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Interview de Mustapha Ben Jaâfar: Retour sur la Constitution avec le président de l'Assemblée nationale Constituante (Partie 1)

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Mustapha Ben Jaâfar est le président de l’Assemblée nationale constituante, depuis qu’il a été élu à ce poste par les députés à la suite des élections d’octobre 2011. Pendant plus de deux ans, le leader du parti Ettakatol a dû gérer, tant bien que mal, les travaux et les débats parfois chaotiques à l’Assemblée.

Après les assassinats de Chokri Belaïd et de Mohamed Brahmi, les différentes crises politiques et sécuritaires, les démissions et dissensions au sein de son propre parti, payant le prix de son alliance avec les islamistes d’Ennahdha, la Constitution a finalement été adoptée le 26 janvier dernier, par l’approbation de 200 députés, soit une très large majorité.

Aujourd’hui, Mustapha Ben Jaâfar ne cache pas sa joie et sa satisfaction de ce qu’il considère comme une victoire et une preuve de la pertinence des “choix difficiles” qu’il a dû prendre.

Au lendemain de l’entrée en vigueur de la Constitution, par sa publication au Journal officiel, Mustapha Ben Jaâfar répond aux questions du HuffPost Maghreb.


HuffPost Maghreb: Maintenant que la Constitution est entrée en vigueur et indépendamment du symbole que représente son adoption, qu’apportera-t-elle de nouveau aux Tunisiens?

Mustapha Ben Jaâfar: Cette Constitution va être le socle pour la construction de la démocratie tunisienne naissante. Je pense que ce socle est tout à fait solide et la première qualité de cette Constitution est qu’elle a été élaborée de manière collective. On nous avait reproché au départ de démarrer sur une feuille blanche mais je pense que c’était un bon choix.

Sa deuxième qualité est dans son contenu. C’est une belle Constitution, une Constitution des libertés, car plus d’une vingtaine d’articles ont été consacrés pour les garantir, je ne sais pas quelle est la liberté qu’on aurait oubliée. Tout en ouvrant la possibilité à une régulation des libertés, l’article 49 précise bien dans quelles conditions on peut les restreindre, les limiter, et que de toutes les manières on ne peut toucher à l’essence même de la liberté concernée. Cet article est très important dans la mesure où il constitue une rupture avec les souvenirs du passé de l’ancienne Constitution de 59, qui n’était pas si mauvaise à l’époque mais qui laissait l’application des libertés à la loi, ce qui a conduit à des restrictions des libertés flagrantes, voire à la négation de la liberté.

Pour ce qui est du régime politique, évidemment c’est fait à la sauce tunisienne. On a cherché à établir un équilibre entre les deux têtes de l’exécutif et je pense que le résultat est satisfaisant. La pratique montrera s’il y a des failles et à ce moment-là ce ne sera pas difficile de les rectifier, mais a priori c’est un système équilibré qui fait du chef de l’Etat un arbitre garant de l’unité nationale et du respect de la Constitution. Il pourra même intervenir dans des cas précis de crise aggravée, en dissolvant l’Assemblée des représentants. Là encore il y eu consensus entre ceux qui tiraient vers un régime présidentiel et ceux qui préféraient un régime parlementaire.

Par ailleurs, la Cour constitutionnelle est très importante et c’est une première pour la Tunisie. Elle permettra de garantir une véritable rupture avec le pouvoir personnel et les excès d’un régime tenté par une forme d’autoritarisme.

Enfin, le pouvoir local et l’instauration de conseils régionaux et locaux élus directement par la population permettra de mettre fin à la centralisation outrancière qui prévalait jusque là.

Pour revenir à l’article 49 et ses restrictions justement, ne pensez-vous pas que le fait d’avoir ajouté des termes vagues, comme la moralité publique, soit un peu dangereux pour ces libertés?

Non, c’est quelque chose qui existe dans toutes les conventions internationales, on ne l’a pas inventé et ce n’est pas spécifique à la Tunisie. Ce sont des règles générales, comme vous dites, mais elles ne laissent pas tellement de place à une interprétation qui aille dans le sens des restrictions à la liberté. On a quand même mis tous les garde-fous nécessaires de l’avis des experts… comme vous le savez je suis médecin, je ne suis pas juriste. Mais je suis militant pour les libertés depuis plusieurs décennies donc c’est une question qui me tient particulièrement à coeur.

On peut se réjouir des avis qui ont été émis, non seulement par des chefs d’Etat et de Parlements mais aussi par des organisations internationales spécialisées dans ce domaine et qui ont suivi la construction à travers ses étapes.

