Supprimer ou alléger les subventions alimentaires et énergétiques conduira inévitablement à une hausse des prix qui touchera non seulement les consommateurs aisés, mais aussi les consommateurs modestes.
Les précautions prévues pour indemniser les plus pauvres, selon la fameuse maxime "orienter les subventions vers ceux qui en ont besoin", ne pourront concerner que la frange socialement assistée. Les bas ou moyens salaires devront sans doute être augmentés pour sauvegarder leur maigre pouvoir d'achat, sous peine de graves troubles sociaux.
Or ces salaires constituent une part importante des coûts à l'exportation pour notre industrie manufacturière ou notre agriculture.
Ainsi, il apparaît que l'allègement des subventions augmentera nos coûts à l'exportation, donc diminuera notre compétitivité externe.
Il est possible de limiter l'augmentation de ces coûts en agissant au niveau de la répartition du revenu national entre le facteur capital et le facteur travail.
Par exemple, on peut augmenter les taux de taxe sur les bénéfices des sociétés ou les dividendes et les intérêts qu'elles distribuent d'une part, et d'autre part, se servir de la recette supplémentaire ainsi dégagée pour augmenter les salaires bas ou les prestations sociales destinées aux personnes à faible revenu ou diminuer leurs cotisations sociales obligatoires.
Au passage observons que le taux d'imposition des bénéfices des sociétés dans les pays Européens, en cumulant l'imposition avant et après distribution des bénéfices, dépasse généralement 40%, contre 27,5% en Tunisie.
La différence devient encore plus frappante si on considère que le coût annuel des incitations à l'investissement est de l'ordre de 70% de l'impôt sur les bénéfices des sociétés (IS). En effet, le montant annuel moyen de l'IS a été de 1209 millions de Dinar entre 2002 et 2011, alors que le montant annuel moyen des incitations à l'investissement à été de 840 millions de Dinars sur la même période (source : lois des finances, étude ECOPA-SFI et rapport OTE).
De plus, une partie de ces incitations à l'investissement est considérée comme non décisive dans la décision d'investir, en particulier pour le secteur primaire de l'extraction de minerais et d'hydrocarbures et de production d'électricité.
Pour ce secteur, la moyenne annuelle sur 2008-2011 du total des déductions fiscales dépasse 340 millions de Dinars. Par conséquent, avant de "désubventionner" il serait recommandé de supprimer ces déductions inutiles et coûteuses et de les réinjecter sous forme de compléments de salaires ou de baisse de charges sociales pour les salariés à bas ou moyens salaires travaillant dans les secteurs exportateurs qu'on souhaite sauvegarder. Sur une base de 50 Dinars par mois par salarié, le montant de 350 millions de Dinars couvrira 583 000 salariés, soit plus de la moitié du salariat du secteur privé, qui est le secteur où on observe les salaires les plus faibles.
Mais d'abord pourquoi faudrait-il sauvegarder notre compétitivité externe ? Ne pourrait-on pas pour cela simplement dévaluer le Dinar ?
Pour répondre à ces questions, il faut d'abord les situer au niveau de l'intérêt général à long-terme du pays. Une fois bien comprises leurs implications sur l'intérêt général à long-terme du pays, on peut les décliner sous forme de mesures sectorielles et micro-économiques selon les rapports de force des groupes sociaux en présence. Sans cela, notre politique économique restera limitée à des marchandages où règne la loi de ceux qui crient et s'agitent le plus pendant que le bateau qui nous transporte tous prendra de l'eau d'année en année.
Le taux de change du Dinar est un paramètre très important qui gouverne l'équilibre de notre économie avec le monde extérieur. Le niveau du taux de change façonne non seulement nos échanges avec l'extérieur, nos secteurs de spécialisation, mais aussi l'organisation interne de notre économie, et même la répartition régionale des richesses. L'inégalité de développement des régions n'est pas sans lien avec notre politique de taux de change. A titre d'exemple, la sous-évaluation du Dinar conjuguée à la politique de désépargne depuis 1986 a mécaniquement hypertrophié le secteur des exportations à base de bas salaires. Ce qui a causé le déséquilibre entre l'intérieur et la côte, qui est mieux située pour ce type d'activités.
