La Tunisie est un des pays-pilotes africains choisis par Yunus Social Business et la Banque Africaine de Développement (BAD) pour aider au développement d'entreprises à forte ambition sociale.
Prix Nobel de la Paix en 2006 pour avoir fondé le premier institut de micro-crédit avec la Grameen Bank, le "banquier des pauvres" bangladais Mohamed Yunus s'est tourné vers son projet de business social en 2011. Après des controverses autour des dérives du micro-crédit, confronté à des procès qu'il juge "politiques" au Bangladesh, Yunus cherche aujourd'hui à favoriser "de nouvelles manières d'investir" à travers le monde.
Depuis 2011, Yunus Social Business a lancé des projets en Amérique du Sud, en Inde, à Haïti et en Albanie.
Pour l'Afrique, ils ont commencé à penser à la Tunisie en 2013 (l'Ouganda et le Togo suivront). La BAD cherchait "un pays qui réagirait bien" et ont jugé que "les jeunes Tunisiens sont à la recherche de nouvelles manières de faire", raconte Agnès Soucat, directrice du département de développement humain.
"L'économie 'solidaire' pèse lourd dans les grosses économies, mais en Tunisie elle est quasi-inexistante", suggère par ailleurs un responsable du projet.
Dirigé depuis Tunis par l'accélérateur de business social iBDA, l'initiative a enclenché un processus de sélection et choisi 11 projets parmi plusieurs milliers de candidatures.
Eco-tourisme à Siliana, artisanat féminins à Kasserine, élevage d'agneaux à Sidi Bouzid: 7 des 11 projets seront focalisés sur les régions de l'intérieur. Les femmes et les populations marginales sont censées bénéficier au maximum du développement social.
De passage à Tunis, Mohamed Yunus a rencontré le HuffPost Maghreb dans sa chemise traditionnelle habituelle. Il s'est livré sur la situation en Tunisie, sa technique pour éviter les erreurs passées et sa vision d'un être humain "foncièrement bon".
HuffPost Maghreb: Pourquoi avez-vous choisi la Tunisie?
Mohamed Yunus: Pourquoi pas?
Vous n'avez choisi que trois pays en Afrique (avec l'Ouganda et le Togo). Pourtant, il y a le choix.
Parce que le siège de la BAD est ici. Ils nous ont invité. Ils voulaient commencé avec des pays africains, nous voulions apporter l’idée du business social pour le tester, voir si ça marchait.
Quelque chose peut être bien beau en théorie et beaucoup moins en pratique.
La situation actuelle en Tunisie est-elle propice à cette expérimentation?
C’est une coïncidence, nous ne l’avions pas prévu. Nous n’avons pas pris la décision selon la situation politique tunisienne. Mais oui, c’est un bon moment, parce que c’est une période de transition.
Pendant une transition, on peut faire des choses qu’on ne ferait pas habituellement. Il faut tenter de nouvelles choses, passer par des chemins nouveaux. Les jeunes se cherchent un futur dans ce pays.
A Haiti, la fourchette de financement pour chaque projet allait de 80,000 dollars à 500,000 dollars. Elle est moins élevée en Tunisie (100,000 à 600,000 dinars), alors que l’entreprenariat y est plus cher.
Le financement dépend des projets.
Tous les onze projets tunisiens seront-ils financés?
Je ne sais pas. Ca dépendra notamment de notre capacité à financer.
Savez-vous déjà combien d’argent YSB investira dans les projets tunisiens en tout?
Non, pas encore. On analyse les projets un par un. Un projet ne doit pas juste être bon, il faut aussi que nous ayons les moyens de le financer.
Il y a quelques années, vous avez dit: "Je n’ai jamais imaginé que le micro-crédit aurait pu donner naissance à autant de requins financiers". Il y a eu des dérives. Le modèle du business social a-t-il appris des erreurs du micro-crédit?
D’une certaine façon, oui. Nous ne voulons pas parler de "Social business", mais de "Yunus social business". Avec le micro-crédit, nous disions juste “micro-crédit”. Si on pouvait retourner en arrière, on l’aurait appelé "Yunus micro-crédit", pour que les gens sachent exactement de quoi il s’agit.
Une entreprise “sociale” évoluera logiquement dans un environnement de capitalisme traditionnel, avec des concurrents compétitifs et moins regardant sur le social. Comment conserver les mêmes priorités vertueuses?
Oui, et il est possible qu'un business social s'éloigne de son idée de départ. C’est humain. Mais ce business ne serait alors plus un "Yunus social business".
Pensez-vous que l’être humain est foncièrement bon?
Oui. Au fond, tous les êtres humains sont bons. Ce sont les circonstances qui les poussent dans de mauvaises directions.
