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Les défis démocratiques dans les pays du printemps arabe

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Depuis plus de deux ans, l'espace du "printemps arabe" vit une métamorphose profonde au niveau socio-politique. Cette période se caractérise par une prise de conscience aigüe du citoyen qui revendique ses droits essentiels et sa part dans le processus de la démocratisation.

Le régime représentatif, dans lequel les représentants sont autorisés par l'élection à transformer la volonté populaire en actes de gouvernement, constitue à l'heure actuelle le système politique le plus communément répandu dans les pays du "printemps arabe". L'une des conséquences qui en résultent est qu'on a pris l'habitude de considérer que démocratie et représentation sont en quelque sorte des synonymes.

En effet, depuis Thomas Hobbes (1588- 1679) et John Locke (1632-1704), le peuple délègue contractuellement sa souveraineté aux gouvernants. Chez Hobbes, cette délégation est totale. Or, elle n'aboutit nullement à une démocratie: son résultat est au contraire d'investir un gouverneur d'un pouvoir absolu. Chez Locke, la délégation est conditionnelle: le peuple n'accepte de se défaire de sa souveraineté qu'en échange de garanties concernant les droits fondamentaux et les libertés individuelles.

La souveraineté populaire n'en est pas moins évacuée puisqu'elle reste suspendue aussi longtemps que les gouvernants respectent les termes du contrat. Jean Jacques Rousseau pose de son côté l'exigence démocratique comme antagoniste de tout régime représentatif. Le peuple, chez lui, ne passe pas de contrat avec le souverain; leurs rapports relèvent exclusivement de la loi. Le "prince" n'est que l'exécutant du peuple, qui reste seul titulaire du pouvoir législatif. Il n'est même pas investi du pouvoir qui appartient à la volonté générale; c'est bien plutôt le peuple qui gouverne à travers lui.

Toute représentation correspond à une abdication

Le raisonnement de Rousseau est très simple: si le peuple est représenté, ce sont ses représentants qui détiennent le pouvoir, et en ce cas il n'est plus souverain. Le peuple souverain est un "être collectif" qui ne saurait être représenté que par lui-même. Renoncer à sa souveraineté serait comme renoncer à sa liberté, c'est-à-dire se détruire lui-même. La liberté, comme droit inaliénable, implique la plénitude d'un exercice sans lequel il ne peut y avoir de véritable citoyenneté politique. La souveraineté populaire ne peut être, dans ces conditions, qu'indivise et inaliénable.

Toute représentation correspond donc à une abdication. Si l'on admet que la démocratie est le régime fondé sur la souveraineté du peuple, on ne peut que donner raison à Rousseau. La démocratie est la forme de gouvernement qui répond au principe de l'identité des gouvernés et des gouvernants, c'est-à-dire de la volonté populaire et de la loi. Cette identité renvoie elle-même à l'égalité substantielle des citoyens, c'est-à-dire au fait qu'ils sont tous également membres d'une même unité politique. Dire que le peuple est souverain, non par essence mais par vocation, signifie que c'est du peuple que procède la puissance publique et les lois.

Les gouvernants ne peuvent donc être que des agents d'exécution, qui doivent se conformer aux fins déterminées par la volonté générale. Le rôle des représentants doit être réduit au maximum, le mandat représentatif perdant toute légitimité dès qu'il porte sur des fins ou des projets ne correspondant pas à la volonté générale. Or, c'est exactement l'inverse de ce qui se passe aujourd'hui dans les pays du "printemps arabe".

Dans les démocraties classiques, le primat est donné à la représentation, et plus précisément à la représentation-incarnation. Le représentant, loin d'être seulement "commis" pour exprimer la volonté de ses électeurs, incarne lui-même cette volonté du seul fait qu'il est élu. Cela veut dire qu'il trouve dans son élection la justification qui lui permet d'agir, non plus selon la volonté de ceux qui l'ont élu, mais selon la sienne propre, c'est-à-dire qu'il se considère comme autorisé par le vote à faire ce qu'il juge bon de faire.

Crise de la représentation

Ce système est à l'origine des critiques qui n'ont cessé, depuis un bon moment, d'être dirigées contre le parlementarisme, critiques qui rebondissent aujourd'hui à travers les débats sur la "crise de la représentation".

Dans le système représentatif, l'électeur ayant délégué par le suffrage sa volonté politique à celui qui le représente, le centre de gravité du pouvoir réside immanquablement dans les représentants et les partis qui les regroupent, et non plus dans le peuple. La classe politique forme bientôt une oligarchie de professionnels qui défendent leurs intérêts propres, dans un climat général de confusion et d'irresponsabilité.

S'y ajoute aujourd'hui, à une époque où ceux qui possèdent un pouvoir de décision le tiennent beaucoup plus souvent de la nomination ou de la cooptation que de l'élection. Ainsi, le système représentatif, dont les théoriciens célèbrent régulièrement les vertus, n'apparaît pas de nature à corriger la situation.

Reposant sur un ensemble de procédures et de règles juridiques formelles, il est en effet indifférent aux fins spécifiques du politique. Les valeurs sont exclues de ses préoccupations, laissant ainsi le champ libre à l'affrontement des intérêts. Les lois y ont autorité du seul fait qu'elles sont légales, c'est-à-dire conformes à la Constitution et aux procédures prévues pour leur adoption. La légitimité se réduit dès lors à la légalité.

Cette conception positiviste de la légitimité invite à respecter les institutions pour elles-mêmes, comme si celles-ci constituaient une fin en soi, sans que la volonté populaire puisse les modifier et en contrôler le fonctionnement. Or, en démocratie, la légitimité du pouvoir ne dépend pas seulement de la conformité à la loi mais avant tout de la conformité de la pratique gouvernementale aux fins qui lui sont assignées par la volonté générale. La justice et la validité des lois ne sauraient donc résider tout entières dans l'activité de l'État ou dans la production législatrice du parti au pouvoir.

La légitimité du droit ne saurait, de même, être garantie par la seule existence d'un contrôle juridictionnel: il faut encore, pour que le droit soit légitime, qu'il réponde à ce que les citoyens en attendent et qu'il intègre des finalités orientées vers le service du bien commun.

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