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Comment favoriser un meilleur avenir en Tunisie? (2/2)

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Déjà quatre mois passés en Tunisie, quatre mois où j'ai côtoyé de plus près, le temps d'un semestre à l'Université de Carthage, les acteurs d'une société en profond changement. Dans ce dernier blogue, j'aimerais vous faire part de ce que je retiens rétrospectivement de cette expérience fantastique.

En Occident, on considère souvent que le questionnement identitaire du peuple tunisien - qui vacille entre l'islamisme ultra-conservateur des pays du Golfe et le christianisme libéral à l'occidental - constitue le principal enjeu découlant du printemps arabe. Il s'agit effectivement d'un enjeu majeur. Il est important de se rappeler que ces deux religions sont en fait issues de la même branche de religions monothéistes, s'inspirent souvent des écrits des mêmes philosophes et partagent certaines valeurs universelles. Depuis la chute du régime Ben Ali, les pétromonarchies du Golfe sont très proactives afin d'inciter le peuple tunisien à épouser leur propre vision de ce que doit être un État islamique. Selon moi, ce phénomène n'est pas sans risque pour l'avenir de la démocratie tunisienne. Il serait donc très légitime que la Tunisie s'inspire aussi d'autres modèles étatiques, notamment ceux des sociétés occidentales, malgré tous les défauts qu'on peut leur reprocher.

Outre le questionnement identitaire, plusieurs autres changements sociologiques s'opèrent actuellement au sein de la société tunisienne et affectent le citoyen ordinaire dans plusieurs aspects de sa vie quotidienne. À mon avis, le plus important est sans doute celui de la transition d'une culture de sujétion (sous une dictature) à une culture de participation démocratique.

LIRE AUSSI: Comment favoriser un meilleur avenir en Tunisie? (1/2)


Démission du patron, place à la participation

Dès mes premiers jours à la faculté, j'ai été étonné par l'autorité qu'exerçaient les professeurs sur les étudiants. Je me rappelle d'une des premières séances où le professeur avait demandé aux élèves d'effectuer un court travail. À ma grande surprise, celui-ci avait pris le temps de vérifier individuellement si chaque étudiant avait effectué ce travail et notait le nom des nombreux fautifs. Toutefois, ce qui m'a laissé le plus perplexe, ce fut le chuchotement entre deux camarades fautifs devant moi se rassurant mutuellement que cela n'aurait pas d'incidence sur la note finale.

Au Québec, l'ambiance universitaire est toute autre. Généralement, les étudiants ont fait le choix de poursuivre leurs études au cycle supérieur. Si un étudiant n'est pas motivé à réussir, personne ne le prendra par la main comme on le fait à la petite école. Malheureusement, d'après ce que j'ai pu constater en Tunisie, cette approche basée sur le lien d'autorité semble parfois nécessaire pour motiver les étudiants à réussir leurs cours. En fait, cette relation basée sur l'exercice de l'autorité ne s'applique pas seulement au contexte professeur/étudiant, mais aussi à l'ensemble de la société tunisienne.

Selon mon professeur de sociologie politique, Hatem M'rad, ce comportement s'explique notamment par une longue tradition de culture de sujétion auquel le peuple tunisien a toujours été soumis. Que ce soit pendant la colonisation arabe, le protectorat français, sous les présidents Bourguiba ou Ben Ali, le peuple tunisien n'a jamais vraiment participé au processus décisionnel de la société. Cette culture de sujétion trouve même ses racines dans l'islam où les fidèles appliquent (parfois, encore aujourd'hui) les commandements du prophète sans les remettre en question. Cela se reflète dans l'ensemble des relations interpersonnelles: entre le professeur et ses élèves, le patron et ses employés, le père et ses enfants, le mari et sa femme.

Cette réalité fut pour moi le plus grand choc culturel en Tunisie. Il est souvent hasardeux de se fier sur l'initiative personnelle des individus pour obtenir des services ou du soutien. Évidemment, à l'étranger, il faut chercher à s'adapter à la culture locale. Par conséquent, à maintes reprises, j'ai dû apprendre à me mettre «respectueusement en colère» et, avec une certaine autorité dans le ton et l'attitude, dicter des actions aux personnes concernées afin d'obtenir ce que je voulais ou de faire avancer différents dossiers et projets.

