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Au bonheur des Saoudiennes

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Il est de ces évènements dans le monde qui passent souvent inaperçus, échappant à l'attention des journalistes et de l'opinion publique et qui, pourtant, constituent un tournant dans l'histoire d'une nation. Un battement d'aile, certes, mais qui pourrait se transformer au fil des années en un Tsunami.

L'un de ces moments se déroulerait peut-être en Arabie Saoudite, l'un des pays les plus conservateurs au monde et où, pourtant, un vent d'émancipation semble souffler sur les femmes, l'une des franges les plus sensibles de la société. La discrimination des femmes dans le royaume wahhabite y est telle que toute tentative d'émancipation ou de dissidence des Saoudiennes (aussi symbolique soit-elle) en devient un acte révolutionnaire.

L'étincelle de cette révolution qui ne porte pas de nom a peut-être eu lieu au printemps 2010 en direct à la télévision dans l'émission "Million's Poet", un télé-crochet très populaire auprès des foyers arabes où les participants récitent des poèmes souvent consensuels et policés. En mars 2010, Hissa Hilal, une jeune femme saoudienne couverte de la tête au pied, prit tout le monde à contre-pied en récitant un poème où elle s'attaqua ni plus ni moins à l'establishment religieux saoudien qu'elle compara à des "loups ... terrorisant la population".

Une première dans la région suscitant, au grand étonnement de tous, une vague de soutien des téléspectateurs et internautes, qui, à leur tour, s'attaquèrent ouvertement à l'institution religieuse dans les réseaux sociaux et dans certains médias. En tête de la contestation: les femmes!

Pour la première fois, le ras-le-bol des Saoudiennes devenait public, la critique faisant peu à peu place à une vague de désobéissance civile inédite dans le pays. Des jeunes Saoudiennes "postaient" des vidéos d'elles au volant dans les grandes avenues du royaume défiant l'interdiction de conduire pour les femmes, symbole par excellence de la répression faite aux Saoudiennes. Le mouvement qui eut aussi un écho favorable dans la presse mondiale montrait ainsi, pour la première fois, une image moins soumise des Saoudiennes.

LIRE: Une Saoudienne prend le volant à Riyad, sa copilote tweete l'aventure en direct


Soumises? Certaines Saoudiennes le sont de moins en moins et le font savoir publiquement. Ainsi Lubna S Olayan, la femme la plus riche du monde arabe, est à la tête de l'un des plus grands groupes au Moyen-Orient, faisant exception dans un monde des affaires largement dominé par les hommes. Elle réussira même à imposer que le forum économique de Djeddah soit mixte et s'y présentera sans le voile traditionnel, un véritable outrage dans le pays.

Autre Saoudienne qui écorne un peu plus l'image de femme obéissante est Haifa Al Mansour qui réalisa en 2012, sans autorisation, un film dénonçant l'interdiction faite aux femmes de se déplacer. Elle eut l'audace de se présenter à la cérémonie des Oscars habillée à l'Occidentale. En 2010, Wajeha Al-Huweidar, une des rares féministes du pays, défia les autorités en adressant une lettre publique (malgré la surveillance de la police politico-religieuse) à Barack Obama lors de sa visite officielle dans le royaume attirant son attention sur la condition féminine dans son pays. Plus récemment, Bayan Mahmoud Al-Zahran ignora les menaces et pressions et ouvrit le premier cabinet d'avocat dirigé par une femme. Elle promit qu'il sera dédié à la protection des femmes.

Le gouvernement ne s'opposa d'ailleurs que timidement à cette vague d'émancipation, ce qui fit dire à certains qu'il y trouvait son compte. Le Roi Abdallah Al Saoud créa même la surprise en 2011, lors de son discours d'ouverture de la Choura (Assemblée parlementaire désignée par le monarque et ne disposant que d'un pouvoir consultatif) annonçant que désormais les femmes pourraient se présenter et voter aux élections municipales. Emporté par son élan, le souverain déclara même qu'il n'hésiterait pas à nommer des femmes à la Choura. Le gouvernement donna, par la suite, plus de signes d'ouverture et, dans les mois qui suivirent, on annonça l'inauguration de la première université mixte du pays, la permission pour les femmes de monter à vélo, l'autorisation d'envoyer une athlète femme aux derniers jeux olympique ainsi que le lancement d'une campagne contre la violence domestique.

Mais qu'on ne s'y trompe pas, les concessions faites par le gouvernement ne sont encore qu'au stade symbolique. Selon Faysal J, un proche du gouvernement, "il ne faut pas s'attendre à un changement radical immédiat car le Roi, même si il est réformateur, doit traiter avec l'aile dure des Saouds et surtout ménager les chefs religieux qui peuvent toujours se retourner contre le pouvoir en place (...) Il ne faut pas oublier qu'en Arabie Saoudite, il y a un consensus: les Saouds peuvent avoir le pouvoir économique et politique tant qu'ils ne se heurtent pas au pouvoir religieux, chasse-gardée des Oulémas".

Les reformes du gouvernement répondraient ainsi davantage à des objectifs politiques immédiats plutôt qu'à une réelle volonté d'améliorer la condition féminine. Le pouvoir chercherait plutôt à renvoyer une image plus moderne du régime auprès des alliés de l'Occident tout en détournant l'attention sur les problèmes économiques, le manque de démocratie et la corruption.

Ainsi vont les choses en Arabie Saoudite, où tout changement se fait à petits pas car, dans la première économie du monde arabe, les intérêts sont gigantesques et il ne faut pas trop brusquer l'ordre établi. Mais ce qu'ont obtenu les Saoudiennes depuis 2011 dépasse de loin ce qu'elles avaient pu obtenir jusqu'alors et tout laisse penser que ce n'est que le début, faisant dire à la chaîne d'information CNN qu'il s'agirait peut-être du début de la "Révolution des Saoudiennes". Défiant les innombrables fatwas à leur encontre, les menaces de mort, les quolibets et la mise à l'écart, certaines saoudiennes ont fait preuve d'audace. Pourtant l'émancipation de la Saoudienne est loin d'être acquise et le Printemps des femmes est à son balbutiement. Si la résistance du clergé religieux était attendue, celle de certaines femmes, résignées à leur condition, l'était moins. Ceci est certainement dû au fait que les contestations restent encore marginales, ne se limitant qu'à la ville et aux cercles plutôt aisés.

Mais comme dit un proverbe chinois: "Un voyage de milliers de kilomètres commence par le premier pas" et ce pas vient peut-être d'être franchi par la femme saoudienne.

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