"Mes vers en colère,
M'obligent à me taire.
Mes strophes m'apostrophent,
Et commutent sur off:
C'est la catastrophe!"
Soricelli Pellegrino
En abordant la problématique du "blocage" lors des activités rédactionnelles (rédaction d'un essai, d'un commentaire composé ou d'une dissertation) dans un contexte d'apprentissage du FLE ou FLS à l'université (première année), la plupart des professeurs oublient qu'ils étaient eux-mêmes, à un moment donné de leur parcours académique et certes à des degrés différents, victimes du même type de "constipation" mentale: Devant la blancheur immaculée de la feuille vierge, notre cerveau est en quelque sorte obnubilé et déboussolé par le reflet obsédant du vide.
On devient subitement "alzheimérique" et quasiment paralysé par une phobie inexplicable. Les professeurs oublient également que le blocage est un phénomène très répandu et très connu dans le monde des écrivains, des poètes et même des peintres et que, pour le surmonter, il faut tout d'abord le saisir et procéder ensuite à une sorte d'autothérapie.
N'est-ce pas là d'ailleurs l'enjeu capital de la célèbre formule socratique: "Connais-toi toi-même"?
Consoler et motiver
Au cas où l'enseignant diagnostiquerait chez ses apprenants ce genre de syndrome handicapant au cours des séances ou des phases d'entraînement à la production écrite, il devrait tout d'abord éviter toute réaction démoralisante telle que les taxer de fainéantise ou de cancrerie et de tenter par la suite de dédramatiser cet échec (total ou partiel) en attirant leur attention sur le fait que beaucoup de romanciers et de poètes français, anglais et américains célèbres avaient souffert de la stérilité imaginative et de l'impotence scripturale.
Flaubert, par exemple, l'avoue clairement dans l'une de ses missives adressée à George Sand: "Vous ne savez pas, vous, ce que c'est que de rester toute une journée la tête dans ses deux mains à pressurer sa malheureuse cervelle pour trouver un mot".
Faulkner, Rowling, Henry Miller, Joseph Heller, Philip Larkin, John Fowles, Henry Roth et beaucoup d'autres auteurs ont vécu les mêmes moments de blocage ("writer's block"), de déception et de doute.
Il en est de même pour les poètes: dans son illustre "Nuit de mai", Musset, sentant sa verve tarir, implore, sur un ton supplicateur et révérencieux, sa muse inspiratrice de ne plus le délaisser et d'attiser le feu créateur de son esprit:
Baudelaire, de sa part, invoque l'assistance du Seigneur ("A une heure du matin", Petits poèmes en prose) pour qu'il lui "accorde (..) la grâce de produire quelques beaux vers qui [lui] prouvent qu['il] ne [est] pas le dernier des hommes, qu'[il n'est] pas inférieur à ceux qu'[il] méprise".
Mais c'est surtout avec Mallarmé que la phobie de la page blanche devient carrément une thématique ou plutôt une problématique poétique: au début du "Renouveau", le poète avoue clairement que "dans [son] être à qui le sang morne préside //L'impuissance s'étire en un long bâillement". "L'Azur" s'ouvre également par un quatrain sémantiquement surchargé qui en dit long sur le sentiment d'impuissance qui ravage par moments le poète tourmenté et le désarme verbalement et poétiquement:
Par ailleurs, le poète focalise la description dans "Brise Marine", sur son bureau lugubre et "la clarté déserte de [sa] lampe // sur le vide papier que la blancheur défend".
Un peu d'humour contribuerait également à dédramatiser la situation et à détendre l'ambiance: Les apprenants savent-ils que c'est en se référant à l'exemple de la page blanche que Jean-Paul Sartre a essayé de clarifier dans L'Etre et le Néant un pan de sa philosophie existentielle (la fameuse distinction entre l'existence en soi et l'existence pour soi)? La feuille blanche était pour Sartre ce qu'était la pomme pour Newton.
Le fait d'évoquer tous ces exemples et ces noms devant des apprenants qui ont du mal à "démarrer" ne peut que les motiver et restaurer leur confiance en eux-mêmes et en leurs capacités. En apprentissage, confiance et performance sont deux maillons pédagogiques bien soudés.
Il s'agit ensuite d'aborder avec eux les causes probables de ce blocage inopiné qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses le jour de l'examen et les moyens susceptibles de le surmonter. Il est important à ce stade de donner la parole à ses apprenants et d'être tout ouïe pour pouvoir identifier les types de difficultés rencontrés et y remédier efficacement. Il est important également que l'enseignant ait les acquis psychologiques de base relatifs au blocage ou au freinage de la productivité. Pour Véronique Mimeault, une psychologue qui dirige "Le centre d'aide aux étudiants" à l'Université Laval (Québec), les principales causes de ce phénomène sont:
Dans une classe de FLE ou FLS, la "légèreté" du bagage linguistique y est aussi pour quelque chose. En effet, les étudiants renoncent souvent à une idée ou une phrase dès qu'un verbe, un substantif ou un adjectif leur échappe. Au lycée, certains élèves tunisiens osent carrément insérer des mots en arabe (qu'ils mettent entre parenthèses) dans leurs rédactions en français.
M'obligent à me taire.
Mes strophes m'apostrophent,
Et commutent sur off:
C'est la catastrophe!"
