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Allaitement maternel: À l'occasion de la Semaine mondiale, qu'en disent les différents courants féministes?

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"L'allaitement est aussi une servitude épuisante", écrivait dans Le Deuxième Sexe Simone de Beauvoir en 1949. A cette époque déjà, l'allaitement maternel faisait débat au sein des communautés féministes. Fierté biologique ou contrainte allant à l'encontre de l'égalité hommes-femmes? La question agite encore les différents courants féministes.

A l'occasion de la Semaine mondiale de l'allaitement maternel qui débute ce 1er juillet, Le HuffPost fait le point.

Pour faire simple, il existe deux grands courants féministes: une première vague, fin 19e, début 20e, qui revendique l'égalité des droits entre hommes et femmes; et une seconde, à partir des années 1960, qui elle, mène un combat en s'attaquant aux fondements de ce qu'elle appelle la "domination masculine".

En fonction de ces mouvements, "on pourra passer d'une exaltation de la maternité et de l'allaitement (comme pouvoirs spécifiquement féminins), à une vision de la maternité comme esclavage ('lieu de domination masculine') et de l'allaitement comme un esclavage à la puissance 10", écrivait dans Spirale Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau, animatrice de La Leche League (LLL), une association internationale de promotion de l'allaitement maternel.

L’allaitement, un combat féministe (du moins au départ)

Les courants féministes en France par exemple, ont, jusque dans les années 60, défendu corps et âme l'allaitement. C'est une fonction et un devoir de la femme, qui doit être fière de cette spécificité biologique, et qui doit être soutenue pour le faire dans de bonnes conditions. C'est pourquoi au cœur de leurs préoccupations, on trouve le combat pour les allocations familiales.

Mais après la Deuxième Guerre mondiale, la tendance se renverse, notamment dans la foulée des discours de Simone de Beauvoir dans son ouvrage Le Deuxième Sexe. Une majorité de féministes s'y retrouve "pour dénoncer l'esclavage de la maternité, et centrer le combat féministe sur le droit à la contraception et à l'avortement", poursuit Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau.



La peur de ressembler à des "femelles chimpanzés"

Aujourd'hui, "même si les courants féministes anti-allaitement se font moins entendre, elles restent sur les mêmes positions." Ces féministes-là dénoncent l'allaitement qui va à l'encontre des intérêts de la femme s'il est imposé. Pour résumer, écrit Martine Herzog Evans dans un article paru dans La Revue des Droits de l'Homme, "la tournure qu'a pris chez nous la lutte féministe a contribué à l'idée que la maternité constituait l'ennemi de l'autodétermination des femmes; que les intérêts de la femme et de l'enfant étaient opposés."

Dans cette vague féministe plutôt anti-allaitement, Elisabeth Badinter, philosophe, est une figure emblématique (à 15 ans, Simone de Beauvoir aurait d'ailleurs été pour elle une révélation). Elle expliquait dans un article de Libération en 2010 que, ces dernières années:

"On est passé de : 'Vous avez le droit' d’allaiter, à 'Vous devez'. Les pressions d’ordre moral ont remplacé un choix légitime, sous la houlette de La Leche League. Je pense que la philosophie naturaliste au nom de laquelle on impose cela est dangereuse. Car elle ne laisse plus de place à l’ambivalence maternelle. Elle impose une conception unifiée des femmes. Nous pouvons toutes, nous devons toutes faire la même chose. C’est une réduction de la femme au statut d’une espèce animale, comme si nous étions toutes des femelles chimpanzés."


Un débat toujours d'actualité: "Allaiter c'est être autonome"

Pourtant, d'autres féministes s'inscrivent en porte à faux. C'est le cas de Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau, interrogée par Le HuffPost, qui estime que son combat pour la promotion de l'allaitement est bel et bien féministe. "En tant que femme, allaiter c'est être autonome, argumente-t-elle. Elle n'a besoin de personne d'autre, produit elle-même la nourriture pour son enfant. C'est une forme d'empowerment".