Si vous deviez donner votre avis personnel, qu’est-ce que vous auriez supprimé ou ajouté dans cette Constitution?

S’il y a quelque chose que j’aurais bien aimé voir dans la Constitution c’est l’abolition de la peine de mort. Mais on ne peut pas forcer la main sur une question qui n’est pas encore consensuelle dans le pays. Je pense cependant que nous sommes dans la bonne direction, d’autant plus que depuis quelques décennies, cette peine de mort n’est plus appliquée en Tunisie.

Je suis personnellement convaincu que son application ne résout aucun problème et qu’au contraire il faudrait utiliser d’autres méthodes pour dissuader contre les crimes.

Cette Constitution est imprégnée des notions d’identité arabo-musulmane, d’Islam, etc. Le fait d’imposer l’enracinement de cette identité à l’école ou d’imposer au Président d’être musulman n’est-il pas une forme d’exclusion des Tunisiens non musulmans?

Non, je crois que là on enfonce des portes ouvertes. D’abord tous les peuples du monde doivent préserver leur identité qui leur donne leur substance et permet de distinguer un pays d’un autre. Je sais qu’on peut penser à une communauté planétaire, mais malheureusement nous n’en sommes pas là. Il y a encore des frontières et il faut préserver l’identité parce que c’est un moteur, y compris de civilisation, permettant à chaque peuple et à chaque société de contribuer à la civilisation et à la culture universelles.

Je n’y vois rien de choquant, ce n’est pas spécifique à la Tunisie et c’est une lapalissade que de constater que le Tunisien est à 97 ou 98% musulman, de culture arabo-musulmane. Le plus important est que ce peuple qui a une culture, une histoire plusieurs fois millénaire, qui est passé par plusieurs civilisations, reste quand même marqué par l’ouverture sur l’autre. Dans le texte constitutionnel, aussi bien dans le Préambule que dans d’autres articles concernant les libertés, je crois qu’on a trouvé le bon équilibre entre le fait de rester attaché à sa culture et en même temps d’être ouvert sur les valeurs universelles des droits de l’Homme, les autres cultures, les autres langues…

Et pour le Président de la République particulièrement?

Pour le Président de la République, il y a eu un débat, mais il n’y a pas eu de controverse entre les différentes familles politiques. Je pense que ça aurait peut-être fait plaisir à quelques intellectuels tunisiens ou étrangers de voir que n’importe qui peut présenter sa candidature à la Présidence de la République, mais je crois que c’est un problème qui ne se pose pas, qui n’a absolument aucune acuité ou urgence aujourd’hui. Il est pratiquement indéniable qu’un Tunisien qui serait d’une autre religion n’a pratiquement aucune chance d’être Président.

Si un Tunisien non-musulman n’a aucune chance d’être élu, pourquoi lui interdire de se porter candidat?

Justement cela aurait été formel. Nous n’avons pas fait la Constitution pour faire plaisir à une minorité mineure, on a fait la Constitution pour les Tunisiens qui sont majoritairement musulmans et qui ne l’auraient pas accepté.

L’avantage de cette Constitution, c’est que c’est une Constitution consensuelle, qui a été faite de manière collective et qui a été faite à l’image du peuple tunisien. Faites un tour dans la rue, posez la question et vous allez voir la réponse.

N’est-ce pas le rôle de l’Assemblée législative, par la suite, d’être à l’image de la majorité, et de la Constitution d’englober tout le monde?

Mais la Constitution est à l’image de la majorité. On a fait le choix au départ de ne pas la confier à quelques experts, qui nous auraient peut-être fourni une Constitution idéale, mais qui n’aurait aucune saveur. Nous avons fait un mélange. Depuis février 2012, les six commissions constituantes ont fait près de six cents réunions, dont le quart a été consacré à l’écoute des experts et des représentants de la société civile. Il y a eu un véritable échange, avec la mise en place d’un dialogue national, en Tunisie et à l’étranger. C’est un travail collectif qui ne peut donc pas répondre aux attentes d’une certaine catégorie particulière.

Parfois lors des débats sur les articles de la Constitution, il apparaissait que chacun défendait ses propres intérêts. Pour le régime politique Ennahdha qui était à la tête du gouvernement, défendait les prérogatives du chef du gouvernement et le CPR faisait la même chose pour le Président de la République. Cet aspect a été particulièrement observé pour l’article 6, qui a été amendé à la suite d’un différend entre Mongi Rahoui et Habib Ellouze. La Constitution n’a-t-elle pas été élaborée sur la base de considérations conjoncturelles?

