Sur la rive Africaine d'une mer commune la Tunisie oublie son statut occidental et revendique son identité Arabe alors que l'apport de population venue de cette péninsule n'a probablement pas dû, lui non-plus, dépasser 100.000 personnes.
Carthage nous rappelle le poids des Phéniciens, mais ils n'étaient eux-aussi qu'une poignée d'envahisseurs face à la masse de la population Berbère. Ils vous ont largement protégés des Grecs de la Tripolitaine, mais vous avez, comme nous, connu les Romains et même les Vandales pendant les grandes invasions.
Puis, tout comme nous, vous avez eu ensuite quelques siècles de tranquillité relative qui vous ont permis de vous forger une identité maghrébine. La Tunisie et la France sont des points de passage, des corridors civilisationnels. Vous avez su faire de cette situation un atout et devenir une plate forme commerciale, mais elle a suscité bien des convoitises. Des Béni Hillel à l'Afrika Korps, les vagues d'envahisseurs se sont succédés: Arabes Aghlabides ou Fatimides, Normands, Turcs ou Français, tous n'ont-ils pas participé à ce que vous êtes? Dans un monde qui change, dans le village planétaire, des identités monolithiques peuvent devenir un handicap lorsqu'elles nous figent dans des logiques surannées et transforment doucement nos pays en réserves touristiques ou en musées. Comment s'en défendre?
Les identités n'existent pas de façon isolée, il n'y a que des systèmes identitaires complexes avec des maillons que chacun peut utiliser à sa guise. Les individus se protègent en revendiquant des identités complémentaires, les peuples libres s'échangent leurs identités: prendre celle du voisin permet de relativiser la sienne et c'est encore plus facile quand il nous rend la pareille et quand nous nous inscrivons dans un mouvement plus vaste.
Entre la France et la Tunisie, les choses ont été longtemps à sens unique. Les tunisiens connaissaient presque tout de la vie française tandis qu'en France, la Tunisie peinait à se faire une image au-delà des clichés de Hammamet ou des chameaux de Tozeur. Le printemps tunisien a rendu la réciprocité possible car il a fait basculer l'image de la Tunisie dans le XXI° siècle, au cœur du débat sur les libertés.
La Tunisie partage avec la France la même fragilité et la même richesse identitaire, mais la similitude s'arrête là car ce qu'ils en font est très différent. Si les Français sont passionnés par l'histoire, quitte à parfois la manipuler, les Tunisiens, à quelques exceptions près, semblent s'en désintéresser. Un patrimoine exceptionnel sommeille pendant que les touristes s'agglutinent sur les plages. Le déni des origines prend une dimension globale et la Tunisie, pays jeune par sa moyenne d'âge, oublie qu'elle est aussi un très vieux pays, porteur d'une tradition précieuse.
Quand je suis venu pour la première fois à Carthage, j'avoue avoir pleuré en découvrant le port punique encore en eau et l'ilot de l'Amirauté: Carthage, le lieu où les civilisations ont basculé! Depuis le choc s'est renouvelé tant de fois et dans tant de sites différents où le passé reprend forme et propose ses racines.
Comment un peuple qui a réalisé tant de chefs d'œuvres peut-il douter de lui et de ses potentiels?
Une figure me vient à l'esprit pour illustrer cet aveuglement, celle de Moncef Bey. Si les Français doivent se considérer comme un peuple régicide et faire du pauvre Louis XVI leur seul homme providentiel bienveillant, alors les Tunisiens mériteraient de lever leur déni en se reconnaissant comme un peuple amnésique. Moncef Bey a su s'imposer face à l'arbitraire du pouvoir colonial et nommer un premier gouvernement nationaliste et Destourien en pleine occupation Allemande. Il a été déposé sans honneur par des Français revanchards qui n'avaient pas compris le mouvement de l'histoire. Il est mort en exil à Pau en 1948 et, s'il a eu droit à des obsèques nationales à Tunis, il n'a pas été honoré à Tourbet el Bey.