La valeur du Dinar contre Dollar a été divisée par deux depuis 1986. Notre compétitivité externe, c'est-à-dire la compétitivité de nos produits sur les marchés extérieurs, repose en grande partie sur cette dévaluation régulière du Dinar. Or celle-ci se répercute sur notre facture énergétique puisqu'elle est libellée à plus de 70% en devises dures, et ceci soit en raison de l'importation d'hydrocarbures, soit de l'achat des hydrocarbures extraites de notre sous-sol par des compagnies étrangères payées en devises ou exportant leurs profits en devises, à l'instar du gaz Miskar exploité par BG et utilisé pour produire de l'électricité locale.
La dévaluation du Dinar se répercute aussi sur notre facture céréalière puisque nous importons en moyenne 80% de nos céréales, ou plus si on compte les céréales pour l'alimentation des animaux d'élevage.
Or les céréales constituent la base de notre ration alimentaire. En conséquence, le coût de notre compétitivité externe se retrouve sur les factures liés à des besoins de première nécessité : alimentation et énergie. La subvention ne change pas fondamentalement le fait que ces factures seront en définitive majoritairement payées par la classe moyenne ou pauvre, soit directement s'il n'y a pas de subventions, soit indirectement sous forme de dégradation du service public causé par l'incapacité, d'un Etat plombé de subventions, à entretenir la qualité des services et des infrastructures et les améliorer.
Quant aux bénéfices de notre compétitivité externe, ils concernent les propriétaires d'unités d'exportation: hôtels, unités textiles... Nous avons donc là un système de transfert contre-nature de la classe modeste et moyenne vers la classe aisée. Il est donc naturel de chercher à neutraliser ce transfert contre-nature par un transfert inverse si on veut continuer à améliorer notre compétitivité externe par une dévaluation du Dinar. Il est hors de mon propos d'affirmer qu'une telle dévaluation n'est pas souhaitable. Mais si les conditions du marché international sont telles que la dévaluation est nécessaire pour préserver notre compétitivité externe, il est approprié de compenser les perdants, qui sont les classes moyennes et modestes, par un prélèvement sur les gagnants, qui sont les propriétaires d'unités d'exportations.
Revenons maintenant à la question: pourquoi faudrait-t-il sauvegarder notre compétitivité externe? La réponse est qu'on s'en sert pour avoir un niveau d'exportation suffisant pour payer nos importations. Ainsi, en résumé, on peut affirmer que ces coûts que nous faisons subir aux classes moyennes et modestes, cette répartition inégalitaire des revenus au niveau des classes sociales et des régions, ces acrobaties pour les dédommager ensuite, souvent de manière incomplète, comme en témoigne la baisse du salaire moyen réel (c'est-à-dire après déduction de l'inflation), tout cela pour arriver à payer nos importations.
C'est pour cette raison qu'il est indispensable de définir des priorités pour nos importations, avec une rigueur comparable à celle de la pression sur les salariés modestes pour leur faire accepter les hausses de coût de la vie. Moralement, il est difficile d'admettre qu'on impose une hausse du coût de la vie à des foyers ayant un revenu de 1000 Dinars par mois, au détriment de leurs capacités à se soigner et à payer les études de leurs enfants, pour encourager des exportations dont on gaspille ensuite les recettes dans des achats de voitures de luxe.
Bien sûr, il y a les accords de libre-échange: OMC et accord de partenariat Tunisie-UE. A ce propos, je voudrais d'abord distinguer entre le libre-échangisme, qui est le principe de l'OMC et le démantèlement douanier, qui est le principe de notre accord avec l'UE. La différence est que le libre-échange n'implique pas l'annulation des taxes douanières, mais simplement leur limitation.
