Quantcast
Channel: Huffington Post Maghreb Athena - All
Viewing all articles
Browse latest Browse all 32453

Quand le gouvernement américain fait taire les voix qui ne lui conviennent pas

$
0
0
Cette semaine, seront jugées les quatorze personnes accusées par le Ministère de la Justice américain d'avoir pris part à l'attaque visant les services Paypal en 2010. Les "PayPal 14", comme ils ont été surnommés par la presse américaine, sont accusés d'avoir participé à l'attaque organisée par Anonymous en réponse à l'interruption par Paypal de ses relations avec WikiLeaks. Cette affaire, tout comme les actions en justice de PayPal en 2010, soulèvent d'importantes questions concernant la liberté de la presse et la nature des mouvements de protestation sur Internet.

En tant que président d'eBay, compagnie affiliée à PayPal et en tant que philantrope et éditeur partisan de la transparence gouvernementale, des libertés de la presse et d'expression, je me sens particulièrement concerné (j'insiste sur le fait que les points de vue partagés dans cet article sont les miens et ne représentent pas ceux de la compagnie eBay).

Tout a commencé en décembre 2010, quand PayPal a interrompu pendant plusieurs mois ses relations avec WikiLeaks et la fondation acceptant les dons en son nom. Aujourd'hui, PayPal fait partie des options de paiement pour soutenir WikiLeaks.

Lorsque j'ai appris la décision de PayPal, j'ai immédiatement fait part de mon inquiétude à la direction de la compagnie. Quelques jours plus tard, j'ai contribué à un éditorial du Honolulu Civil Beat Editorial Board mettant en avant les répercussions sur la liberté de la presse des actes de PayPal et d'autres compagnies suite à des pressions gouvernementales.

Dans cet éditorial, nous affirmons que Julian Assange, par l'existence de son site Wikileaks, est un éditeur et que le gouvernement américain a essayé de le faire taire.

Par le passé, un journaliste possédait sa propre maison d'édition et lorsque même les plus agressifs des politiciens voulaient lui mettre des bâtons dans les roues, ils ne pouvaient strictement rien faire.

Avec Internet, on pourrait croire que tout le monde peut être éditeur, que nous vivons à une époque où la liberté de la presse est assurée, ce qui était inimaginable il y a quelques dizaines d'années.

Mais le cas de WikiLeaks dénonce la vulnérabilité des éditeurs sur Internet. Ce qui est arrivé à Julian Assange et son site a des implications profondes et embarrassantes pour notre société. Et non, nous ne parlons pas des dommages qu'il a causés à la sécurité intérieure de notre pays en publiant des documents classés.

Nous parlons des atteintes à la démocraties causées par le gouvernement quand celui-ci use de sa position pour faire taire les voix qui ne lui conviennent pas. Ce qui est encore plus inquiétant c'est la façon dont cette affaire a dévoilé que les gouvernements étrangers pouvaient se servir de leurs propres enquêtes criminelles pour atteindre et éventuellement faire taire des journalistes au-delà de leurs propres frontières.


La nature mercantile d'Internet pose également problème vis-à-vis de la liberté de la presse en raison du fait qu'en général ces entreprises n'ont pas comme priorité les droits fondamentaux de leurs clients quand le gouvernement commence à s'en prendre à eux.

De nos jours, il semblerait qu'une simple notification d'enquête pénale soit suffisante pour qu'une entreprise, dont le principal intérêt n'est pas le premier amendement, rompe les liens avec un éditeur, comme l'ont fait Amazon, PayPal, Visa et MasterCard vis-à-vis de WikiLeaks...

A l'inverse des anciens barons de la presse, les dirigeants de ces entreprises ne peuvent pas assurer à leurs actionnaires que de céder sur une question de principe sera plus dommageable à leur entreprise que de laisser tomber un client.


En revanche, le premier amendement sera au cœur de notre nouvelle organisation médiatique et nous prendrons des décisions entièrement différentes face à des situations de pressions de non-publication ou de représailles suite aux faits de la part du gouvernement.

Trois ans plus tard, la situation des éditeurs virtuels n'a pas beaucoup changé, bien que, d'après des rapports récents, le Ministère de la justice se soit rendu compte qu'incriminer WikiLeaks pour ses publications pourrait poser problème. Le Ministère de la justice aura mis trois ans à réaliser quelque chose qui semblait évident à tous les défenseurs de la liberté de la presse depuis le début, mais on peut quand même parler de progrès.

Cependant, on ne sait toujours pas si WikiLeaks et Julian Assange seront condamnés. Il est impossible de savoir où en est l'enquête du gouvernement, mais il est quand même triste de constater que la légalité de simples opérations de diffusion d'informations, qui de l'extérieur semblent légitimes, est remise en question.

De nos jours, il ne s'agit pas que de la diffusion d'informations qui est remise en question, mais aussi de la nature des mouvements de protestation sur Internet. Est-ce qu'une attaque par déni de services est une forme légitime de protestation?

En 2010, les membres d'Anonymous ont contre-attaqué PayPal en lançant exactement le même type d'attaque. On ne sait pas combien de personnes ont pris part à cette attaque mais quatorze d'entre elles ont été arrêtées et inculpées par le gouvernement.

Une attaque par déni de services fait beaucoup de dégâts et coûte cher. De nombreux clients de PayPal se servent du site comme moyen de subsistance. Une interruption de services peut avoir des conséquences désastreuses: ces clients peuvent perdre des revenus ce qui peut entraîner des retards pour payer le loyer, les frais médicaux... Ces impacts sont sérieux et ne doivent pas être négligés. Ces personnes vulnérables ont sûrement plus souffert de cette attaque contre les serveurs PayPal que la multinationale.