Une forme d'émancipation, ou d'autonomisation, cela peut l'être sans aucun doute. C'est d'ailleurs ce que défend la féministe américaine Penny Van Esterik: "l'allaitement affirme le pouvoir de contrôle de la femme sur son propre corps [...], met en cause le modèle dominant de la femme comme consommatrice, [...] s'oppose à la vision du sein comme étant d'abord un objet sexuel", détaille entre autres Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau dans son article.

Mais le problème soulevé par certaines féministes va au-delà de l'allaitement en lui-même. Il concerne l'absence de liberté dans la décision qui leur incombe.

C'est ce que dénonce dans un article sur Slate.fr, Titiou Lecoq, auteure et créatrice du blog Girls and Geeks, qui s'interrogeait en 2012 sur la manière dont les avantages prouvés ou supposés de l'allaitement maternel étaient relayés dans la presse, par les associations, ou par les gens en général.

Pour elle, "l’espace public est saturé de campagnes pro-allaitement maternel, or ces campagnes partisanes ne permettent pas aux femmes de faire un choix calme et raisonné."

Pour les mamans, la pression est quotidienne

Un avis que partage Sophie Gourion, journaliste, féministe, auteure du blog "Tout à l'égo" contactée par Le HuffPost: "on subit quotidiennement une pression de l'OMS et même des people, laissant sous-entendre que toutes les mères devraient allaiter, et culpabilisant celles qui le refusent".

Ce sont des articles comme celui dans lequel le top model brésilien Gisele Bündchen affirmait en 2010: "Ici aux États Unis, certaines personnes pensent qu'il n'est pas nécessaire de nourrir par voie naturelle leur enfant. Je voudrais leur poser une question: 'Ça ne vous dérange pas de gaver de produits chimiques vos nouveaux-nés, si fragiles?' [...] À mon avis, il devrait y avoir une loi obligeant de plusieurs femmes à allaiter leur bébé pendant six mois. Sinon, jeunes mamans, vous le payerez tôt ou tard." (L'article continue sous le diaporama.)




Si les stars de l'autre continent ont l'air d'adorer s'afficher en train d'allaiter, et si les média américains se donnent à cœur joie de les diffuser, pour Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau, "la situation n'est pas très différente en France et aux Etats-Unis". Outre-Atlantique aussi, l'allaitement a ses détracteurs. Un média féministe tel que Jezebel publie des articles aux titres évocateurs : "Désolée, vous ne pouvez pas me faire culpabiliser parce que je donne le biberon à mes enfants" ou "Va ta faire f****e, allaitement".

"Culpabiliser"? Ceci laisse Claude-Suzanne Didierjean-Jouveau dubitative: "Mais pourquoi se sentent-elles coupables? Une femme qui est en accord avec ses comportements ne culpabilise pas", réplique-t-elle. Ce à quoi Sophie Gourion répondrait: "Dans un monde idéal d'accord. Mais aujourd'hui, même si on se sent en accord avec son choix, les médias sont là pour nous rappeler qu'on aurait dû en prendre un autre. Même si on veut allaiter, parfois on n'y arrive pas. Si on réussit, peut-être qu'on le fait mal, ou en public, et c'est mal perçu. Bref, quoi qu'il arrive, on peut avoir l'impression d'être une mauvaise mère."

Allaitement ou pas, l'important c'est d'assumer

C'est peut-être d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles le débat autour de l'allaitement tourne beaucoup autour de celui de l'allaitement en public. Allaiter, d'accord, mais alors, sans se cacher. Si une femme choisit de nourrir son bébé au sein, alors pourquoi devrait-elle subir les regards insistants dans la rue? La campagne "When nurture calls", entre autres, visait à protéger les mères allaitant contre le harcèlement, en montrant des mamans dans des situations glauques, faute de pouvoir se montrer en public.

when nurture calls



La question n'est donc pas tant de savoir lequel du sein ou du biberon remporte le grand prix du féminisme, mais bien celui du choix qu'on donne, ou qu'on laisse aux femmes. On peut être féministe et militer corps et âme pour l'allaitement, ou contre. On peut l'être en estimant que l'allaitement doit être public. Enfin, on peut l'être en donnant le biberon. Et ainsi de suite. Et Sophie Gourion de conclure: "un acte féministe, c'est un acte choisi et éclairé".

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