Nul ne peut méconnaitre les empreintes de notre histoire et de notre patrimoine sur la littérature, les arts plastiques, la musique et l'audio-visuel de l'Europe.
Pour s'en convaincre, il suffirait d'évoquer Salammbo de Gustave Flaubert ou Sophonisbe, qui généra trois tragédies, l'une de l'écrivain italien, Trissino, au XVIe siècle. Nous devons les deux autres à deux poètes dramatiques français : Mairet, en 1634, et Corneille, en 1663. Hannibal s'empara des écrans. Il faut également se souvenir de Psyché, telle que décrite par l'inventeur du roman moderne, Apulée de Madaure, l'auteur des Métamorphoses ou de l'Ane d'or. La Kahina se prévaut, elle-aussi, d'une place dans l'imaginaire occidental.
La présence du patrimoine matériel et immatériel de Tunisie dans les lettres et les arts d'Occident pourrait faire l'objet de très importantes thèses par les jeunes chercheurs de nos universités.
Toutefois, ces trésors historiques et patrimoniaux étaient, pendant des siècles, tenus à l'écart de l'imaginaire tunisien, qui semble leur avoir opposé des parois rendues étanches par une profonde surdité ou par une effrayante amnésie. Pourquoi ce rejet? Il serait long d'examiner un problème si grave et si lourd de conséquences, dont les causes sont à la fois endogènes et exogènes.
Pour lors, nous pouvons prendre acte et nous réjouir du changement intervenu.
Depuis l'indépendance de la Tunisie, nous assistons à une profusion d'œuvres littéraires, artistiques et publicitaires à référence ou à support historique, dûment inspirées par le patrimoine tunisien de tous les temps. Nous assistons à la renaissance de la Mémoire Nationale. Il s'agit d'une véritable résurrection qui vient nourrir et enrichir l'imaginaire individuel et collectif. Des figures illustres, naguère inconsciemment rejetées, méconnues ou délibérément exclues, apparaissent comme des résurgences ou de vertes pousses, qui s'emparent d'une terre abondamment irriguée par un ciel généreux et fécondateur, après une très longue sécheresse. Désormais des portraits, des aventures, des exploits, longtemps portés disparus, voire morts à jamais, reviennent pour repeupler le musée imaginaire de Tunisie. Il est symptomatique de voir les noms d'Elissa, Carthage, Hasdrubal, Massinissa, Sophonisbe, Jugurtha, Hannibal, etc., envahir l'onomastique tunisienne d'aujourd'hui et les panneaux publicitaires.
N'est-il pas heureux et doux de constater que, désormais, les créateurs se laissent féconder par l'histoire et le patrimoine de leur pays dans toute sa plénitude?
Voici d'abord, Elissa, la Reine vagabonde, que nous devons à l'imaginaire de Fawzi Mellah. Ce roman a été publié en 1988. Pour la mise en forme, l'auteur a adopté le genre épistolaire. Elissa, la Reine vagabonde, raconte son aventure dans une longue lettre, adressée à son frère Pygmalion qui, se prévalant de ses droits phallocratiques, réussit à s'approprier la couronne royale aux dépens de sa sœur et en dépit du testament paternel. De plus, mu par la cupidité, il fit occire Acherbas, qui était, à la fois, son oncle et le mari d'Elissa, sa sœur. L'acte était d'autant plus abject et plus sacrilège qu'Acherbas occupait le sommet de la hiérarchie sacerdotale, comme grand prêtre du fameux temple de Melqart, la divinité tutélaire de Tyr. Par ce crime inexpiable, Pygmalion voulait réduire sa sœur et se débarrasser d'un redoutable adversaire, qui pouvait revendiquer le droit de son épouse, Elissa, et ameuter le peuple de Tyr contre l'usurpateur. Grâce à ses richesses et à son autorité religieuse, il était capable de déstabiliser le roi.
Privée de ses droits légitimes, réduite au veuvage, Elissa restait sous la menace de mort, puisque la tyrannie de son frère, roi de Tyr, était sans limite : rien ne l'arrêtait, ni le droit humain, ni les interdits des dieux. La princesse décida de fuir. Etait-ce la peur de la mort ? Etait-ce l'instinct de survie ? Peut-être l'espoir de refaire sa vie ailleurs ? ! Quoi qu'il en soit, elle décida de partir: Pour justifier sa décision, Fawzi Mellah lui attribua ces paroles: Et ce n'était guère la fatigue, qui nivelait en moi les préférences, mais la fuite, encore ; la fuite de nouveau m'attirait comme un aimant.