Le Bey du peuple pourrait devenir la figure déniée de l'histoire Tunisienne moderne, et faire retour comme incarnation d'un idéal du moi consensuel. Pour retrouver ses enthousiasmes, la Tunisie doit renouer avec son histoire, c'est là seulement que se trouvent les hommes providentiels et les héros capables de nous sortir de la malédiction dépressive.
Le déni est un mécanisme expansif et le déni historique sert de base à un déni géopolitique. La Tunisie en tant qu'Etat est une évidence, mais fonctionne-t-elle vraiment comme une nation unie?
Tunis est une métropole animée, mais chaque Aïd, c'est le même spectacle, la capitale se vide et chacun rejoint sa famille, c'est-à-dire sa région d'origine. Les démographes nous le disent, la Tunisie est un des pays les plus endogames au monde, bien plus que ses voisins Magrébins et à l'opposé de la France qui est un des plus exogames.
On se marie entre soi, on forme des groupes géographiques, presque des clans: les Sahéliens contre les Sfaxiens, les gens du Sud contre ceux du Nord, les Tunisois contre tous et les Djerbiens ailleurs.
La Tunisie apparaît comme un agglomérat et certains groupes se sentent désavantagés, Kasserine, Sidi Bouzid, Gafsa, par exemple. Le recours lancinant à l'identité arabo-musulmane ne serait-il pas une manière de refuser de voir que les inégalités de développement forment un obstacle au sentiment d'identité commune?
Une véritable politique régionale passe par la levée du déni qui pèse sur l'hétérogénéité profonde de la population tunisienne. Grâce à Facebook, à Tweeter et aux paraboles les tunisiens communiquent avec le monde entier, mais ne sont-ils pas en pleine découverte les uns des autres? L'injustice qui crée des clivages entre les blocs identitaires fige les repères et interdit la souplesse dans les références. Quand la religion devient le seul fédérateur, elle risque de devenir un moyen de pouvoir. Quand les manipulateurs changent la foi en certitude et en instrument de haine, c'est que le problème est ailleurs dans une unité qui ne se fait pas parce que l'injustice interdit toute représentation de bienveillance, tout sentiment d'appartenance à une famille commune. La Tunisie ne déprime-t-elle pas d'être divisée?
Un air nouveau flotte ces jours-ci sur la Tunisie, ça vous prend dès la sortie de l'avion, on entend des rires...
Profitez du répit, mais ne vous laissez pas surprendre: une cohorte d'hommes providentiel va solliciter votre attention puis vos suffrages. Laissez les idéaux meurtriers dans les cimetières ou sur les places où on leur élève des statues et méfiez-vous de ceux qui aspirent à l'immortalité de leur vivant. Le monde entier vous regarde et surtout la France qui traîne encore son marasme.
Bien sûr, vous n'êtes pas seuls, le message d'espoir vient de peuples qui ont été longtemps négligés, mais qui ont su s'arracher à la dépression ambiante.
Prenons un exemple, il nous vient d'un chanteur noir américain, Pharell Williams. Tout part d'un clip réalisé aux USA sur le thème d'une de ses chansons et voilà que les Tunisiens s'en emparent. Tunis, Kairouan, Bizerte, toute la Tunisie est Happy, elle décline son bonheur dans des clips avant même l'adoption de la nouvelle constitution et le consensus retrouvé.
Le bonheur est contagieux, après la Jamaïque, la Russie et l'Australie, c'est la France qui s'en empare! Les jeunes du monde entier refusent la tristesse que leur imposent les vieux caciques et les contempteurs de la modernité. Ces jeunes ne sont pas dans le déni, ils assument ce dont ils héritent, mais ils sont capables de rire. Ils incarnent une identité tunisienne qui se reconnaît dans la musique et la joie de vivre.
