahra à Sidi Bou Saïd.
En montant sur le toit, on devine encore l’immensité de la vue malgré les nouvelles constructions, elle s‘étend du lac jusqu’aux villas de Carthage. Des séjours supposés du Bey aux urnes des élections post-révolution, le château traverse encore les âges, du haut des collines de Mégrine.
Moez se souvient encore de l’école dans laquelle il a passé son enfance comme "l’un des palais du Bey". L’histoire veut que Ismaïl Bey, passait par Mégrine avant d’aller à Hamam-Lif et se reposait dans le château, une bâtisse de 300 m2 qui s’étendait au 19è siècle sur un domaine viticole et agricole de huit cent hectares.
"C’était la légende qu’on nous racontait et on aimait y croire" raconte Moez Hanachi avec nostalgie.
Il est aujourd’hui secrétaire général de l’Association de Mégrine pour l’Innovation et la Sauvegarde. Natif de cette ville, il a fait sa scolarité dans ce lieu appelé le "château de Mégrine", une villa d’architecture mauresque dont le style épuré et modeste contraste avec le luxe des palais de Tunis.
C’est pourtant bien un château comme l’affirme Moez Hanachi fièrement. En entrant par la porte principale, pas de longue allée ni de pont-levis mais une grande cour avec une villa blanche et bleue dont la noblesse se traduit par les escaliers de marbre et les colonnades. Les salles de classe, les tableaux de craie et les dessins d’enfants ornent des murs d’un autre âge où l’on distingue encore dans le détail des fenêtres ou des ouvertures au plafond, un style plus ancien.
Le château d’un comte français
Construit au 19è siècle à une date inconnue, la propriété est récupérée par des migrants maltais qui s’installent sur le Domaine de Mégrine, qui allait ensuite devenir le village de Mégrine-Côteaux puis une banlieue avec l’urbanisation de Tunis.
Le château se situe sur les hauteurs, juste à côté des anciennes terres viticoles qui donnaient pendant un temps, le vin de Mégrine. C’est en 1900, que le Comte Foy, un aristocrate français vient s’installer dans le domaine et le transforme en lieu de villégiature. Les murs blancs sont ornés de faïence. On construit des écuries pour le comte, féru d’équitation et la terrasse en roche naturelle, qui surplombe le parc, est ornée d’une piscine octogonale entièrement faite de faïence également, sans oublier les colonnades de marbre à l’arrière du château.
"Il a enrichi l’endroit qui était plutôt pittoresque. On sent l’influence de la villa du baron d’Erlanger à Sidi Bou Saïd, c’est un vrai patrimoine historique avec le marbre et les faïences. Même si nous n’avons pas les premiers plans de construction, on peut voir d’après les photos que ce qui n’était qu’un lieu d’habitation de campagne a vraiment pris ensuite le statut d’un château," commente Bassen Aguirib, enseignant à l’école nationale d’architecture et d’Urbanisme, qui œuvre au sein de l’association pour que le lieu soit classé au patrimoine tunisien.
L’école, le parc Monceau et les pins d’Alep
Mis en vente par le Comte en 1927 et racheté par la Direction générale de l’Agriculture, le château passe ensuite à l’instruction publique qui en fait une école primaire française dans les années trente. L’école devient une école mixte tunisienne après l’indépendance comme l’attestent les noms des directeurs gravés dans la pierre à l’entrée du château.
Quand on traverse la "Cour des Orangers" comme le titre les photos de l’époque, dallée de carreaux noirs et blancs (motif jneh khotifa, aile d'hirondelle en arabe), on tombe sur les restes d’un parc, appelé le "parc monceau" qui surplombait, à une époque, le reste du domaine.
Les herbes folles ont pris le dessus sur les restes d’un jardin mais un arbre trône encore, majestueux.
"Il y en avait beaucoup plus avant autour du château, on appelle ça les pins d’Alep. Ceux dans la cour d’honneur ont servi pendant la seconde guerre mondiale, les soldats allemands étaient venus se réfugier dans le château et se mettaient dans les arbres pour guetter les avions", raconte le directeur.
Mme Chapet, l’une des institutrices de l’époque aurait préservé les photos d’archives retraçant le passé du domaine et certains objets précieux. Mais pour le directeur, les arbres restent la plus grande perte du château, seules preuves vivantes du souvenir de la guerre.
