Quantcast
Channel: Huffington Post Maghreb Athena - All
Viewing all articles
Browse latest Browse all 32453

Pourquoi l'Iran n'aurait jamais dû être associé à "l'Axe du Mal"

$
0
0
Avant toute chose, rappelons ici que nous traitons de l'Iran en tant qu'acteur de politique étrangère. Le but est d'expliquer et de comprendre des faits géopolitiques, pas de porter des jugements de valeur sur la situation intérieure.

Par ailleurs, nous sommes ici dans le cadre des "Chroniques d'Asie du Sud-Ouest", forcément très influencées par l'avenir de l'Afghanistan, et de son environnement régional, après 2014. La vision euro-centrée peut amener à penser que le Proche Orient est plus important pour Paris que ce qui se passe à la frontière de ce qu'on appelle "Moyen Orient" et "Asie du Sud".

Or quand on vit dans la zone, on peut affirmer deux choses avec certitude: la peur pour l'avenir face aux incertitudes sécuritaires, politiques, économiques, est palpable au niveau régional; et toute déstabilisation dans la zone aura d'abord un impact sur les voisins de l'Afghanistan... puis touchera forcément l'Occident, à un moment où à un autre.

Avec l'avenir de l'Afghanistan et de son environnement régional en tête, on en vient forcément à penser l'Iran non pas dans le cadre des tensions sur le nucléaire, mais comme une force capable d'aider à stabiliser l' "AfPak". On en a parlé dans un précédent billet sur le Huffington Post.

Sur tous les dossiers importants (stabilité afghane, question des réfugiés, trafic de drogues, menace du terrorisme djihadiste), Téhéran et l'Occident sont sur la même longueur d'onde. En fait, les Iraniens ont compris le danger que représentait l'"Émirat" du mollah Omar bien avant les Américains. Ces derniers, entre la prise de Kaboul en 1996 et les attentats d'Al Qaïda contre leurs ambassades en Afrique de l'Est en 1998, n'ont pas vraiment vu d'un mauvais œil ces fondamentalistes anti-chiites, donc anti-Iran.

En fait, les réactions officielles à la prise de Kaboul par les Taliban ont tellement oscillé entre déclarations neutres et plus ou moins positives que les forces du mollah Omar se sont senties obligées, à cette période, de bien faire comprendre aux Afghans comme aux journalistes étrangers qu'ils n'étaient pas une force pro-américaine.

Qu'on se souvienne de l'analyse de Zalmay Khalilzad, futur ambassadeur des Etats-Unis à Kaboul, qui, à cette époque, en tant que spécialiste de l'Afghanistan, appelait à "donner une chance" aux talibans, et poussait Washington à établir des liens diplomatiques avec eux. A la même époque, l'Iran était critiqué par des diplomates américains pour son soutien... à l'Alliance du Nord de Massoud.
Et cela alors qu'ils savaient pertinemment qu'une partie au moins des talibans étaient dans une logique de "guerre de civilisations" avec la République islamique: quand une équipe de diplomates américains est venu exposer, en février 1997, le programme de récupération des Stinger (lance-missile sol-air américain) aux talibans, ces derniers ont refusé de les rendre.

Cela leur aurait pourtant permis de gagner une somme d'argent non négligeable. Mais ils souhaitaient les garder pour pouvoir les utiliser contre l'Iran une fois l'Alliance du Nord liquidée. Ce type d'information ne vient de confessions d'anciens membres de la CIA ou de l'ISI: on peut les trouver dans l'ouvrage très connu de Steve Coll, Ghost Wars.

Face à une telle hostilité, on peut comprendre pourquoi les Iraniens se sont totalement engagés du côté des Etats-Unis lors de leur campagne contre les talibans en 2001, et pourquoi ils ont été aussi actifs pour aider à la stabilisation politique du pays. Globalement, on peut parler d'un engagement crucial de l'Iran en Afghanistan après 2001. Le premier pays a agi vite pour apaiser toute crainte nationaliste du second: une "Déclaration de Bon Voisinage" signée en décembre 2002 affirmait avec force le respect par les Iraniens de l'intégrité territoriale de l'Afghanistan.

Certes, l'influence économique de Téhéran se retrouve particulièrement dans l'ouest afghan. Mais pas d'impérialisme ici, juste de la Realpolitik: en cas de chute du gouvernement central ou de retour des Taliban au pouvoir, les Iraniens veulent s'assurer un voisinage afghan amical. Et les habitants de cette zone ont pu largement profiter de cette politique: les Iraniens y ont construit des hopitaux, des écoles, ont donné l'accès à l'électricité à 350 000 Afghans, ont construit les routes d'Hérat, une politique somme toute exemplaire face à leur voisin.