La jeunesse Tunisienne est un cadeau donné au monde entier, à une vieille planète amnésique et grincheuse qui peut se réveiller en oubliant son arthrose!
Carthage nous rappelle le poids des Phéniciens, mais ils n'étaient eux-aussi qu'une poignée d'envahisseurs face à la masse de la population Berbère. Ils vous ont largement protégés des Grecs de la Tripolitaine, mais vous avez, comme nous, connu les Romains et même les Vandales pendant les grandes invasions.
Puis, tout comme nous, vous avez eu ensuite quelques siècles de tranquillité relative qui vous ont permis de vous forger une identité maghrébine. La Tunisie et la France sont des points de passage, des corridors civilisationnels. Vous avez su faire de cette situation un atout et devenir une plate forme commerciale, mais elle a suscité bien des convoitises. Des Béni Hillel à l'Afrika Korps, les vagues d'envahisseurs se sont succédés: Arabes Aghlabides ou Fatimides, Normands, Turcs ou Français, tous n'ont-ils pas participé à ce que vous êtes? Dans un monde qui change, dans le village planétaire, des identités monolithiques peuvent devenir un handicap lorsqu'elles nous figent dans des logiques surannées et transforment doucement nos pays en réserves touristiques ou en musées. Comment s'en défendre?
Les identités n'existent pas de façon isolée, il n'y a que des systèmes identitaires complexes avec des maillons que chacun peut utiliser à sa guise. Les individus se protègent en revendiquant des identités complémentaires, les peuples libres s'échangent leurs identités: prendre celle du voisin permet de relativiser la sienne et c'est encore plus facile quand il nous rend la pareille et quand nous nous inscrivons dans un mouvement plus vaste.
Entre la France et la Tunisie, les choses ont été longtemps à sens unique. Les tunisiens connaissaient presque tout de la vie française tandis qu'en France, la Tunisie peinait à se faire une image au-delà des clichés de Hammamet ou des chameaux de Tozeur. Le printemps tunisien a rendu la réciprocité possible car il a fait basculer l'image de la Tunisie dans le XXI° siècle, au cœur du débat sur les libertés.
La Tunisie partage avec la France la même fragilité et la même richesse identitaire, mais la similitude s'arrête là car ce qu'ils en font est très différent. Si les Français sont passionnés par l'histoire, quitte à parfois la manipuler, les Tunisiens, à quelques exceptions près, semblent s'en désintéresser. Un patrimoine exceptionnel sommeille pendant que les touristes s'agglutinent sur les plages. Le déni des origines prend une dimension globale et la Tunisie, pays jeune par sa moyenne d'âge, oublie qu'elle est aussi un très vieux pays, porteur d'une tradition précieuse.
Quand je suis venu pour la première fois à Carthage, j'avoue avoir pleuré en découvrant le port punique encore en eau et l'ilot de l'Amirauté: Carthage, le lieu où les civilisations ont basculé! Depuis le choc s'est renouvelé tant de fois et dans tant de sites différents où le passé reprend forme et propose ses racines.
Comment un peuple qui a réalisé tant de chefs d'œuvres peut-il douter de lui et de ses potentiels?
Une figure me vient à l'esprit pour illustrer cet aveuglement, celle de Moncef Bey. Si les Français doivent se considérer comme un peuple régicide et faire du pauvre Louis XVI leur seul homme providentiel bienveillant, alors les Tunisiens mériteraient de lever leur déni en se reconnaissant comme un peuple amnésique. Moncef Bey a su s'imposer face à l'arbitraire du pouvoir colonial et nommer un premier gouvernement nationaliste et Destourien en pleine occupation Allemande. Il a été déposé sans honneur par des Français revanchards qui n'avaient pas compris le mouvement de l'histoire. Il est mort en exil à Pau en 1948 et, s'il a eu droit à des obsèques nationales à Tunis, il n'a pas été honoré à Tourbet el Bey.
