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Interview avec le calligraffeur eL Seed: A la découverte des "Murs Perdus" tunisiens

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Muni de ses bombes de peintures, eL Seed fait parler les murs du monde entier.
De Doha à Melbourne en passant par Londres, Toronto, Los Angeles ou encore Paris, ses "calligraffitis" (mélange de calligraphie arabe et de graffiti) prônent des messages d’amour, d’espoir et de paix.
Avec son premier livre intitulé "Les Murs Perdus" ("Lost Walls"), c’est à la Tunisie qu’il rend hommage, redonnant vie à des pierres abandonnées, des façades oubliées, des lieux méconnus.
Un mois de road trip artistique, 24 calligraffitis dans 17 villes différentes, et autant d’histoires, de rencontres et d’anecdotes, ont permis à eL Seed de montrer une autre image de son pays, mais aussi de le (re)découvrir lui-même.

"Mon objectif était de faire découvrir la Tunisie. Finalement, j'ai découvert mon pays, son histoire, sa culture, son héritage. J'essaie aujourd'hui de partager cette incroyable expérience avec le monde entier", a-t-il confié au HuffPost Maghreb.


el seed

eL Seed



En attendant la sortie du livre en Tunisie, prévue pour la rentrée, eL Seed revient pour nous sur ce projet qui lui tient particulièrement à cœur.

LIRE AUSSI: Le graffeur eL Seed réalise une fresque monumentale sur l'Institut du Monde Arabe



HuffPost Maghreb: A votre avis, à quoi devez-vous votre succès international?

eL Seed: Le travail, les efforts, une équipe autour de moi et le destin…


Pourquoi avoir choisi la calligraphie arabe, peu compréhensible à travers le monde?

J'ai appris à lire et écrire l'arabe littéraire au début des années 2000. Dans un besoin de revenir vers mes origines, l'apprentissage de ma langue maternelle était une étape nécessaire. Peindre en arabe n'a pas été un choix mais plus une évolution naturelle de mon travail. Je suis persuadé que la calligraphie arabe parle à l’âme et non à l'œil et n'a donc pas besoin d'être traduite. Le spectateur perçoit d'abord mon travail comme une œuvre abstraite, et cherche ensuite à comprendre le message qui est derrière l'œuvre.


D’où vous est venue l’idée de ce livre?

Ma peinture sur le minaret de la mosquée Jara dans ma ville d'origine Gabès a attiré l'attention du monde entier sur cette ville qui était alors méconnue.





Après ce succès, j'ai pensé qu'il serait intéressant d'attirer l'attention sur d'autres villes de Tunisie. J'ai donc décidé d'essayer de faire découvrir la Tunisie à travers des calligraffitis qui racontent l'histoire d'hommes et de femmes en Tunisie. Le projet s'est fait de manière très spontanée. Aucun mur peint n'a été planifié à l’avance, hormis le mur de la maison de mes grands-parents à Temoula. Un documentaire vidéo est en cours de montage.


Que pensez-vous de la place de l'art aujourd'hui en Tunisie?

Depuis la Revolution, l'expression artistique est plus libre. De nombreuses initiatives sont prises de manière individuelle ou collective par des artistes. Je pense qu'il est nécessaire que ça continue de la sorte.


Est-ce que vous arrivez à vivre aujourd'hui de votre art?

Oui, j'essaie…


Vous aviez déclaré vouloir, à travers ce projet, préserver l'héritage tunisien. Que répondez-vous à ceux qui vous accusent plutôt de "dégrader" le patrimoine avec vos graffitis?