Et globalement, on se rend compte que l'Iran n'utilise pas l'Afghanistan comme "champ de bataille" contre les Américains. Des agents iraniens sont sûrement actifs sur place (comme leurs équivalents américains, chinois, pakistanais, indiens, etc.). Mais s'ils le souhaitaient, les Iraniens pourraient rendre la vie bien difficile aux troupes étrangères, et ne l'a jamais fait. Ce fait, même des officiers de l'OTAN l'ont reconnu.

Et pourtant, immédiatement après son aide précieuse dans la lutte contre les Talibans, le 29 janvier 2002, W. Bush a désigné, dans son Discours sur l'Etat de l'Union, l'Iran comme faisant partie d'un "Axe du Mal" contenant également l'Irak de Saddam Hussein et la Corée du Nord. Pourquoi? Essentiellement pour deux raisons, n'ayant rien à voir avec la "Guerre contre le Terrorisme" ou le 11 septembre.

La première, c'est la mise en avant des ambitions nucléaires iraniennes. Une approche pour le moins bizarre: on a du mal à croire qu'elles aient été strictement inconnues aux mois de septembre ou octobre 2001, quand l'Iran servait si bien les intérêts américains. L'autre raison n'a rien à voir avec Al Qaïda et tout avec les tensions du Proche Orient: il s'agit de scandale du Karine A, un navire rempli d'armes intercepté par les forces israéliennes, et censé avoir été destiné à l'Autorité Palestinienne.

Or un certain nombre de journalistes israéliens, soutenus en cela par Haaretz (le New York Times israélien) ont exposé leurs doutes face à cette interprétation: les sources ouvertes à disposition tendent à prouver que le chargement du cargo s'est fait de façon clandestine dans la zone de libre échange iranienne qu'est l'île de Kish, et pas dans un port comme Bandar Abbas. Ce qui aurait été plus simple, et la marque d'une opération gouvernementale. Ici, il s'agissait plus probablement d'une opération de contrebande mené par des acteurs privés, cherchant à faire un profit grâce à un trafic d'armes.

Les causes de l'association infamante sont donc faibles, et ont choqué à Téhéran: pour un Iranien, voir son pays associé au régime de Saddam Hussein, l'agresseur et l'utilisateur de gaz moutarde et de sarin dans sa guerre contre l'Iran, cela ne pouvait être considéré que comme une insulte. Pendant la guerre Iran-Irak, à cause des attaques chimiques irakiennes, 20 000 combattants iraniens ont été tués, 100 000 blessés... L'ironie est que les Archives Nationales américaines nous permettent de savoir aujourd'hui que l'emploi de ces armes barbares avaient été jugées acceptables par les Américains à l'époque. On sait également que la CIA a aidé Saddam Hussein dans ces attaques...
L'association Irak-Iran était donc aussi insultante qu'infondée. Et l'apparition de la Corée du Nord dans cet Axe a juste donné un caractère ubuesque à la déclaration de la Maison Blanche.

Le fait est que l'idée d' "Axe du Mal" mise en avant début 2002 a été extrêmement dommageable à la "Guerre contre le terrorisme". Il n'y avait qu'un Axe à combattre après le 11 septembre: celui formé par Al Qaïda et ses alliés talibans. Al Qaïda a planifié et mené à bien les attentats du 11 septembre, et a déclaré la guerre à l'Occident dans une logique de "clash des civilisations". Les talibans ont protégé Ben Laden et les siens, comme ils ont protégé les terroristes sectaires sunnites d'origine iranienne et pakistanaise et en lutte contre leurs pays respectifs. Parce que la véritable guerre contre le terrorisme, contre ces ennemis authentiquement dangereux pour la stabilité internationale, n'a pas été prise au sérieux, on a raté une occasion d'établir des relations apaisées avec l'Iran, et d'éradiquer le djihadisme transnational.

Nous sommes aujourd'hui en 2014, une année charnière pour l'Afghanistan. Les talibans sont revenus en force, Al Qaïda menace toujours. Quant aux Américains et leurs alliés, ils cherchent juste à quitter Kaboul "dans l'honneur". La malédiction de la géographie veut que les Iraniens, quant à eux, ne pourront pas s'offrir le luxe de quitter la région. Aujourd'hui comme hier, ils seront en première ligne. Et aujourd'hui comme hier, ils auront de facto les mêmes intérêts que les Américains et les Européens en Afghanistan.

L'erreur serait de continuer à voir le dossier afghan comme sans importance, ou secondaire. Après 2014, il pourrait permettre aux Occidentaux de forger avec le temps un lien diplomatique positif avec l'Iran, qui ne soit pas prisonnier de l'affaire nucléaire. Cela aiderait sans doute, à terme, à débloquer bien des contentieux. Et, point non négligeable, cela pourrait aider les Américains et les Européens à réussir, avec les Iraniens, une stabilisation de l'Afghanistan que l'OTAN seule n'a pas réussi à obtenir.

Viewing all articles
Browse latest Browse all 32453

Trending Articles



<script src="https://jsc.adskeeper.com/r/s/rssing.com.1596347.js" async> </script>