"Les allemands ont coupé à moitié le pin pour dégager la vue. Et vous savez, ont dit que lorsque l’on coupe le pin d’Alep, il ne repousse jamais. C’est ce qui s’est passé et cet arbre était le témoin direct du passage de la guerre chez nous. Mais ils ont été définitivement coupés et arrachés il y a un ou deux ans."
Un lieu oublié
Aujourd’hui, des bancs d’école en bois et en fer sont entassés autour de la piscine abandonnée, en 1960 la 'Gennaria' (véranda) de bois qui ornait la façade principale est aussi remplacée par des colonnes de pierre et l’histoire du château est peu à peu laissée à l’oubli.
"Ce n’est que quand j’ai commencé à me pencher un peu sur son histoire que j’ai découvert que c’était non pas un palace du Bey mais bien un château vieux d’au moins deux siècles," raconte Moez.
L’école de son enfance devient alors pour ce passionné d’histoire et de patrimoine, un sujet d’étude. Il retrace avec les livres, les archives, et l’aide des habitants, le passé d’un château qui fut même cité dans le magazine Vogue de septembre 1927. A l’époque, le château est cité comme une "exquise maison de campagne arabe" puisque sa construction daterait d’avant le protectorat français.
"Le gens ont oublié ce lieu mais il y a tellement d’histoires à raconter sur ce château et son comte" explique l’ancien directeur Ahmed Medfaï, qui a passé vingt un ans dans l’école. "Au moment où l’on a voulu bâtir un chemin de fer, le comte ne voyait pas d’un très bon œil les rails qui allaient passer au milieu du domaine. Mais il a cédé et a demandé en échange que le train fasse une halte à Mégrine et siffle trois fois, comme dans ce célèbre western, qui à l’époque n’existait même pas, quant au train, lui il passait déjà, bien avant l’arrivée du comte," raconte le directeur en rigolant.
Certains aspects du château restent encore inexplorés comme son jardin sauvage. Certains racontent que l’on trouve encore des tunnels creusés par les allemands pour se protéger des bombes, d’autres disent que ce sont de vieux tunnels romains déjà existants.
"Ce qui est sûr, c’est qu’il nous reste beaucoup à explorer et à classer dans le patrimoine de Mégrine. Tout le souterrain du château est fait de caves qui appartenaient au domaine et comme elles ont été condamnées, nous ne savons pas où elles mènent," conclue Moez.
Un château pour l’histoire et le patrimoine
Les 8 et 9 février, il veut redonner vie au charme d’antan du lieu et surtout mieux faire connaître aux Mégrinois l’histoire de leur patrimoine dans le cadre de l’évènement "pARTimoine". Une exposition de photos retraçant l’histoire du lieu, le visionnage d’un documentaire sur les anciens élèves, et des débats sont prévus avec les habitants pour l’occasion.
"Nous voulons surtout préserver ce lieu tel qu’il est, c’est-à-dire un lieu d’éducation. Mais il faut que les élèves aient conscience qu’ils sont dans un endroit historique. Comme pour l’Eglise de Mégrine, construite dans un style art déco en 1938 et qui fait office de centre culturel. Nous voulons sensibiliser les Mégrinois et les Tunisiens à préserver leur patrimoine," témoigne Bassem.
Vide quand les jours d’école sont finis, le château de Mégrine est un lieu à découvrir et à explorer. A l’intérieur du bureau du directeur, le plafond orné d’un relief en bois aux feuilles dorées, les murs tapissés de faïences dépareillées datant du 16è siècle pour certaines pièces ou encore les photos d’archive accrochées aux murs, font face aux dossiers des bulletins scolaires et à l’unique ordinateur.
Ce mélange convient parfaitement au nouveau directeur Moncef Braïki qui a su transformer le lieu en bureau de vote provisoire lors des élections du 23 octobre 2011. Moez lui, rêve de faire de l’endroit un centre de recherche à la manière du palais Enneima Ezzahra à Sidi Bou Saïd.
En montant sur le toit, on devine encore l’immensité de la vue malgré les nouvelles constructions, elle s‘étend du lac jusqu’aux villas de Carthage. Des séjours supposés du Bey aux urnes des élections post-révolution, le château traverse encore les âges, du haut des collines de Mégrine.
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