Théoriquement, il est possible de rester dans une configuration libre-échangiste tout en prélevant une taxe douanière qui couvre les externalités supportées par la collectivité du fait de l'importation d'un bien donné. Par exemple, si un Etat prélève une taxe douanière sur les importations de voitures pour couvrir le coût du réseau routier, ce n'est pas considéré comme un obstacle aux échanges. Au contraire, c'est une bonne manière pour favoriser ces importations en garantissant le financement d'un réseau routier capable d'en permettre l'utilisation.
Par contre, le démantèlement douanier n'autorise pas une telle pratique. Le coût des externalités étant pris en charge par le budget de l'Etat, il est donc réparti autant sur les utilisateurs de l'objet importé que sur les non-utilisateurs. Cela contribue à l'excès de consommation des utilisateurs puisqu'ils ne payent pas tout le coût de leur consommation, et à un transfert de revenu du non-utilisateur vers l'utilisateur, qui correspond en général à un transfert contre-nature des pauvres vers les riches. A mon avis, l'accord de démantèlement douanier avec l'Europe a été une erreur car il est grandement responsable du désordre actuel de nos finances publiques ainsi que de la désépargne qui frappe notre économie. Nous devons reconsidérer la manière d'appliquer cet accord afin de taxer les importations au moins à hauteur des externalités supportées par la collectivité, sous forme de taxes à la consommation par exemple.
Même avec de telles taxes, la viabilité sans limite du libre-échangisme n'est pas théoriquement évidente. Son impact inégalitaire mis en évidence par les mécanismes décrits ci-dessus est difficilement contestable et suffisamment observé dans la pratique. La limite au libre-échangisme parfois admise (Keynes par exemple) est le respect de l'équilibre commercial extérieur. Au-delà, nous nous retrouvons à payer des importations par des emprunts extérieurs. Ce n'est pas approprié s'il s'agit d'importations de biens de consommation. Cela revient à hypothéquer nos enfants pour consommer plus aujourd'hui.
En réalité, le libre-échangisme est une règle du jeu économique mondial que tout le monde transgresse un peu sans le dire et en cherchant à la faire appliquer à l'autre partie. En général, quand les deux parties qui échangent se trouvent gagnantes, c'est-à-dire lorsqu'elles développent leurs échanges tout en restant non-déficitaires, elles respectent la règle. Mais dès que l'une d'elle devient déficitaire, les tensions apparaissent. Les voix qui s'élèvent actuellement contre les exportations Chinoises en Europe et aux USA en témoignent.
Il nous faut aussi apprendre à jouer ce jeu de la même manière, et non appliquer les règles dogmatiquement. Etant donné notre situation assez gravement déficitaire, nous devons apprendre à « tricher » un peu, en mettant des barrières discrètes et difficiles à attaquer juridiquement. A titre d'exemple, je reprends l'idée de Mr Bousbii: ralentir le financement des opérations concernant les importations indésirables. On peut aussi inventer une panoplie de taxes douanières déguisées, comme les "atawa" sur les voitures ou la TVA sociale adoptée en Allemagne...
En guise de conclusion, deux axes d'action:
1- Répartir plus équitablement le coût de la compétitivité externe, par exemple (a) en supprimant les incitations à l'investissement les moins efficaces ; (b) il n'est pas illogique de taxer les exportations peu pourvoyeuse d'emploi et à demande peu élastique, comme les matières premières ; (c) il est aussi possible de taxer non pas au niveau des ventes, mais directement au niveau des profits ou des dividendes.
2- Prioriser nos importations afin d'exploiter au mieux la modeste enveloppe de devises que nous rapportent nos exportations; en particulier, (a) orienter cette enveloppe dans les équipements pour la mise en valeur de notre céréaliculture et notre système énergétique afin de défaire les lourdes chaînes que constituent pour notre économie notre dépendance alimentaire et énergétique, dépendance dont le coût élevé de notre compétitivité externe n'est qu'une conséquence nuisible parmi d'autres ; (b) limiter les importations de produits de luxe, comme les voitures, les matériaux de construction, ou les vêtements de luxe ; (c) imposer des taxes de consommation ou de protection de l'environnement ou autres afin de couvrir les externalités de certaines importations.