L'auteur a donc la courtoisie de laisser Elissa raconter son histoire dans une longue lettre, écrite à l'instar d'un testament, dont la vertu cardinale est d'assurer le triomphe de l'être sur l'avoir, auquel cas la mort ne serait qu'une manière d'être. Grâce à cette longue missive, Elissa continue de vivre. Nous assistons à tous les préparatifs de son départ et nous suivons ses pérégrinations, émaillées d'imprévus, dont elle savait faire des richesses.
Il s'agit d'un véritable drame au sens théâtral du terme. Nous sommes plutôt face à un triptique, qui se déploie au fur et à mesure de la pérégrination ou de l'errance. Mais je ne sais pas si l'on peut parler d'errance quand on suit le cours du soleil : Elissa part de l'Orient et s'engage sur la route de l'Occident. Est-ce une direction voulue? S'agit-il plutôt d'une voie atavique ?
En effet, bien avant Elissa, Europe dut quitter le soleil levant pour la Crête. Fille du couple royale de Tyr, Agénor et Téléphassa, la belle princesse Europe trouva grâce aux yeux de Zeus, qui se fit taureau pour s'en approcher. Séduite par l'éclatante blancheur de ce bel animal aux yeux doux et aux cornes semblables à un croissant de lune, Europe enfourcha le taureau ; et le taureau de s'élancer vers la mer et de s'enfoncer dans les flots jusqu'à l'île de Crête, où ils s'unirent, près d'une source, à Gortyne, sous des platanes qui, pour avoir été les témoins d'un si beau mariage, eurent le privilège de ne jamais perdre leurs feuilles. Cadmos, fils d'Agénor et frère d'Europe, sur l'injonction de son père, dut partir à la recherche de sa sœur ; il se rendit partout en Grèce, mais en vain. Ayant désespéré, il fonda Thèbes conformément à l'oracle de Delphes.
Les mythes d'Europe et de Cadmos semblent avoir été mis en forme pour traduire la fécondité de l'union entre l'Est et l'Ouest de la Méditerranée, entre les côtes phéniciennes et les contrées de l'Hellade. Peut-être faut-il rappeler que l'anthroponyme Cadmos est d'origine sémitique, en l'occurrence phénicienne. Il signifie l'Oriental.
Je suis, pour ma part, irrésistiblement enclin à croire que la Grèce doit son miracle à l'Orient, notamment aux apports matériels et immatériels des Phéniciens qui, aux Grecs, donnèrent l'alphabet. C'est l'un des effets induits de la migration phénicienne, ou plutôt du commerce des Phéniciens avec les Grecs, notamment après la chute de la Thalassocratie mycénienne.
Pour s'en convaincre, il suffirait d'évoquer Salammbo de Gustave Flaubert ou Sophonisbe, qui généra trois tragédies, l'une de l'écrivain italien, Trissino, au XVIe siècle. Nous devons les deux autres à deux poètes dramatiques français : Mairet, en 1634, et Corneille, en 1663. Hannibal s'empara des écrans. Il faut également se souvenir de Psyché, telle que décrite par l'inventeur du roman moderne, Apulée de Madaure, l'auteur des Métamorphoses ou de l'Ane d'or. La Kahina se prévaut, elle-aussi, d'une place dans l'imaginaire occidental.
La présence du patrimoine matériel et immatériel de Tunisie dans les lettres et les arts d'Occident pourrait faire l'objet de très importantes thèses par les jeunes chercheurs de nos universités.
Toutefois, ces trésors historiques et patrimoniaux étaient, pendant des siècles, tenus à l'écart de l'imaginaire tunisien, qui semble leur avoir opposé des parois rendues étanches par une profonde surdité ou par une effrayante amnésie. Pourquoi ce rejet? Il serait long d'examiner un problème si grave et si lourd de conséquences, dont les causes sont à la fois endogènes et exogènes.
Pour lors, nous pouvons prendre acte et nous réjouir du changement intervenu.
Depuis l'indépendance de la Tunisie, nous assistons à une profusion d'œuvres littéraires, artistiques et publicitaires à référence ou à support historique, dûment inspirées par le patrimoine tunisien de tous les temps. Nous assistons à la renaissance de la Mémoire Nationale. Il s'agit d'une véritable résurrection qui vient nourrir et enrichir l'imaginaire individuel et collectif. Des figures illustres, naguère inconsciemment rejetées, méconnues ou délibérément exclues, apparaissent comme des résurgences ou de vertes pousses, qui s'emparent d'une terre abondamment irriguée par un ciel généreux et fécondateur, après une très longue sécheresse. Désormais des portraits, des aventures, des exploits, longtemps portés disparus, voire morts à jamais, reviennent pour repeupler le musée imaginaire de Tunisie. Il est symptomatique de voir les noms d'Elissa, Carthage, Hasdrubal, Massinissa, Sophonisbe, Jugurtha, Hannibal, etc., envahir l'onomastique tunisienne d'aujourd'hui et les panneaux publicitaires.
