Note: Exit Productions a retiré ses deux films en compétition aux 3ème Rencontres des réalisateurs tunisiens en protestation contre la nomination "inadmissible" d'Abdellatif Ben Ammar au jury du festival.
Le fait de donner de la visibilité à deux cinéastes officiels qui ont sévi tout au long des dictatures successives constitue un message fort de la part d'une association de réalisateurs créée après le 14 janvier.
Le choix de Abdellatif Ben Ammar au jury et celui de rendre hommage à Omar Khlifi ne sont pas à l'abri des interprétations. Ces deux cinéastes ont indéniablement constitué des symboles de la propagande politique et représentent le statu quo dans lequel a été enfermé le cinéma en Tunisie des décennies durant.
Exit Productions, qui a retiré ses films de la Rencontre, a réagi de manière énergique en disant que la pilule n'est tout simplement pas passée.
Je ne crois pas que le but des membres d'EXIT soit de nier l'histoire du cinéma en Tunisie en refusant la reconnaissance à ces pionniers. Il ne s'agit aucunement d'un règlement de compte mais d'une position de principe ferme. Les organisateurs du festival auraient pu faire attention à ne pas heurter la susceptibilité des uns et des autres en imposant des choix qui laissent nécessairement transparaître des orientations et des intérêts, invitant tous les réalisateurs à revenir à "la case départ".
Je crois personnellement que la manière la plus saine aurait été d'écouter ces deux vétérans faire leur bilan et leur autocritique lors d'une journée d'étude. Les nouvelles générations ont besoin de connaître leurs œuvres et leur parcours. Mais de là à leur offrir cette place d'honneur au sein d'un festival censé défendre les préoccupations actuelles, il y a un fossé!
Le fait que nous vivions ces choix comme un coup de force relève-t-il du simple malentendu ou de profondes divergences?
Je crois surtout que cela est mal vu et naïvement calculé. On ne peut pas tourner aussi brusquement les pages d'un livre d'histoire. Les choses doivent être dites et les erreurs reconnues et c'est à ce prix que la situation pourra être assainie. Pour être utile et constructif, un festival se doit de remettre les choses à leurs justes places et promouvoir des actions réparatrices au nom de l'histoire, de la mémoire, tout en envisageant des prospectives...
Il faut impérativement dénoncer le système qui a perverti les gens, plus que les personnes qui ne sont, en somme, que les victimes d'elles-mêmes. Je dis cela en dehors de toute considération familiale étant un cousin germain de Abdellatif Ben Ammar. Je l'ai beaucoup admiré tout au long de mon adolescence pour le combat sincère qu'il a mené dans les années 70 lorsqu'il réalisait Sejnane. Il a cru, tout comme Omar Khlifi, à une cinématographie tunisienne souveraine et viable. Tous deux ont vu leur rêve se fracasser violemment. Ils étaient sans doute parmi les premiers témoins du naufrage et les premiers à prendre conscience de l'ampleur du désastre.
Aujourd'hui, à mon âge, j'évalue sans acrimonie ni vindicte un tel gâchis et je me dis que leur amertume face à un tel échec peut les avoir rendus individualistes, se positionnant non sans dépit du côté du pouvoir. Je souhaite sincèrement que la reconnaissance de leurs erreurs puisse effacer la colère légitime des jeunes cinéastes et m'autorise à nourrir l'espoir que la conscience et la raison finiront par l'emporter.
La 3ème édition des Rencontres des réalisateurs tunisiens aura lieu du 13 au 16 février.
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