Oui, mais la conjoncture fait partie de la vie. C’est tout à fait normal, car nous avons un peuple vivant, une société civile vivante et on aboutit une Constitution vivante. Elle a été faite sur une période de près de deux ans, il y a eu une participation très large et il est indéniable qu’il y ait eu des effets conjoncturels, en rapport avec les forces politiques au sein de l’Assemblée et dans le pays, au niveau des médias, dans la société civile… Tous ces éléments ont joué pour l’élaboration du texte final qui est le résultat de toutes ces composantes qui ont participé à la construction de cette Constitution. Il y a donc eu des questions qui ont pris une certaine acuité à un moment donné, au moment où nous étions dans la phase de finalisation. L’essentiel est que cela ne nous a pas fait perdre le cap.

Auriez-vous ajouté les deux interdictions qui figurent à présent dans l’article 6?

Probablement pas. Même les experts les plus avertis n’ont pas jugé la question très importante. Mais lorsque la question s’est posée dans le débat, nous avons trouvé un équilibre entre le respect de la chose sacrée et la condamnation de tous les excès et de toutes les campagnes visant à traiter d’apostats ceux dont les actions ne plairaient pas à certains religieux.

Ne pensez-vous pas que ces deux ajouts sont une limite à la liberté d’expression?

Je ne pense pas. Une société a ses équilibres internes qu’il faut aussi respecter. Il y a la déclaration universelle des droits de l’Homme mais il n’y a pas de constitution universelle. Autrement on aurait une seule constitution pour tout le monde et l’affaire serait entendue. Il y a des martyrs qui sont tombés pour cette Constitution, des jeunes qui se sont mobilisés pendant des mois à la Kasbah, après le départ du dictateur, pour demander une nouvelle Constitution et l’élection d’une Assemblée constituante. On ne peut pas faire table rase de tous ces éléments et rassembler quelques experts pour nous faire quelque chose de formidable qui plairait à tout le monde… et probablement plus à l’étranger qu’aux Tunisiens.

En parlant des jeunes, certaines associations de jeunes ont exprimé des critiques, estimant qu’ils étaient exclus de cette Constitution.

Il n’ont pas bien lu la Constitution et n’ont pas forcément une idée claire de ce qu’est une Constitution. Plusieurs articles clairs concernent les jeunes, l’enfant, la préservation de la famille et plus important encore, le chapitre sur le Pouvoir local garantit la représentativité des jeunes dans les Conseils élus des collectivités locales. Je pense que la jeunesse n’a pas été oubliée dans la Constitution.

On peut bien sûr exiger plus. Peut-être que la proportion des jeunes dans l’Assemblée constituante y est pour quelque chose, mais indiscutablement, tout le monde était préoccupé par cette question. Cependant, il ne faut pas trop en faire. Les jeunes sont des citoyens qui sont considérés comme étant jeunes à un certain âge et qui, quelques années plus tard, seront adultes. Dans la mesure où cette Constitution est démocratique, je pense qu’elle répond aux attentes de toutes les générations et elle est faite particulièrement pour les générations futures.

Concernant l’égalité entre les hommes et les femmes, pensez-vous que cette Constitution assure l’égalité absolue, y compris les questions relatives au statut personnel?

La Constitution, oui. Mais la loi et la pratique surtout, ne suivent pas toujours l’objectif identifié par le législateur, même dans les démocraties les plus avancées. Mais la Constitution là-dessus est très claire.

Donc l’égalité est garantie, y compris dans le statut personnel, par exemple pour l’héritage?

Vous citez toujours l’exception qui pose problème en terme d’adaptation avec un certain nombre de préceptes religieux. Mais la tendance est dans la bonne direction, depuis la promulgation du Code du statut personnel en 1957, à aujourd’hui, avec une Constitution qui enfonce le clou et parle de parité pour la première fois. Je pense que ce qui est important c’est la direction dans laquelle le législateur doit aller.

Donc cela dépendra du législateur?

Bien sûr. Il y a beaucoup de problèmes que nous seront amenés à résoudre par les lois. Mais il faudrait aussi que l’opinion et la société évoluent dans la bonne direction et il n’y a rien d’autre que la pratique pour faire évoluer une société. Chaque société a son rythme et nous ne pouvons pas lui imposer des règles qu’elle n’est pas prête à assimiler et intégrer dans sa vie au quotidien.

LIRE AUSSI: Interview de Mustapha Ben Jaâfar: Retour sur le processus constitutionnel, la transparence et les futures élections (Partie 2)


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