Si la culture de sujétion est associée aux dictatures, il en est tout autre dans les contextes de régimes démocratiques où on favorise beaucoup plus largement la participation citoyenne. Déjà à l'époque de la Grèce antique, Aristote avait présenté l'évolution de la Cité comme l'addition de l'initiative personnelle de chacun des citoyens. En janvier 2011, lorsque la jeunesse tunisienne a exigé le départ de Ben Ali, elle exigeait non seulement le départ d'un homme, mais aussi de toute une structure politique. Aujourd'hui, la jeunesse tunisienne devra trouver sa motivation non plus dans l'obligation qui lui est dictée par une quelconque autorité, mais plutôt dans une volonté profonde de choisir elle-même ses actions et sa destinée. Si je n'ai pas trop d'inquiétude en ce qui a trait à la des jeunes issus de milieux plus favorisés et scolarisés, mon avis est beaucoup plus mitigé en ce qui concerne les jeunes issus des milieux populaires.

Tel que discuté dans un précédent blogue, en islam, autorité politique et autorité religieuse ne font qu'un. Le rejet du précédent dictateur, qui incarnait l'autorité religieuse et imposait un islam moderne, laisse actuellement le champ libre aux nouveaux «guides», prêchant un néo-islam obscurantiste qui trouve écho particulièrement auprès de certaines personnes issues des milieux plus défavorisés. Si en Occident, nous nous réjouissons du «choc des idées», la société tunisienne redoute, peut-être plus que jamais, la force de ce choc entre les différentes visions de l'islam. Participer à la vie démocratique de la Cité n'est pas inné chez l'homme. Si le civisme est une des plus grandes vertus en politique, certains la maîtrisent moins que d'autres. Parfois, lorsque les structures étatiques formelles ne la favorisent pas, la participation politique peut même se transformer en violence autant envers les symboles physiques qu'envers les personnes.


Et maintenant ?

Pendant mon séjour de quelques mois en Tunisie, j'ai observé que, derrière l'image romantique révolutionnaire, la lenteur de la transition démocratique engendre de l'instabilité laquelle contribue à l'éclosion d'une certaine morosité collective. Cette morosité est alimentée par une récente augmentation de la menace terroriste, par les nombreuses grèves, tant chez les travailleurs qu'au sein du mouvement étudiant. Par ailleurs, suite à la chute du précédent régime, on observe une restructuration des forces de l'ordre afin de constituer une police civile plutôt qu'une force répressive. Cette période de transition engendre une hausse de l'insécurité au sein de la population. En effet, selon un récent sondage «76% des Tunisiens déclarent regretter la sécurité sous l'ancien régime».

Tout au long de mon voyage, j'ai rencontré un peuple passionné, mais aussi un peuple inquiet. Plusieurs Tunisiens m'ont manifesté leur intérêt à quitter la Tunisie pour s'installer en Occident. À cet égard, le Québec est tout particulièrement attractif compte tenu de son extraordinaire qualité de vie et de son attachement à la francophonie. Si à mon arrivée, je les encourageais à participer à la reconstruction de leur pays, aujourd'hui je comprends mieux le désir de certains de quitter pour l'inconnu.

Si les systèmes sont difficiles à réformer, j'ai eu toutefois la chance de connaître des professeurs, des étudiants et des citoyens passionnés par l'avenir de leur pays. Je ne peux que les remercier pour leur accueil et aussi pour avoir partagé avec moi cette passion. Si le chemin à parcourir peut sembler une montagne infranchissable pour certains, d'autres sont déterminés à la franchir afin d'y planter leur drapeau, celui d'une Tunisie libre et démocratique. Malgré l'immensité de la tâche qui attend ce peuple, j'espère sincèrement que la Tunisie continuera de rayonner dans le monde arabo-musulman par sa vision clairvoyante de l'islam.

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