Les précautions prévues pour indemniser les plus pauvres, selon la fameuse maxime "orienter les subventions vers ceux qui en ont besoin", ne pourront concerner que la frange socialement assistée. Les bas ou moyens salaires devront sans doute être augmentés pour sauvegarder leur maigre pouvoir d'achat, sous peine de graves troubles sociaux.
Or ces salaires constituent une part importante des coûts à l'exportation pour notre industrie manufacturière ou notre agriculture.
Ainsi, il apparaît que l'allègement des subventions augmentera nos coûts à l'exportation, donc diminuera notre compétitivité externe.
Il est possible de limiter l'augmentation de ces coûts en agissant au niveau de la répartition du revenu national entre le facteur capital et le facteur travail.
Par exemple, on peut augmenter les taux de taxe sur les bénéfices des sociétés ou les dividendes et les intérêts qu'elles distribuent d'une part, et d'autre part, se servir de la recette supplémentaire ainsi dégagée pour augmenter les salaires bas ou les prestations sociales destinées aux personnes à faible revenu ou diminuer leurs cotisations sociales obligatoires.
Au passage observons que le taux d'imposition des bénéfices des sociétés dans les pays Européens, en cumulant l'imposition avant et après distribution des bénéfices, dépasse généralement 40%, contre 27,5% en Tunisie.
La différence devient encore plus frappante si on considère que le coût annuel des incitations à l'investissement est de l'ordre de 70% de l'impôt sur les bénéfices des sociétés (IS). En effet, le montant annuel moyen de l'IS a été de 1209 millions de Dinar entre 2002 et 2011, alors que le montant annuel moyen des incitations à l'investissement à été de 840 millions de Dinars sur la même période (source : lois des finances, étude ECOPA-SFI et rapport OTE).
De plus, une partie de ces incitations à l'investissement est considérée comme non décisive dans la décision d'investir, en particulier pour le secteur primaire de l'extraction de minerais et d'hydrocarbures et de production d'électricité.
Pour ce secteur, la moyenne annuelle sur 2008-2011 du total des déductions fiscales dépasse 340 millions de Dinars. Par conséquent, avant de "désubventionner" il serait recommandé de supprimer ces déductions inutiles et coûteuses et de les réinjecter sous forme de compléments de salaires ou de baisse de charges sociales pour les salariés à bas ou moyens salaires travaillant dans les secteurs exportateurs qu'on souhaite sauvegarder. Sur une base de 50 Dinars par mois par salarié, le montant de 350 millions de Dinars couvrira 583 000 salariés, soit plus de la moitié du salariat du secteur privé, qui est le secteur où on observe les salaires les plus faibles.
Mais d'abord pourquoi faudrait-il sauvegarder notre compétitivité externe ? Ne pourrait-on pas pour cela simplement dévaluer le Dinar ?
Pour répondre à ces questions, il faut d'abord les situer au niveau de l'intérêt général à long-terme du pays. Une fois bien comprises leurs implications sur l'intérêt général à long-terme du pays, on peut les décliner sous forme de mesures sectorielles et micro-économiques selon les rapports de force des groupes sociaux en présence. Sans cela, notre politique économique restera limitée à des marchandages où règne la loi de ceux qui crient et s'agitent le plus pendant que le bateau qui nous transporte tous prendra de l'eau d'année en année.
Le taux de change du Dinar est un paramètre très important qui gouverne l'équilibre de notre économie avec le monde extérieur. Le niveau du taux de change façonne non seulement nos échanges avec l'extérieur, nos secteurs de spécialisation, mais aussi l'organisation interne de notre économie, et même la répartition régionale des richesses. L'inégalité de développement des régions n'est pas sans lien avec notre politique de taux de change. A titre d'exemple, la sous-évaluation du Dinar conjuguée à la politique de désépargne depuis 1986 a mécaniquement hypertrophié le secteur des exportations à base de bas salaires. Ce qui a causé le déséquilibre entre l'intérieur et la côte, qui est mieux située pour ce type d'activités.