Les employés de PayPal, comme dans la plupart des entreprises, prennent la protection de leurs clients très au sérieux. Le biper toujours à porté de main pour être réveillé en pleine nuit si un problème survient. Ils accumulent les heures supplémentaires de dernière minute au lieu de passer du temps avec leur famille. Ils placent toujours leurs clients avant leur propre intérêt.

Mais d'un autre côté, je comprends que les protestataires soient furieux envers PayPal et qu'ils ressentent le besoin de participer à une manifestation virtuelle pour exprimer leur frustration. C'est leur droit et je soutiens la liberté d'expression, même lorsque c'est ma compagnie qui est dans le viseur.

Cependant, le problème dans ce cas, c'est que les outils utilisés par Anonymous sont très puissants. Un appareil central prend le contrôle de l'ordinateur d'un protestataire et peut lui faire envoyer plusieurs centaines de demandes de pages par seconde à un site en particulier. L'impact simultané de quelques uns (une centaine par exemple) de ces ordinateurs peut tétaniser la plupart des sites. Un millier d'ordinateurs envoyant chacun 100 requêtes par seconde comptabilisent six millions de requêtes à la minute.

Pour faire un parallèle entre manifestants réels et virtuels, un millier de personnes ont le même effet que six millions de manifestants devant votre porte. L'impact de chaque personne devient immense. C'est comme si chaque manifestant était accompagné de 6000 amis sans s'être donné la peine de les convaincre de prendre une journée de repos et de descendre dans la rue.

J'en ai conclu que ces attaques étaient bien différentes des autres formes de protestation.

D'un point de juridique, je pense que les procureurs devraient faire attention aux dommages concrets causés par chaque accusé. Tout d'abord, il serait injuste de condamner quatorze personnes pour les actes d'un millier (du nombre de personnes concernées par cette attaque). Chaque personne doit être tenue responsable des dommages causés par sa propre personne.

Ensuite, la loi autorise les procureurs à estimer les dommages de manière exagérée. Une estimation juste des dommages causés prend en compte la rémunération des heures supplémentaires nécessaires aux employés pour répondre à l'attaque. Mais apparemment, les dommages estimés par les procureurs dans cette affaire comprennent le coût d'un équipement pour mieux se défendre contre les attaques de ce genre.

À mon avis, ce n'est pas logique. C'est comme condamner un manifestant qui aurait, de manière illégale et très mal avisée, jeté une pierre dans une fenêtre à payer le remplacement de ladite fenêtre par une fenêtre plus moderne et plus chère qui résisterait aux pierres. Il est vrai qu'il n'y aurait pas eu besoin de protection contre les pierres si le manifestant n'avait pas fait ce qu'il a fait, mais à mes yeux ce n'est pas juste que le manifestant paye pour cette modernisation.

Les procureurs devraient aussi faire attention aux circonstances des actions de chaque accusé et déterminer s'ils était conscients ou pas de l'étendue que leurs actes pouvait avoir. Ils avaient peut être l'impression de participer à un simple mouvement de protestation en ligne sans se rendre compte des nombreux effets que cela pouvait entraîner. Beaucoup ne sont pas au courant de l'effet que peuvent avoir ce genre de technologie et ont eu l'impression de n'être qu'une voix de plus dans le choeur des protestations, plutôt que d'être à l'origine de milliers d'entre elles. Dans ce genre de cas, la justice devrait être clémente. À mon avis, ils devraient être jugés pour délit mineur et être condamnés à une amende, plutôt que pour crime et de risquer une peine de prison.

En tant que société, notre vision de la liberté d'expression et de la protestation doit évoluer car la majeure partie de la sphère publique se trouve aujourd'hui en ligne. La protestation sur internet est devenue une nouvelle forme d'expression et doit sembler tout à fait naturelle aux gens qui ont grandi en faisant partie de communautés virtuelles. Les principes du premier amendement nécessitent un espace de libre parole et de libre association, libre de toute intervention du gouvernement et ces espaces existent en ligne comme dans la vrai vie. Mais en créant ces espaces, il faut garder à l'esprit qu'un nombre beaucoup plus petit de personnes peut perturber de manière beaucoup plus significative les activités de millions de leurs compatriotes qui ont tout autant droit de vivre leur vie sans être dérangé.

Si la Marche vers Washington de Martin Luther King peut aujourd'hui être simulée par quelques dizaines de personnes sur internet, de simples parallèles avec les vrais manifestants ne sont pas suffisants pour nous aider à définir le rôle de la liberté d'expression sur la toile.
Les actes du gouvernement envers WikiLeaks en 2010 et les réactions des entreprises à cette pression, ainsi que le passage devant la justice des "PayPal 14" soulèvent des questions quant à la nature du première amendement à l'ère du numérique. Le premier amendement est tout simplement une limitation du pouvoir d'intrusion du gouvernement et le principe de base de notre société. Comment se fait-il que des intérêts commerciaux puissent interférer avec ces protections? Comment le gouvernement assure-t-il un espace de libre parole sur internet alors qu'il n'y a pas de trottoir ou de banc public? Comment un opinion impopulaire peut-elle résister à la pression du gouvernement alors que cette opinion dépend des fournisseurs internet pour atteindre son audience?

Ces questions sont vitales dans notre société actuelle. Le premier amendement est le droit le plus important des Américains. Comment notre perception de cet amendement va-t-elle s'adapter aux changement sociaux et technologiques? L'avenir nous le dira, mais nos libertés dépendent de notre engagement à ce sujet.

Viewing all articles
Browse latest Browse all 32453

Trending Articles



<script src="https://jsc.adskeeper.com/r/s/rssing.com.1596347.js" async> </script>