Le micro-crédit a souvent pâti d'un manque de régulation, avec des taux d'intérêts parfois exorbitants de la part de certains instituts. Faut-il réguler le business social?
Pas vraiment. Ca peut fonctionner dans le cadre de la régulation habituelle. La seule différence, c’est l’état d’esprit de l’entrepreneur. Nous ne voulons pas qu’il bénéficie personnellement du projet. Ce sont les gens qui doivent en bénéficier.
Mais le label "social business" ne peut-il pas être utilisé comme une simple stratégie d’image? YSB a pris en compte des projets dont l’impact social se réduisait principalement à la création d’emploi dans les régions intérieures. N’importe quelle entreprise créant de l’emploi dans les régions peut-elle s’appeler "sociale"?
La différence, c’est que quand on crée un business social, la création d’emploi est l’objectif. Quand on crée un business conventionnel, l’objectif est la gain. La création d’emploi n’y est qu’un phénomène adjacent au profit.
Mais comment peut-on juger l’objectif, l’intention d’un entrepreneur?
Selon la quantité d’argent qu’il gagne.
Il n’y aura donc aucun profit pour les investisseurs et les prêteurs?
La définition du social business est celle d’une entreprise qui ne verse pas de dividendes.
Il y a quand même du profit. Le capital investi augmente avec la taille de l'entreprise, les prêteurs touchent des intérêts sur le crédit...
Les intérêts, ce n’est pas du profit. Si je prête de l’argent, les intérêts que je récupère ne sont que mon paiement. Ce n’est pas un profit. Le profit, c’est le surplus qui reste après avoir récupérer l’argent et les intérêts.
Tant qu’on est un business social, on ne prend aucun profit pour soi-même, sauf le montant qu'on récupère de son investissement. C’est tout, rien de plus.
Vous avez lancé des projets en Albanie, où le gouvernement est enthousiaste et a même créé une agence dédiée au business social. Vous êtes en contact avec le gouvernement tunisien?
On indique toujours aux gouvernements que leur soutien est important, mais que nous n’avons besoin de rien d’autre. Si un gouvernement nous aide trop, ça nous faire du tort.
Mais comment ont réagi les politiques en Tunisie?
Très bien! Le ministre est venu. La dernière fois que j'étais venu, le président m’avait accueilli et nous avions bien discuté.
Tout le monde est enthousiaste?
Très enthousiaste.
Prix Nobel de la Paix en 2006 pour avoir fondé le premier institut de micro-crédit avec la Grameen Bank, le "banquier des pauvres" bangladais Mohamed Yunus s'est tourné vers son projet de business social en 2011. Après des controverses autour des dérives du micro-crédit, confronté à des procès qu'il juge "politiques" au Bangladesh, Yunus cherche aujourd'hui à favoriser "de nouvelles manières d'investir" à travers le monde.
Depuis 2011, Yunus Social Business a lancé des projets en Amérique du Sud, en Inde, à Haïti et en Albanie.
Pour l'Afrique, ils ont commencé à penser à la Tunisie en 2013 (l'Ouganda et le Togo suivront). La BAD cherchait "un pays qui réagirait bien" et ont jugé que "les jeunes Tunisiens sont à la recherche de nouvelles manières de faire", raconte Agnès Soucat, directrice du département de développement humain.
"L'économie 'solidaire' pèse lourd dans les grosses économies, mais en Tunisie elle est quasi-inexistante", suggère par ailleurs un responsable du projet.
Dirigé depuis Tunis par l'accélérateur de business social iBDA, l'initiative a enclenché un processus de sélection et choisi 11 projets parmi plusieurs milliers de candidatures.
Eco-tourisme à Siliana, artisanat féminins à Kasserine, élevage d'agneaux à Sidi Bouzid: 7 des 11 projets seront focalisés sur les régions de l'intérieur. Les femmes et les populations marginales sont censées bénéficier au maximum du développement social.
De passage à Tunis, Mohamed Yunus a rencontré le HuffPost Maghreb dans sa chemise traditionnelle habituelle. Il s'est livré sur la situation en Tunisie, sa technique pour éviter les erreurs passées et sa vision d'un être humain "foncièrement bon".
HuffPost Maghreb: Pourquoi avez-vous choisi la Tunisie?
Mohamed Yunus: Pourquoi pas?
Vous n'avez choisi que trois pays en Afrique (avec l'Ouganda et le Togo). Pourtant, il y a le choix.
Parce que le siège de la BAD est ici. Ils nous ont invité. Ils voulaient commencé avec des pays africains, nous voulions apporter l’idée du business social pour le tester, voir si ça marchait.