La valeur du Dinar contre Dollar a été divisée par deux depuis 1986. Notre compétitivité externe, c'est-à-dire la compétitivité de nos produits sur les marchés extérieurs, repose en grande partie sur cette dévaluation régulière du Dinar. Or celle-ci se répercute sur notre facture énergétique puisqu'elle est libellée à plus de 70% en devises dures, et ceci soit en raison de l'importation d'hydrocarbures, soit de l'achat des hydrocarbures extraites de notre sous-sol par des compagnies étrangères payées en devises ou exportant leurs profits en devises, à l'instar du gaz Miskar exploité par BG et utilisé pour produire de l'électricité locale.
La dévaluation du Dinar se répercute aussi sur notre facture céréalière puisque nous importons en moyenne 80% de nos céréales, ou plus si on compte les céréales pour l'alimentation des animaux d'élevage.
Or les céréales constituent la base de notre ration alimentaire. En conséquence, le coût de notre compétitivité externe se retrouve sur les factures liés à des besoins de première nécessité : alimentation et énergie. La subvention ne change pas fondamentalement le fait que ces factures seront en définitive majoritairement payées par la classe moyenne ou pauvre, soit directement s'il n'y a pas de subventions, soit indirectement sous forme de dégradation du service public causé par l'incapacité, d'un Etat plombé de subventions, à entretenir la qualité des services et des infrastructures et les améliorer.
Quant aux bénéfices de notre compétitivité externe, ils concernent les propriétaires d'unités d'exportation: hôtels, unités textiles... Nous avons donc là un système de transfert contre-nature de la classe modeste et moyenne vers la classe aisée. Il est donc naturel de chercher à neutraliser ce transfert contre-nature par un transfert inverse si on veut continuer à améliorer notre compétitivité externe par une dévaluation du Dinar. Il est hors de mon propos d'affirmer qu'une telle dévaluation n'est pas souhaitable. Mais si les conditions du marché international sont telles que la dévaluation est nécessaire pour préserver notre compétitivité externe, il est approprié de compenser les perdants, qui sont les classes moyennes et modestes, par un prélèvement sur les gagnants, qui sont les propriétaires d'unités d'exportations.
Revenons maintenant à la question: pourquoi faudrait-t-il sauvegarder notre compétitivité externe? La réponse est qu'on s'en sert pour avoir un niveau d'exportation suffisant pour payer nos importations. Ainsi, en résumé, on peut affirmer que ces coûts que nous faisons subir aux classes moyennes et modestes, cette répartition inégalitaire des revenus au niveau des classes sociales et des régions, ces acrobaties pour les dédommager ensuite, souvent de manière incomplète, comme en témoigne la baisse du salaire moyen réel (c'est-à-dire après déduction de l'inflation), tout cela pour arriver à payer nos importations.
C'est pour cette raison qu'il est indispensable de définir des priorités pour nos importations, avec une rigueur comparable à celle de la pression sur les salariés modestes pour leur faire accepter les hausses de coût de la vie. Moralement, il est difficile d'admettre qu'on impose une hausse du coût de la vie à des foyers ayant un revenu de 1000 Dinars par mois, au détriment de leurs capacités à se soigner et à payer les études de leurs enfants, pour encourager des exportations dont on gaspille ensuite les recettes dans des achats de voitures de luxe.
Bien sûr, il y a les accords de libre-échange: OMC et accord de partenariat Tunisie-UE. A ce propos, je voudrais d'abord distinguer entre le libre-échangisme, qui est le principe de l'OMC et le démantèlement douanier, qui est le principe de notre accord avec l'UE. La différence est que le libre-échange n'implique pas l'annulation des taxes douanières, mais simplement leur limitation.