N'est-il pas heureux et doux de constater que, désormais, les créateurs se laissent féconder par l'histoire et le patrimoine de leur pays dans toute sa plénitude?
Voici d'abord, Elissa, la Reine vagabonde, que nous devons à l'imaginaire de Fawzi Mellah. Ce roman a été publié en 1988. Pour la mise en forme, l'auteur a adopté le genre épistolaire. Elissa, la Reine vagabonde, raconte son aventure dans une longue lettre, adressée à son frère Pygmalion qui, se prévalant de ses droits phallocratiques, réussit à s'approprier la couronne royale aux dépens de sa sœur et en dépit du testament paternel. De plus, mu par la cupidité, il fit occire Acherbas, qui était, à la fois, son oncle et le mari d'Elissa, sa sœur. L'acte était d'autant plus abject et plus sacrilège qu'Acherbas occupait le sommet de la hiérarchie sacerdotale, comme grand prêtre du fameux temple de Melqart, la divinité tutélaire de Tyr. Par ce crime inexpiable, Pygmalion voulait réduire sa sœur et se débarrasser d'un redoutable adversaire, qui pouvait revendiquer le droit de son épouse, Elissa, et ameuter le peuple de Tyr contre l'usurpateur. Grâce à ses richesses et à son autorité religieuse, il était capable de déstabiliser le roi.
Privée de ses droits légitimes, réduite au veuvage, Elissa restait sous la menace de mort, puisque la tyrannie de son frère, roi de Tyr, était sans limite : rien ne l'arrêtait, ni le droit humain, ni les interdits des dieux. La princesse décida de fuir. Etait-ce la peur de la mort ? Etait-ce l'instinct de survie ? Peut-être l'espoir de refaire sa vie ailleurs ? ! Quoi qu'il en soit, elle décida de partir: Pour justifier sa décision, Fawzi Mellah lui attribua ces paroles: Et ce n'était guère la fatigue, qui nivelait en moi les préférences, mais la fuite, encore ; la fuite de nouveau m'attirait comme un aimant.
L'auteur a donc la courtoisie de laisser Elissa raconter son histoire dans une longue lettre, écrite à l'instar d'un testament, dont la vertu cardinale est d'assurer le triomphe de l'être sur l'avoir, auquel cas la mort ne serait qu'une manière d'être. Grâce à cette longue missive, Elissa continue de vivre. Nous assistons à tous les préparatifs de son départ et nous suivons ses pérégrinations, émaillées d'imprévus, dont elle savait faire des richesses.
Il s'agit d'un véritable drame au sens théâtral du terme. Nous sommes plutôt face à un triptique, qui se déploie au fur et à mesure de la pérégrination ou de l'errance. Mais je ne sais pas si l'on peut parler d'errance quand on suit le cours du soleil : Elissa part de l'Orient et s'engage sur la route de l'Occident. Est-ce une direction voulue? S'agit-il plutôt d'une voie atavique ?
En effet, bien avant Elissa, Europe dut quitter le soleil levant pour la Crête. Fille du couple royale de Tyr, Agénor et Téléphassa, la belle princesse Europe trouva grâce aux yeux de Zeus, qui se fit taureau pour s'en approcher. Séduite par l'éclatante blancheur de ce bel animal aux yeux doux et aux cornes semblables à un croissant de lune, Europe enfourcha le taureau ; et le taureau de s'élancer vers la mer et de s'enfoncer dans les flots jusqu'à l'île de Crête, où ils s'unirent, près d'une source, à Gortyne, sous des platanes qui, pour avoir été les témoins d'un si beau mariage, eurent le privilège de ne jamais perdre leurs feuilles. Cadmos, fils d'Agénor et frère d'Europe, sur l'injonction de son père, dut partir à la recherche de sa sœur ; il se rendit partout en Grèce, mais en vain. Ayant désespéré, il fonda Thèbes conformément à l'oracle de Delphes.
Les mythes d'Europe et de Cadmos semblent avoir été mis en forme pour traduire la fécondité de l'union entre l'Est et l'Ouest de la Méditerranée, entre les côtes phéniciennes et les contrées de l'Hellade. Peut-être faut-il rappeler que l'anthroponyme Cadmos est d'origine sémitique, en l'occurrence phénicienne. Il signifie l'Oriental.
Je suis, pour ma part, irrésistiblement enclin à croire que la Grèce doit son miracle à l'Orient, notamment aux apports matériels et immatériels des Phéniciens qui, aux Grecs, donnèrent l'alphabet. C'est l'un des effets induits de la migration phénicienne, ou plutôt du commerce des Phéniciens avec les Grecs, notamment après la chute de la Thalassocratie mycénienne.
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