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Les médecins, enfants gâtés de la république

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Permettez-moi, chers lecteurs, de vous conter l'histoire des enfants gâtés de la république qui ont envahi dans la journée du 7 janvier 2014 l'esplanade du Bardo face au siège de l'Assemblée nationale constituante, dans un raz-de-marée humain de blouses blanches jamais vu dans l'histoire récente de la médecine tunisienne.

Mais de quoi se plaignent ces enfants gâtés qui ont engagé un bras de fer sans précédent avec le plus compétent des ministres de la santé de l'Histoire de la république? (Ne croyez pas ceux qui vous disent que Mr Daly Jazi fut l'un des meilleurs ministres de la santé de la Tunisie - Il n'a pas essayé, contrairement à Abdellatif Mekki, de réformer en quelques mois un secteur de la santé sinistré depuis des années).

Je vais tenter de vous expliquer les raisons de la grogne de ces enfants gâtés, dont je fais partie, de façon claire et concise.

Les problèmes ont commencé lorsque le très compétent ministre de la Santé a sorti de sa pochette surprise une solution magique qui allait résoudre tous les problèmes d'un secteur sinistré depuis des années: le projet de Loi n° 38/2013.

Ce projet de loi permet de réquisitionner des médecins spécialistes fraîchement diplômés au bout de onze années d'études et de les forcer à passer trois années de plus dans le secteur public, selon des critères déterminés par le ministre, dans les services choisis par ce même ministre et à des dates choisies encore par ce même ministre.

Mais quels enfants gâtés, ces médecins!

Pensaient-ils vraiment que, parce qu'il y a eu une révolution, un projet de loi datant de l'ère Ben Ali ne pouvait plus être remis au goût du jour? Pensaient-ils vraiment qu'un ministre de la Santé allait mettre en place des critères objectifs et des processus d'application de ce projet de loi? Que ce ministre allait prendre en compte l'avis de la profession qui s'est unanimement prononcée contre? Doyens, conseil de l'ordre, conseils scientifiques des universités, hospitalo-universitaires, internes, résidents et étudiants, d'une seule voix se sont prononcés contre.

Non, mais! Quels enfants gâtés... Savent-ils que ce projet de loi ne fait aucune mention des régions sinistrées, qu'il pourrait très bien réquisitionner les spécialistes pour trois années de travail obligatoire dans le grand Tunis ou dans d'autres grandes villes? Ce n'est pas parce qu'il a fait croire à l'opinion publique que son souci se porte vers les régions intérieures que l'application du projet de loi ira dans ce sens. Arrêtez vos enfantillages et pensez à son électorat qu'il doit satisfaire. On ne va tout de même pas l'obliger à penser à l'intérêt du secteur de la santé, des citoyens et à la qualité des soins, alors qu'il doit préparer des élections.

Et puis, parlons des deux niveaux de problèmes soulevés par ce projet de loi, et vous verrez combien vous êtes dans le tort.

Un problème de forme

Le corps médical se plaint qu'une réforme de cette ampleur d'un secteur vital se fasse sans prise en compte de l'avis des syndicats, de la société civile et des experts.

Il a tort pour deux raisons.

La première est que les syndicats n'ont pas vocation à être consultés ni écoutés comme du temps de Ben Ali. Ils peuvent tout au plus publier des communiqués et organiser des assemblées générales. Ce n'est pas parce que le droit syndical a été inscrit dans le projet de la nouvelle Constitution qui est en train d'être votée que l'on doit y croire. Le droit syndical ne s'applique pas quand le ministre de la Santé a une campagne électorale à mener. Arrêtez de faire vos enfants gâtés, vous avez obligé le pauvre ministre ainsi que les députés de son parti à vous dénigrer, à vous diffamer et à vous offrir en pâture à une opinion publique qui croit son ministre.

Vous l'avez même obligé, suite au boycott de vos choix de stages, à vous envoyer des réquisitions jusqu'à chez vous et à employer des méthodes peu éthiques que beaucoup penseraient illégales et faisant évoquer une époque révolue.

