J'ouvre la radio à l'instant. Le journaliste aborde son premier dossier. Il s'agit des affrontements en Syrie et en Irak. Dans son argumentaire il fait allusion aux révoltes des années 2010-2013. Voilà que sa langue lui fourche: "Le printemps 'arable' n'a pas fini d'ouvrir des contre-feux un peu partout (...)", dit-il.
Printemps "arable". J'ai un carnet de notes ouvert devant moi. Sans hésiter un seul instant, j'écris: "Printemps arable et terre d'islam". Ça alors ! Un flot de réflexions traverse mon esprit. J'allais dire sur le champ: "Eh oui !" J'ose à peine me poser "la" question. Le terrain usurpé en Irak et en Syrie par les milices paramilitaires égorgeuses qui "se réclament" de l'islam et "clament" l'instauration d'un califat est-il arable? Les campagnes de frappes aériennes n'arrangent pas les choses. Cette terre est à jamais ensanglantée.
Que dire ? Nous entendons chaque jour la même ritournelle. Quand des activistes en tenue de camouflage religieux commettent des actes odieux, des voix s'élèvent aussitôt: ce n'est pas cela l'islam, ce n'est pas cela le judaïsme, ce n'est pas cela le christianisme et ainsi de suite. On est quitte? Mais que font ces porte-paroles pour rendre arable la terre religieuse? Ou pour utiliser l'expression chère aux sociologues, le champ religieux?
Un premier clin d'œil. C'est Ibn Khaldûn (1332-1406), mon cher et aimé philosophe de l'histoire. Il parle de l'agriculture dans la célèbre Muqaddima. Il la classe parmi les sciences ('ilm en arabe): "La science de l'agriculture, note-t-il, étudie la culture et la croissance des plantes, leur irrigation, leur traitement, l'amélioration des sols, le choix des saisons propices et l'application régulière des moyens propres à les faire croître et prospérer." (VI, 25). Pareil programme est le bienvenu dans notre propos. En transposant - je n'ose pas dire en transplantant - terme à terme son analyse au champ religieux une chose saute aux yeux. Les religions deviennent des partenaires fiables si elles cultivent leur terre aux quatre saisons.
Un deuxième clin d'œil. Il va bien avec le précédent. Il s'agit de la pensée d'un sage. Voici. J'étais instituteur en Algérie au milieu des années 1960. Le père d'un de mes élèves m'impressionnait par son bon sens. J'aimais lui rendre visite. Il était pétri de foi. Il m'avait confié un jour: "Tu sais, Michel, j'ai bien connu Ibn Bâdîs (1889-1940). C'était un Réformateur algérien. J'ai retenu une de ses paroles: "Je suis un semeur (oui !) d'amour, mais sur une base de justice, d'équité et de respect envers toute personne, de quelque race et de quelque religion qu'elle se réclame." Cette parole forte avait entre temps été consignée dans les écrits d'Ibn Bâdîs. Terre arable et fertile que celle où l'amour est semé.
Un troisième clin d'œil. Il peut s'associer au précédent. C'est de parler de la terre elle-même. Je m'explique. Une terre arable est composée d'humus. Humus ? A votre avis, d'où viennent les mots humain, humaniste, humanité, et même inhumation ? Une bonne couche d'humus cultivée telle est la terre de l'humanisme. Une question me vient à ce propos. Est-ce la mission des religions de rendre la terre des hommes arable et plus humaine ? Ou à l'inverse est-ce aux humanistes de rendre le champ des religions productif ? J'avance cette affirmation : si la foi ne s'humanise pas, elle perd son ciel et sa terre.
Un quatrième clin d'œil. Il est dans le sillage du précédent. Ayons la lucidité d'admettre une fois pour toutes ceci. Des dogmes, des rites, des cultes, des institutions, des normes, des échelles de valeurs, de la morale, des relations maître-disciple, de la méditation, on en trouve autant dans les religions qu'au-delà de leur sphère. A y réfléchir, une chose et une seule est propre aux religions. C'est la Voix des Prophètes. Nous y voici au cœur de la religion, la vraie. C'est la Voix des prophètes qui ouvre la terre pour qu'advienne le Printemps de la religion. Des Prophètes, il en manque rudement. Or il y en a. Vous savez quoi ? Comme ce fut le cas à toutes les époques, on bâillonne les Prophètes. Oh que j'aime cette exhortation d'un Prophète: "n'éteignez pas l'Esprit Saint... ne méprisez pas les prophéties des Prophètes" (cf Saint Paul, 2 Thessaloniciens 5,19-20). Le Prophète ouvre de nouveaux sillons. Quant aux Réformateurs, il leur incombe de redresser les sillons tortueux.