Théoriquement, il est possible de rester dans une configuration libre-échangiste tout en prélevant une taxe douanière qui couvre les externalités supportées par la collectivité du fait de l'importation d'un bien donné. Par exemple, si un Etat prélève une taxe douanière sur les importations de voitures pour couvrir le coût du réseau routier, ce n'est pas considéré comme un obstacle aux échanges. Au contraire, c'est une bonne manière pour favoriser ces importations en garantissant le financement d'un réseau routier capable d'en permettre l'utilisation.
Par contre, le démantèlement douanier n'autorise pas une telle pratique. Le coût des externalités étant pris en charge par le budget de l'Etat, il est donc réparti autant sur les utilisateurs de l'objet importé que sur les non-utilisateurs. Cela contribue à l'excès de consommation des utilisateurs puisqu'ils ne payent pas tout le coût de leur consommation, et à un transfert de revenu du non-utilisateur vers l'utilisateur, qui correspond en général à un transfert contre-nature des pauvres vers les riches. A mon avis, l'accord de démantèlement douanier avec l'Europe a été une erreur car il est grandement responsable du désordre actuel de nos finances publiques ainsi que de la désépargne qui frappe notre économie. Nous devons reconsidérer la manière d'appliquer cet accord afin de taxer les importations au moins à hauteur des externalités supportées par la collectivité, sous forme de taxes à la consommation par exemple.
Même avec de telles taxes, la viabilité sans limite du libre-échangisme n'est pas théoriquement évidente. Son impact inégalitaire mis en évidence par les mécanismes décrits ci-dessus est difficilement contestable et suffisamment observé dans la pratique. La limite au libre-échangisme parfois admise (Keynes par exemple) est le respect de l'équilibre commercial extérieur. Au-delà, nous nous retrouvons à payer des importations par des emprunts extérieurs. Ce n'est pas approprié s'il s'agit d'importations de biens de consommation. Cela revient à hypothéquer nos enfants pour consommer plus aujourd'hui.
En réalité, le libre-échangisme est une règle du jeu économique mondial que tout le monde transgresse un peu sans le dire et en cherchant à la faire appliquer à l'autre partie. En général, quand les deux parties qui échangent se trouvent gagnantes, c'est-à-dire lorsqu'elles développent leurs échanges tout en restant non-déficitaires, elles respectent la règle. Mais dès que l'une d'elle devient déficitaire, les tensions apparaissent. Les voix qui s'élèvent actuellement contre les exportations Chinoises en Europe et aux USA en témoignent.
Il nous faut aussi apprendre à jouer ce jeu de la même manière, et non appliquer les règles dogmatiquement. Etant donné notre situation assez gravement déficitaire, nous devons apprendre à « tricher » un peu, en mettant des barrières discrètes et difficiles à attaquer juridiquement. A titre d'exemple, je reprends l'idée de Mr Bousbii: ralentir le financement des opérations concernant les importations indésirables. On peut aussi inventer une panoplie de taxes douanières déguisées, comme les "atawa" sur les voitures ou la TVA sociale adoptée en Allemagne...
En guise de conclusion, deux axes d'action:
1- Répartir plus équitablement le coût de la compétitivité externe, par exemple (a) en supprimant les incitations à l'investissement les moins efficaces ; (b) il n'est pas illogique de taxer les exportations peu pourvoyeuse d'emploi et à demande peu élastique, comme les matières premières ; (c) il est aussi possible de taxer non pas au niveau des ventes, mais directement au niveau des profits ou des dividendes.
2- Prioriser nos importations afin d'exploiter au mieux la modeste enveloppe de devises que nous rapportent nos exportations; en particulier, (a) orienter cette enveloppe dans les équipements pour la mise en valeur de notre céréaliculture et notre système énergétique afin de défaire les lourdes chaînes que constituent pour notre économie notre dépendance alimentaire et énergétique, dépendance dont le coût élevé de notre compétitivité externe n'est qu'une conséquence nuisible parmi d'autres ; (b) limiter les importations de produits de luxe, comme les voitures, les matériaux de construction, ou les vêtements de luxe ; (c) imposer des taxes de consommation ou de protection de l'environnement ou autres afin de couvrir les externalités de certaines importations.
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