Soricelli Pellegrino
En abordant la problématique du "blocage" lors des activités rédactionnelles (rédaction d'un essai, d'un commentaire composé ou d'une dissertation) dans un contexte d'apprentissage du FLE ou FLS à l'université (première année), la plupart des professeurs oublient qu'ils étaient eux-mêmes, à un moment donné de leur parcours académique et certes à des degrés différents, victimes du même type de "constipation" mentale: Devant la blancheur immaculée de la feuille vierge, notre cerveau est en quelque sorte obnubilé et déboussolé par le reflet obsédant du vide.
On devient subitement "alzheimérique" et quasiment paralysé par une phobie inexplicable. Les professeurs oublient également que le blocage est un phénomène très répandu et très connu dans le monde des écrivains, des poètes et même des peintres et que, pour le surmonter, il faut tout d'abord le saisir et procéder ensuite à une sorte d'autothérapie.
N'est-ce pas là d'ailleurs l'enjeu capital de la célèbre formule socratique: "Connais-toi toi-même"?
Consoler et motiver
Au cas où l'enseignant diagnostiquerait chez ses apprenants ce genre de syndrome handicapant au cours des séances ou des phases d'entraînement à la production écrite, il devrait tout d'abord éviter toute réaction démoralisante telle que les taxer de fainéantise ou de cancrerie et de tenter par la suite de dédramatiser cet échec (total ou partiel) en attirant leur attention sur le fait que beaucoup de romanciers et de poètes français, anglais et américains célèbres avaient souffert de la stérilité imaginative et de l'impotence scripturale.
Flaubert, par exemple, l'avoue clairement dans l'une de ses missives adressée à George Sand: "Vous ne savez pas, vous, ce que c'est que de rester toute une journée la tête dans ses deux mains à pressurer sa malheureuse cervelle pour trouver un mot".
Faulkner, Rowling, Henry Miller, Joseph Heller, Philip Larkin, John Fowles, Henry Roth et beaucoup d'autres auteurs ont vécu les mêmes moments de blocage ("writer's block"), de déception et de doute.
Il en est de même pour les poètes: dans son illustre "Nuit de mai", Musset, sentant sa verve tarir, implore, sur un ton supplicateur et révérencieux, sa muse inspiratrice de ne plus le délaisser et d'attiser le feu créateur de son esprit:
Si tu remontes dans les cieux.
Je ne chante ni l'espérance,
Ni la gloire, ni le bonheur,
Hélas ! pas même la souffrance.
La bouche garde le silence
Pour écouter parler le coeur.
Baudelaire, de sa part, invoque l'assistance du Seigneur ("A une heure du matin", Petits poèmes en prose) pour qu'il lui "accorde (..) la grâce de produire quelques beaux vers qui [lui] prouvent qu['il] ne [est] pas le dernier des hommes, qu'[il n'est] pas inférieur à ceux qu'[il] méprise".
Mais c'est surtout avec Mallarmé que la phobie de la page blanche devient carrément une thématique ou plutôt une problématique poétique: au début du "Renouveau", le poète avoue clairement que "dans [son] être à qui le sang morne préside //L'impuissance s'étire en un long bâillement". "L'Azur" s'ouvre également par un quatrain sémantiquement surchargé qui en dit long sur le sentiment d'impuissance qui ravage par moments le poète tourmenté et le désarme verbalement et poétiquement:
De l'éternel azur la sereine ironie
Accable, belle indolemment comme les fleurs
Le poète impuissant qui maudit son génie
A travers un désert stérile de Douleurs.
Par ailleurs, le poète focalise la description dans "Brise Marine", sur son bureau lugubre et "la clarté déserte de [sa] lampe // sur le vide papier que la blancheur défend".
Un peu d'humour contribuerait également à dédramatiser la situation et à détendre l'ambiance: Les apprenants savent-ils que c'est en se référant à l'exemple de la page blanche que Jean-Paul Sartre a essayé de clarifier dans L'Etre et le Néant un pan de sa philosophie existentielle (la fameuse distinction entre l'existence en soi et l'existence pour soi)? La feuille blanche était pour Sartre ce qu'était la pomme pour Newton.
Le fait d'évoquer tous ces exemples et ces noms devant des apprenants qui ont du mal à "démarrer" ne peut que les motiver et restaurer leur confiance en eux-mêmes et en leurs capacités. En apprentissage, confiance et performance sont deux maillons pédagogiques bien soudés.
Il s'agit ensuite d'aborder avec eux les causes probables de ce blocage inopiné qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses le jour de l'examen et les moyens susceptibles de le surmonter. Il est important à ce stade de donner la parole à ses apprenants et d'être tout ouïe pour pouvoir identifier les types de difficultés rencontrés et y remédier efficacement. Il est important également que l'enseignant ait les acquis psychologiques de base relatifs au blocage ou au freinage de la productivité. Pour Véronique Mimeault, une psychologue qui dirige "Le centre d'aide aux étudiants" à l'Université Laval (Québec), les principales causes de ce phénomène sont:
- la peur de l'échec, autrement dit la sous-estimation de soi : (je suis nul(le).
- le perfectionnisme : vouloir produire quelque chose de parfait et de très original.
- l'autocensure : sentiment obsédant d'incapacité à satisfaire le correcteur.
- la procrastination : dispersion mentale et difficulté de gestion du temps.
- la mythification de l'acte d'écriture : bien écrire est un talent inné.
Dans une classe de FLE ou FLS, la "légèreté" du bagage linguistique y est aussi pour quelque chose. En effet, les étudiants renoncent souvent à une idée ou une phrase dès qu'un verbe, un substantif ou un adjectif leur échappe. Au lycée, certains élèves tunisiens osent carrément insérer des mots en arabe (qu'ils mettent entre parenthèses) dans leurs rédactions en français.
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