Un cinquième clin d'œil. C'est un hommage à un imam génial. Il avait peut-être 25 ans quand nous avons fait connaissance. C'était en 1988. Fils d'un ouvrier forestier, il était lui-même ouvrier. Il avait fréquenté une école coranique. Il exerçait dans une petite salle de prière au rez-de-chaussée d'un immeuble d'un village de la Vallée de la Bruche. A Mutzig pour être précis. Et voici qu'il eut un jour cette inspiration prophétique: "Moi, Abdessalam, au nom du bon sens de tous les gens de la vallée, voici ce qu'il nous faut transmettre :
En tant que musulmans, nous devons mettre en pratique notre religion, et notre religion, c'est la paix, c'est rétablir les choses dans le calme, par le calme. Je regrette qu'à la télévision, quand on nous montre l'islam ou des musulmans, on nous présente des personnes marginales, fanatiques. Ce n'est pas cela notre religion. J'insiste beaucoup dans mes prêches sur le respect. Mais je dis toujours que le respect doit être mutuel. Le respect, ça ne fait pas de bruit. C'est peut-être pour cela qu'on n'en parle jamais à la télévision. J'insiste sur une chose : on habite dans un pays où les gens ne peuvent pas connaître l'islam à partir de rien, sans étudier, sans se renseigner ni surtout fréquenter des musulmans. C'est pareil pour moi : si je veux apprendre à connaître le christianisme, je dois l'étudier, mais aussi rencontrer des chrétiens, les fréquenter. Si les Français veulent comprendre la religion musulmane, il est nécessaire qu'ils fassent la différence entre un arabe et un musulman.'
Le message de cet imam génial a pris pour moi une dimension universelle et permanente. Il éclipse les discours des doctes des religions. Cela, j'en suis sûr : ouvrir les voies de la paix, user du calme, mériter le respect, étudier pour se connaître, se fréquenter pour s'apprécier. Les cinq ancrages du ciel sur... la terre des hommes.
A deux pas de Mutzig, bien avant, en 1960, alors que j'étais élève en terminale au Lycée de Molsheim, avec d'autres camarades de classe, nous avions mis au point ce qui est devenu l'Atelier d'analyse conceptuelle. C'est la règle des cinq éléments compréhensifs et la théorie des trois indices. On voulait s'éviter la corvée du bachotage. Avec quelques fiches, ont synthétisait des mois de cours. Je n'ai jamais cessé de peaufiner, d'utiliser et d'enseigner cette méthode. Oserai-je en dévoiler les arcanes?
Printemps "arable". J'ai un carnet de notes ouvert devant moi. Sans hésiter un seul instant, j'écris: "Printemps arable et terre d'islam". Ça alors ! Un flot de réflexions traverse mon esprit. J'allais dire sur le champ: "Eh oui !" J'ose à peine me poser "la" question. Le terrain usurpé en Irak et en Syrie par les milices paramilitaires égorgeuses qui "se réclament" de l'islam et "clament" l'instauration d'un califat est-il arable? Les campagnes de frappes aériennes n'arrangent pas les choses. Cette terre est à jamais ensanglantée.
Lire aussi: À ces Français enrôlés dans les milices djihadistes, par Michel Reeber
Que dire ? Nous entendons chaque jour la même ritournelle. Quand des activistes en tenue de camouflage religieux commettent des actes odieux, des voix s'élèvent aussitôt: ce n'est pas cela l'islam, ce n'est pas cela le judaïsme, ce n'est pas cela le christianisme et ainsi de suite. On est quitte? Mais que font ces porte-paroles pour rendre arable la terre religieuse? Ou pour utiliser l'expression chère aux sociologues, le champ religieux?
Un premier clin d'œil. C'est Ibn Khaldûn (1332-1406), mon cher et aimé philosophe de l'histoire. Il parle de l'agriculture dans la célèbre Muqaddima. Il la classe parmi les sciences ('ilm en arabe): "La science de l'agriculture, note-t-il, étudie la culture et la croissance des plantes, leur irrigation, leur traitement, l'amélioration des sols, le choix des saisons propices et l'application régulière des moyens propres à les faire croître et prospérer." (VI, 25). Pareil programme est le bienvenu dans notre propos. En transposant - je n'ose pas dire en transplantant - terme à terme son analyse au champ religieux une chose saute aux yeux. Les religions deviennent des partenaires fiables si elles cultivent leur terre aux quatre saisons.
Un deuxième clin d'œil. Il va bien avec le précédent. Il s'agit de la pensée d'un sage. Voici. J'étais instituteur en Algérie au milieu des années 1960. Le père d'un de mes élèves m'impressionnait par son bon sens. J'aimais lui rendre visite. Il était pétri de foi. Il m'avait confié un jour: "Tu sais, Michel, j'ai bien connu Ibn Bâdîs (1889-1940). C'était un Réformateur algérien. J'ai retenu une de ses paroles: "Je suis un semeur (oui !) d'amour, mais sur une base de justice, d'équité et de respect envers toute personne, de quelque race et de quelque religion qu'elle se réclame." Cette parole forte avait entre temps été consignée dans les écrits d'Ibn Bâdîs. Terre arable et fertile que celle où l'amour est semé.