Le Bey du peuple pourrait devenir la figure déniée de l'histoire Tunisienne moderne, et faire retour comme incarnation d'un idéal du moi consensuel. Pour retrouver ses enthousiasmes, la Tunisie doit renouer avec son histoire, c'est là seulement que se trouvent les hommes providentiels et les héros capables de nous sortir de la malédiction dépressive.
Le déni est un mécanisme expansif et le déni historique sert de base à un déni géopolitique. La Tunisie en tant qu'Etat est une évidence, mais fonctionne-t-elle vraiment comme une nation unie?
Tunis est une métropole animée, mais chaque Aïd, c'est le même spectacle, la capitale se vide et chacun rejoint sa famille, c'est-à-dire sa région d'origine. Les démographes nous le disent, la Tunisie est un des pays les plus endogames au monde, bien plus que ses voisins Magrébins et à l'opposé de la France qui est un des plus exogames.
On se marie entre soi, on forme des groupes géographiques, presque des clans: les Sahéliens contre les Sfaxiens, les gens du Sud contre ceux du Nord, les Tunisois contre tous et les Djerbiens ailleurs.
La Tunisie apparaît comme un agglomérat et certains groupes se sentent désavantagés, Kasserine, Sidi Bouzid, Gafsa, par exemple. Le recours lancinant à l'identité arabo-musulmane ne serait-il pas une manière de refuser de voir que les inégalités de développement forment un obstacle au sentiment d'identité commune?
Une véritable politique régionale passe par la levée du déni qui pèse sur l'hétérogénéité profonde de la population tunisienne. Grâce à Facebook, à Tweeter et aux paraboles les tunisiens communiquent avec le monde entier, mais ne sont-ils pas en pleine découverte les uns des autres? L'injustice qui crée des clivages entre les blocs identitaires fige les repères et interdit la souplesse dans les références. Quand la religion devient le seul fédérateur, elle risque de devenir un moyen de pouvoir. Quand les manipulateurs changent la foi en certitude et en instrument de haine, c'est que le problème est ailleurs dans une unité qui ne se fait pas parce que l'injustice interdit toute représentation de bienveillance, tout sentiment d'appartenance à une famille commune. La Tunisie ne déprime-t-elle pas d'être divisée?
Un air nouveau flotte ces jours-ci sur la Tunisie, ça vous prend dès la sortie de l'avion, on entend des rires...
Profitez du répit, mais ne vous laissez pas surprendre: une cohorte d'hommes providentiel va solliciter votre attention puis vos suffrages. Laissez les idéaux meurtriers dans les cimetières ou sur les places où on leur élève des statues et méfiez-vous de ceux qui aspirent à l'immortalité de leur vivant. Le monde entier vous regarde et surtout la France qui traîne encore son marasme.
Bien sûr, vous n'êtes pas seuls, le message d'espoir vient de peuples qui ont été longtemps négligés, mais qui ont su s'arracher à la dépression ambiante.
Prenons un exemple, il nous vient d'un chanteur noir américain, Pharell Williams. Tout part d'un clip réalisé aux USA sur le thème d'une de ses chansons et voilà que les Tunisiens s'en emparent. Tunis, Kairouan, Bizerte, toute la Tunisie est Happy, elle décline son bonheur dans des clips avant même l'adoption de la nouvelle constitution et le consensus retrouvé.
Le bonheur est contagieux, après la Jamaïque, la Russie et l'Australie, c'est la France qui s'en empare! Les jeunes du monde entier refusent la tristesse que leur imposent les vieux caciques et les contempteurs de la modernité. Ces jeunes ne sont pas dans le déni, ils assument ce dont ils héritent, mais ils sont capables de rire. Ils incarnent une identité tunisienne qui se reconnaît dans la musique et la joie de vivre.
La jeunesse Tunisienne est un cadeau donné au monde entier, à une vieille planète amnésique et grincheuse qui peut se réveiller en oubliant son arthrose!
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