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Campagne électorale: Trois stratégies de communication dévoilées de candidats perdants

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Ils travaillent dans l’ombre. Pendant que leurs candidats débattaient à la télévision et discouraient devant les foules, ils ont géré les coulisses, préparé les éléments de langages, rameuté les foules.

Directeurs de campagne ou spin-doctors, ils se livrent sans fard sur leur travail et raconte la campagne du premier tour vue de l’intérieur.

Kamel Morjane, "incapable de blesser quiconque"

L’air jovial derrière ses lunettes rondes, Ahmed préfère rester anonyme. Il a travaillé pour la campagne de Kamel Morjane, finalement crédité de 1,27% des voix.

À l’écouter expliquer les attributs de son travail auprès de l’ancien ministre de Ben Ali, on ne peut s’empêcher de penser au personnage de Kasper Juul dans la série danoise Borgen: Un spin doctor, un vrai.

Pour son premier passage dans le monde de la politique, Ahmed, fort d’une carrière dans la communication, était censé s’occuper des discours et du media training du candidat Morjane, qui l’avait lui-même persuadé de se lancer dans l’aventure.

Lui-même plutôt de gauche, Ahmed affirme que l’étiquette "ancien régime" n’aurait pas été un défi insurmontable dans la campagne.

"Ce n’est pas nécessairement préjudiciable en 2014, d’autant plus que l’électorat que nous visions a le sens de la nuance".


La nuance? Comprendre: La réputation "neutre" des portefeuilles occupés par Morjane sous Ben Ali, d’abord à la tête du ministère de la Défense puis des Affaires étrangères. Sachant qu’il s’agit là des deux prérogatives du futur président, l’équipe de campagne a tenté de retourner cette expérience en sa faveur.

Le spin doctor a de l’estime pour son candidat, "un type très diplomate, très correct, incapable de blesser quiconque".

Ahmed loue également "l’intégrité" de celui qui a mené à fin sa campagne alors que "des voix à l’intérieur d'Al Moubadara [son parti] tentait de l’en dissuader" et de se retirer en faveur de Béji Caïd Essebsi.

Mais le hic, c’est que Morjane "n’est pas très médias".

Alors qu’il a "une tendance naturelle à apaiser les choses", l’équipe souhaitait qu’il soit "plus agressif".

"J’ai essayé de jouer un peu le mauvais rôle", raconte Ahmed.

Exemple: "Quand (Moncef) Marzouki a parlé du taghoud, il affirmait objectivement qu’il y aurait un terrorisme intelligent et un terrorisme bête. Pour moi, il s’agissait alors de le reprendre au mot".


S’il travaillait sur les discours, Ahmed fait cependant remarquer que les mots ne font pas tout.

"Quand on dénonce, il y a une manière de le faire qui passe principalement par le ton employé".

Mais voilà, le défaut de Kamel Morjane, à l’instar de ceux qu’on peut confesser aux entretiens d’embauche, c’est qu’il est manifestement trop gentil.

"Le problème, c’est que quand il est scandalisé, ça ne se ressent pas", commente Ahmed le sourire en coin.

"Le pouvoir, il faut beaucoup de mesquinerie pour le conquérir et beaucoup de grandeur pour l’exercer. Morjane n’a que la grandeur".

Mais Ahmed refuse de croire que le faible score de Morjane serait dû à ce trait de caractère. Pour lui, il y a une simple recette pour gagner: "un candidat qui a de l’épaisseur, de la visibilité dans les médias, et de l’argent". Seul le premier critère était rempli, déplore-t-il.

"Pas d’autre choix que d’élargir l’électorat" pour la campagne de Hamma Hammami

Directeur d’une boîte de communication, Riadh Ben Fadhel est également fondateur du parti Al Qotb, membre de la coalition électorale du Front Populaire.

En deux mois, il a été successivement directeur de campagne de la coalition aux législatives puis, à la tête d’une équipe exécutive d’une quarantaine de personnes, de Hamma Hammami à la présidentielle.

Sur son bureau, les piles de dossiers de son agence attendent d’être reprises en main. Jonglant entre ses deux téléphones et ses collaborateurs, l’homme est très occupé, mais il semble aimer ça.

En prenant la tête de la campagne de Hamma Hammami, l’objectif était clair:

Doubler le score du Front populaire. Dans cette optique, il n’y avait "pas d’autre choix que d’élargir l’électorat vers le centre gauche: L’électorat citoyen, libéral, un peu bobo".


Pour cibler cette population, il fallait jouer la "carte du rassemblement" et donner au candidat de gauche une "stature d’homme d’Etat" au discours "plus large".

Ils ont défini les "éléments de langage" (jargon politique signifiant les mots-clés et les thèmes récurrents à utiliser dans les médias): rassemblement, réassurance, sécurité nationale, problèmes économiques et sociaux. Et puisque le Président sera garant de la Constitution, ils ont "travaillé comme des fous sur les questions de société".

"Hamma Hammami avait la volonté d’assumer cette stratégie. C’est important. Il est tout sauf psychorigide, il ne réagit jamais à chaud et s’investit pleinement", se réjouit Riadh Ben Fadhel. "Hamma a une certaine pudeur, mais il a été moins réservé que d’habitude".

L’équipe espérait que les électeurs, rassurés par le résultat positif de Nida Tounes aux législatives, prennent "le risque qu’ils n’avaient alors pas pris: voter pour Hamma".

"Puis, lors de la première interview à Nessma TV, il fallait casser les tabous autour de Hamma".

Et si le dîner de Hamma Hammami dans le restaurant chic "La Closerie" la veille du scrutin a fait jaser sur les réseaux sociaux, Riadh Ben Fadhel n’y voit pas d’inconvénient: "Comme dit Hamma, on n’a pas de problèmes avec les hommes d’affaire, mais avec les affairistes".


Hamma Hammami s’est placé en troisième position lors du premier tour, avec 7,82% des suffrages exprimés. Doublant, en effet, le score du Front populaire.

J'aime un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout

Bien plus bas dans les résultats, Samir Abdelli, 48 ans, n’a obtenu que 0,15% des suffrages, soit à peine plus de 5,000 voix. Pourtant, l’avocat d’affaires, spécialisé notamment dans le secteur de l’énergie, avait choisi de mener une campagne moderne en misant sur les réseaux sociaux.

"On n’avait pas le choix", explique un membre de l’équipe de campagne.

"On a commencé tard, on n’avait qu’un mois, trop peu pour organiser des coordinateurs de terrain dans les régions".

Peu connu par le grand public avant la campagne, Samir Abdelli peinait à se faire une réputation à travers les médias: Il n’a fait sa première apparition télévisée qu’une dizaine de jours avant le scrutin, sur Nessma TV.

Alors, l’équipe a fait "un peu comme du marketing". Faute de base militante, ils ont créé une base virtuelle.

La campagne internet s’est concentrée sur Facebook. "En un mois, le profil du candidat Abdelli a totalisé plus de 90,000 mentions J’aime.

"C’est la cinquième place sur Facebook derrière [Slim] Riahi, [Moncef] Marzouki, Béji Caïd Essebsi et Hamma [Hammami]", se réjouit le jeune homme.


Le profil était alors une des trois pages vérifiée par Facebook parmi les candidats, un statut qui assure automatiquement une certaine visibilité sur les fils d’actualité des utilisateurs.

Mais le faible résultat du candidat, qui a depuis assuré son soutien pour le deuxième tour à Béji Caïd Essebsi, démontre que Facebook n’est pas une baguette magique électorale.

"Non, ce n’étaient pas tous des soutiens", conçoit le membre de l’équipe. "Juste des mentions J’aime".



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