Je n'ai peint sur aucun monument. Cependant, les réactions de certains de mes compatriotes tunisiens ont été très violentes lorsqu'ils ont découvert que j'avais taggé le site de Star Wars l'été dernier.
Lorsqu’il est question de ce site de tournage, les guides touristiques nourrissent l’image d’Épinal d’une région revivifiée par la recrudescence du tourisme. Je m'y suis rendu pour voir ce qu’il en était. Du décor hollywoodien, il ne restait que quelques huttes laissées à l’abandon que le sable dévorait insatiablement. Je me suis retrouvé au cœur d’une ville désertée par les touristes. L’argument est vendeur mais fallacieux. Et quand bien même les guides touristiques disaient vrai, je trouvais offensant qu’on limite l’héritage culturel de cette région à un film de science-fiction.
J'ai tout de même demandé au principal exploitant des lieux si il voyait un inconvénient a ce que je peigne sur le site. "Fais ce que tu veux, à l'intérieur, à l'extérieur…" m’a-t-il répondu. Il espérait que la peinture attire l'attention sur le site.
La calligraphie disait: "Je ne serai jamais ton fils". Un pied de nez fait à la fameuse réplique de Dark Vador: “Je suis ton père”.
Cette expérience m’a permis de nuancer mon opinion. Je dédaignais l’idée que ce site fasse parti du patrimoine culturel tunisien. Mais je réalise après coup qu’il pouvait être une manne financière pour la région et faire vivre un grand nombre de familles. Qui plus est, il peut être perçu comme un moyen ingénieux d’amener les touristes à la vraie culture tunisienne.

el seed

Site de tournage de Star Wars



Quelle a été la réaction des personnes, notamment les plus âgées, face à cette forme d'art dans les régions où vous vous êtes rendu?

Les gens sont souvent très surpris. A ce sujet, j'ai une anecdote intéressante: En arrivant à Ksar Hadada, j’ai demandé aux habitants du village à qui appartenait un mur sur lequel je voulais peindre. Un homme me répondit que le mur lui appartenait et qu’il ne voyait aucune objection à ce que je peigne dessus. Alors que mon œuvre était presque terminée, un jeune homme suivi de son grand oncle m’ont interpellé. Furieux, le vieil homme me demande: "Suis-je mort pour que tu peignes sur ma maison? Effaces-moi ça tout de suite". Gêné et confus, je m’excuse et lui demande malgré tout de me laisser terminer la pièce. Je lui promets d’effacer le mur une fois l’œuvre achevée. Il accepte. Un peu plus tard, le neveu revient, cette fois-ci avec un sourire aux lèvres, en me disant que finalement son oncle apprécie l’œuvre et qu’il préfère la conserver.


Auriez-vous d’autres anecdotes à raconter concernant ce projet?

Il y en a tellement. Je les raconte toutes dans le livre. Mais celle-ci résume vraiment le projet: Je suis sur la route d’El Kef quand mon chapeau de paille fétiche s’envole par la fenêtre de la camionnette. Celui-là même que je portais lorsque j’ai peint le minaret de la mosquée de Jara à Gabès. Nous faisons demi-tour pour récupérer ce chapeau si cher à mes yeux. La manœuvre est périlleuse sur une route aussi étroite. La camionnette glisse et tombe dans le fossé. Avec mon équipe, nous unissons nos forces pour tenter de remettre le véhicule sur la route, mais en vain.
Une voiture de passage est témoin de notre désarroi. Les passagers débarquent pour nous venir en aide mais là encore, nos efforts conjugués ne suffisent pas pour sortir le véhicule. Une deuxième voiture s’arrête. Puis une troisième, et une quatrième. En quelques minutes, une quinzaine d’hommes se trouvaient devant le camion à le pousser afin de l’extirper du fossé.
Cette anecdote en est une parmi tant d’autres mais elle témoigne de l’empathie et de la générosité naturelle dont sont capables les Tunisiens. Je suis certain que mes compatriotes ont été acteurs ou témoins d’événements similaires.


A choisir, quelle serait votre œuvre la plus symbolique réalisée en Tunisie?

La peinture sur la maison de mes grand-parents a Temoula.

el seed

Temoula



Et un calligraffiti pour résumer cette expérience?

Ce serait le mot "Origines".


Quels sont vos projets à venir, en Tunisie et ailleurs?

Surprise…


el seed

Douz



el seed



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