Un troisième clin d'œil. Il peut s'associer au précédent. C'est de parler de la terre elle-même. Je m'explique. Une terre arable est composée d'humus. Humus ? A votre avis, d'où viennent les mots humain, humaniste, humanité, et même inhumation ? Une bonne couche d'humus cultivée telle est la terre de l'humanisme. Une question me vient à ce propos. Est-ce la mission des religions de rendre la terre des hommes arable et plus humaine ? Ou à l'inverse est-ce aux humanistes de rendre le champ des religions productif ? J'avance cette affirmation : si la foi ne s'humanise pas, elle perd son ciel et sa terre.
Un quatrième clin d'œil. Il est dans le sillage du précédent. Ayons la lucidité d'admettre une fois pour toutes ceci. Des dogmes, des rites, des cultes, des institutions, des normes, des échelles de valeurs, de la morale, des relations maître-disciple, de la méditation, on en trouve autant dans les religions qu'au-delà de leur sphère. A y réfléchir, une chose et une seule est propre aux religions. C'est la Voix des Prophètes. Nous y voici au cœur de la religion, la vraie. C'est la Voix des prophètes qui ouvre la terre pour qu'advienne le Printemps de la religion. Des Prophètes, il en manque rudement. Or il y en a. Vous savez quoi ? Comme ce fut le cas à toutes les époques, on bâillonne les Prophètes. Oh que j'aime cette exhortation d'un Prophète: "n'éteignez pas l'Esprit Saint... ne méprisez pas les prophéties des Prophètes" (cf Saint Paul, 2 Thessaloniciens 5,19-20). Le Prophète ouvre de nouveaux sillons. Quant aux Réformateurs, il leur incombe de redresser les sillons tortueux.
Un cinquième clin d'œil. C'est un hommage à un imam génial. Il avait peut-être 25 ans quand nous avons fait connaissance. C'était en 1988. Fils d'un ouvrier forestier, il était lui-même ouvrier. Il avait fréquenté une école coranique. Il exerçait dans une petite salle de prière au rez-de-chaussée d'un immeuble d'un village de la Vallée de la Bruche. A Mutzig pour être précis. Et voici qu'il eut un jour cette inspiration prophétique: "Moi, Abdessalam, au nom du bon sens de tous les gens de la vallée, voici ce qu'il nous faut transmettre :
En tant que musulmans, nous devons mettre en pratique notre religion, et notre religion, c'est la paix, c'est rétablir les choses dans le calme, par le calme. Je regrette qu'à la télévision, quand on nous montre l'islam ou des musulmans, on nous présente des personnes marginales, fanatiques. Ce n'est pas cela notre religion. J'insiste beaucoup dans mes prêches sur le respect. Mais je dis toujours que le respect doit être mutuel. Le respect, ça ne fait pas de bruit. C'est peut-être pour cela qu'on n'en parle jamais à la télévision. J'insiste sur une chose : on habite dans un pays où les gens ne peuvent pas connaître l'islam à partir de rien, sans étudier, sans se renseigner ni surtout fréquenter des musulmans. C'est pareil pour moi : si je veux apprendre à connaître le christianisme, je dois l'étudier, mais aussi rencontrer des chrétiens, les fréquenter. Si les Français veulent comprendre la religion musulmane, il est nécessaire qu'ils fassent la différence entre un arabe et un musulman.'
Le message de cet imam génial a pris pour moi une dimension universelle et permanente. Il éclipse les discours des doctes des religions. Cela, j'en suis sûr : ouvrir les voies de la paix, user du calme, mériter le respect, étudier pour se connaître, se fréquenter pour s'apprécier. Les cinq ancrages du ciel sur... la terre des hommes.
A deux pas de Mutzig, bien avant, en 1960, alors que j'étais élève en terminale au Lycée de Molsheim, avec d'autres camarades de classe, nous avions mis au point ce qui est devenu l'Atelier d'analyse conceptuelle. C'est la règle des cinq éléments compréhensifs et la théorie des trois indices. On voulait s'éviter la corvée du bachotage. Avec quelques fiches, ont synthétisait des mois de cours. Je n'ai jamais cessé de peaufiner, d'utiliser et d'enseigner cette méthode. Oserai-je en dévoiler les arcanes?
Michel Reeber est l'auteur de nombreux ouvrages sur l'islam. Voici la couverture du dernier, publié aux éditions Milan en 2013.
Retrouvez les articles du HuffPost Maghreb sur notre page Facebook.