Le secteur de la santé publique est sinistré depuis des dizaines d'années, me dites-vous, et il faut une réforme globale et bien réfléchie offrant des solutions à court, moyen et long terme. Vous me rappelez qu'un dialogue sociétal parrainé par l'OMS avait été lancé en impliquant les parties prenantes, y compris le ministère de la Santé, pour réfléchir à des solutions concrètes et pérennes. Encore une fois, arrêtez de faire les enfants gâtés.

Une réforme en profondeur nécessiterait un travail sérieux d'audit et l'implication réelle des principaux concernés par la réforme. Vous oubliez que le ministre a une campagne électorale à mener avec son parti et ses alliés. Il n'a pas le temps de s'encombrer de telles considérations, qui prendraient du temps.

Pourquoi devrait-il s'encombrer d'un débat de fond qui pourrait accoucher de mesures efficaces, alors qu'il lui suffit de promettre monts et merveilles à nos concitoyens qui attendent des solutions effectives à des problèmes réels?

Un problème de fond

Qu'en est-il de ce projet de Loi n°38/2013? Pourrait-il résoudre d'un coup de baguette magique les problèmes profonds d'un secteur sinistré depuis des années?

Vous me dites que ce projet de loi ne prend pas en considération l'état des lieux des hôpitaux régionaux et des autres structures de première ligne, qu'il ne se base sur aucune étude sérieuse et que des mesures similaires ont déjà prouvé leur inefficacité dans d'autres pays?

Soit. Mais, là encore, je suis dans l'obligation de vous dire que vous êtes des enfants gâtés. Pourquoi le ministre de la Santé, qui touche à la fin de son mandat, se soucierait-il de l'efficacité d'un projet de loi? Pourquoi réfléchirait-il à une réforme globale du secteur de la santé alors qu'il a une baguette magique lui permettant d'annihiler tous les problèmes de manque d'infrastructure, de matériel et de médicaments et qu'il suffirait d'envoyer des médecins munis d'une blouse blanche et d'un stéthoscope pour pallier à tous ces manques? Vous me parlez de solutions alternatives présentées par les doyens des facultés de médecine, de pharmacie et de médecine dentaire, d'autres solutions alternatives en cours de discussion par les hospitalo-universitaires ou par les internes et les résidents en médecine ou encore par les étudiants en médecine. Mais ces solutions alternatives devraient être le sujet d'un débat national impliquant tous les intervenants et des expertises nationales et internationales. C'est déjà le cas, me dites-vous? Alors pourquoi n'avez-vous pas demandé au ministre et aux députés de la majorité de prendre le temps d'étudier les différentes alternatives et de lancer un débat de quelques semaines à quelques mois pour trouver des solutions réelles et efficaces?

Vous l'avez déjà fait, me dites-vous, mais ils ont tous refusé de vous écouter et de prendre votre avis en considération. L'explication doit venir du fait que vous soyez des enfants gâtés et que vous ne preniez pas en considération le manque d'expérience du ministre et le souci électoral de la majorité à l'Assemblée nationale constituante.

Les enfants gâtés ont trop d'ambition pour la deuxième république

Finalement, vous voyez, chers confrères et chers concitoyens: Vouloir apporter des solutions réelles à des problèmes qui durent depuis des années d'un secteur vital est en contradiction totale avec l'agenda électoral de l'actuel ministre de la Santé et de sa majorité à l'assemblée.

Vous voyez donc que vous êtes des enfants gâtés qui ont beaucoup d'ambition pour la deuxième république, beaucoup d'espoir pour le secteur de la santé et une vision trop saine et désintéressée qui met en avant la qualité des soins et de la formation et qui permettrait, au bout du compte, plus de justice sociale dans l'accès aux soins - afin que le citoyen ait droit à la même qualité de soins sur tout le territoire de la république, alors qu'il suffit d'envoyer des médecins munis d'un stéthoscope pour que tous les problèmes disparaissent. De ce fait, vous êtes bien les enfants gâtés de la république.

Le titre volontairement tendancieux de cette tribune et le second degré employé a pour but de mettre l'accent sur l'absurdité de la diffamation subie par un corps de métier qui n'a pas failli à sa noble mission, même lorsque les balles fusaient lors des évènements de décembre 2010 - janvier 2011.


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