Quelque chose peut être bien beau en théorie et beaucoup moins en pratique.
La situation actuelle en Tunisie est-elle propice à cette expérimentation?
C’est une coïncidence, nous ne l’avions pas prévu. Nous n’avons pas pris la décision selon la situation politique tunisienne. Mais oui, c’est un bon moment, parce que c’est une période de transition.
Pendant une transition, on peut faire des choses qu’on ne ferait pas habituellement. Il faut tenter de nouvelles choses, passer par des chemins nouveaux. Les jeunes se cherchent un futur dans ce pays.
A Haiti, la fourchette de financement pour chaque projet allait de 80,000 dollars à 500,000 dollars. Elle est moins élevée en Tunisie (100,000 à 600,000 dinars), alors que l’entreprenariat y est plus cher.
Le financement dépend des projets.
Tous les onze projets tunisiens seront-ils financés?
Je ne sais pas. Ca dépendra notamment de notre capacité à financer.
Savez-vous déjà combien d’argent YSB investira dans les projets tunisiens en tout?
Non, pas encore. On analyse les projets un par un. Un projet ne doit pas juste être bon, il faut aussi que nous ayons les moyens de le financer.
Il y a quelques années, vous avez dit: "Je n’ai jamais imaginé que le micro-crédit aurait pu donner naissance à autant de requins financiers". Il y a eu des dérives. Le modèle du business social a-t-il appris des erreurs du micro-crédit?
D’une certaine façon, oui. Nous ne voulons pas parler de "Social business", mais de "Yunus social business". Avec le micro-crédit, nous disions juste “micro-crédit”. Si on pouvait retourner en arrière, on l’aurait appelé "Yunus micro-crédit", pour que les gens sachent exactement de quoi il s’agit.
Une entreprise “sociale” évoluera logiquement dans un environnement de capitalisme traditionnel, avec des concurrents compétitifs et moins regardant sur le social. Comment conserver les mêmes priorités vertueuses?
Oui, et il est possible qu'un business social s'éloigne de son idée de départ. C’est humain. Mais ce business ne serait alors plus un "Yunus social business".
Pensez-vous que l’être humain est foncièrement bon?
Oui. Au fond, tous les êtres humains sont bons. Ce sont les circonstances qui les poussent dans de mauvaises directions.
Le micro-crédit a souvent pâti d'un manque de régulation, avec des taux d'intérêts parfois exorbitants de la part de certains instituts. Faut-il réguler le business social?
Pas vraiment. Ca peut fonctionner dans le cadre de la régulation habituelle. La seule différence, c’est l’état d’esprit de l’entrepreneur. Nous ne voulons pas qu’il bénéficie personnellement du projet. Ce sont les gens qui doivent en bénéficier.
Mais le label "social business" ne peut-il pas être utilisé comme une simple stratégie d’image? YSB a pris en compte des projets dont l’impact social se réduisait principalement à la création d’emploi dans les régions intérieures. N’importe quelle entreprise créant de l’emploi dans les régions peut-elle s’appeler "sociale"?
La différence, c’est que quand on crée un business social, la création d’emploi est l’objectif. Quand on crée un business conventionnel, l’objectif est la gain. La création d’emploi n’y est qu’un phénomène adjacent au profit.
Mais comment peut-on juger l’objectif, l’intention d’un entrepreneur?
Selon la quantité d’argent qu’il gagne.
Il n’y aura donc aucun profit pour les investisseurs et les prêteurs?
La définition du social business est celle d’une entreprise qui ne verse pas de dividendes.
Il y a quand même du profit. Le capital investi augmente avec la taille de l'entreprise, les prêteurs touchent des intérêts sur le crédit...
Les intérêts, ce n’est pas du profit. Si je prête de l’argent, les intérêts que je récupère ne sont que mon paiement. Ce n’est pas un profit. Le profit, c’est le surplus qui reste après avoir récupérer l’argent et les intérêts.
Tant qu’on est un business social, on ne prend aucun profit pour soi-même, sauf le montant qu'on récupère de son investissement. C’est tout, rien de plus.
Vous avez lancé des projets en Albanie, où le gouvernement est enthousiaste et a même créé une agence dédiée au business social. Vous êtes en contact avec le gouvernement tunisien?
On indique toujours aux gouvernements que leur soutien est important, mais que nous n’avons besoin de rien d’autre. Si un gouvernement nous aide trop, ça nous faire du tort.
Mais comment ont réagi les politiques en Tunisie?
Très bien! Le ministre est venu. La dernière fois que j'étais venu, le président m’avait accueilli et nous avions bien discuté.
Tout le monde est enthousiaste?
Très enthousiaste.
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