Née en Algérie dans un milieu populaire, puis émigrée en France avec sa famille, Malika Benarab-Attou est devenue députée européenne. A cheval entre l'Europe et le Maghreb, elle a créé le Groupe d'Amitié UE-Maghreb au Parlement européen. A 50 ans, elle se passionne pour les questions sociales et environnementale. En désaccord avec le parti français EELV, elle a fini par s'en détacher pour rejoindre le parti "Nouvelle Donne".
Malika Benarab-Attou a répondu sans tabous aux questions du HuffPost Maghreb. Constitution en Tunisie, présidentielle en Algérie, inégalités sociales au Maroc: On a fait le tour.
Jeudi, vous avez rencontré Mustapha Ben Jaâfar dans le cadre de l'Assemblée EuroMed du Parlement européen. Comment s’est passé la rencontre?
Monsieur Ben Jaâfar a développé son analyse de la Constitution et de la relation Tunisie-Union européenne. Nous l’avons tous félicité. La Constitution est pour moi un moment historique. Pour son contenu d abord, mais aussi au regard du processus: démocratique et pacifique, entre plusieurs factions a priori opposées.
Dans une interview au HuffPost Maghreb, Ben Jaâfar parle d’une Constitution "à la sauce tunisienne". Vous-même avez souligné "un travail intelligent et courageux"...
Oui. Parmi l'héritage de Bourguiba, il y a eu une politique éducative ambitieuse et forte, donc les nouvelles générations contribuent fortement aux processus. Grâce à ça, la société civile a joué un rôle, au-delà des élus.
"Moment historique", "travail intelligent"... Vous ne souhaiteriez donc rien modifier à cette Constitution?
Si, bien sûr! Une fois que j’ai salué tout le monde et que j’ai félicité, je redeviens critique. Qui aime bien châtie bien. Moi, je regrette que la pluralité de la Tunisie, qui est aussi celle du Maghreb, ne soit pas présente dans la Constitution. La force de la Tunisie est de prendre en compte tout son héritage.
Vous êtes née en Algérie...
Oui, et ma langue maternelle est le berbère.
Le terme "arabo-musulman" (Préambule, article. 39, ndlr) est, pour moi, une victoire des islamistes. La spécificité du Maghreb, c’est qu'il a cette empreinte berbère et multiculturelle. L'Islam qu'on trouve au Maghreb est humaniste, contrairement à celui des pays du Golfe. Il y a une bataille autour de cette vision de l'Islam. Je ne suis pas d'accord avec l'Islam fermé du wahhabisme.
Justement, Ennahdha parle aujourd'hui beaucoup du succès de l'Islam ouvert. Vous croyez en la conciliation entre Islam et démocratie?
Déjà, malgré ce que peut dire Ennahdha, ils n'ont pas gagné. Ne serait-ce que sur la question de la femme, où Ennahdha voulait la complémentarité. Non, c’est le peuple qui a gagné. Je crois en effet que l’Islam est compatible avec la démocratie, à condition que les islamistes négocient, comme ils l’ont fait à l’ANC, et non qu'ils disent détenir la vérité.
La bataille, maintenant, c’est l’application. L'autre bataille, c’est d’adapter les lois existantes. Ben Jaâfar nous a confirmé que c'était pour lui une priorité.
Vous vous intéressez particulièrement aux questions sociales...
La question des droits sociaux n’est pas suffisamment forte dans la Constitution. Je crois qu’il faudrait répondre aux aspirations des citoyens tunisiens. S’ils ont fait la révolution, c'est pour avoir une vie décente: logement, santé et revenu décents.
Sur l'appréciation de l'actualité tunisienne, on observe parfois un décalage entre la presse étrangère et la presse nationale. Le président Marzouki est plutôt bien vu à l'étranger, beaucoup moins en Tunisie.
Il a beaucoup perdu en popularité. Un président doit gagner la majorité de la population. Je crains que ce ne soit pas le cas. Je pense qu'une des erreurs qu'il a faite a été de recevoir les Ligues de protection de la révolution, alors que tout monde savait qu'il s'agissait de milices.
Changeons de sujet. Vous avez créé le groupe d'amitié UE-Maghreb. Vous poussez toujours vers une Union maghrébine. Qu’est-ce que l’Union pourrait apporter au Maghreb?
J'ai créé ce groupe pour soutenir l'intégration maghrébine, avec à la fois des parlementaires et la société civile. Nous avons lancé un appel.
Le projet de l'Union maghrébine était porté dès l’indépendance. C’est pour moi une faute politique des gouvernants de ne pas avoir agit en sa faveur. Tous les peuples le disent. Le coût du non-Maghreb, c’est au moins 2% de croissance de perdue.
Quant aux relations UE-Maghreb, j’espère que l'Europe n'imposera pas la politique libérale au niveau économique qui l'a entraînée dans le mur.
Justement, le Maroc a le statut le plus avancé avec l'Union européenne. C'est aussi le plus libéral économiquement.
Le président de la délégation Maghreb au Parlement européen Pier Antonio Panzeri a proposé qu'on offre également le statut avancé à la Tunisie. Je suis d’accord, à condition qu'on n'impose pas de vision libérale. La vie digne suppose qu'on ait les moyens de vivre, il ne faut pas être aveugle sur les questions sociales.
Certains disent que les réformes démocratiques de 2011 au Maroc n’ont pas été mises en œuvre...
Pour moi, le Maroc n'a pas été jusqu'au bout du chemin. Le Roi a été suffisamment intelligent, lorsque les mouvements ont commencé en 2011: au lieu de subir, il a préféré prendre le taureau par les cornes et lancer une réforme constitutionnelle. Mais la réforme n’a pas été jusqu’au bout. Le Roi a encore un pouvoir constitutionnel réel. On ne peut pas nier l'avancée, mais le pays reste au milieu du gué.
Les inégalités sociales au Maroc vous préoccupent-elles?
C'est assez choquant! Je suis allée dans un village au sud de Marrakech, la pauvreté est vraiment flagrante. Les femmes vont chercher l'eau à la source avec des bidons. A quelques pas, il y a les touristes et tout le fric de Marrakech. Le taux d'éducation des milieux populaires est très bas. L'inégalité des richesses, c'est vraiment un problème.
Vous vous êtes aussi dite déçue de l’Algérie.
Je suis surtout inquiète. On n’avait jamais vu ça. Je ne vois pas comment Bouteflika pourrait aller vers un quatrième mandat. L'Algérie pourrait être la locomotive de l'intégration maghrébine, mais il y a un mal-vivre alors que c'est le pays le plus riche du Maghreb. En tout cas, ( le Premier ministre Abdelmalek) Sellal, (le candidat Ali) Benflis, c’est les mêmes. Il y a des gens très bien en Algérie, ce n'est pas possible qu'on remette tout le temps les mêmes. L'Algérie n'est pas une démocratie. Il faut bien qu'ils acceptent une alternance!
C'est réaliste?
C'est une nécessité. Est-ce qu'on va y arriver? Je ne sais pas, il y a une dynamique possible. C'est très difficile à évaluer.
Je vais vous donner un exemple de la folie de la politique algérienne. Le pays a 200 milliards dans les caisses de la Réserve fédérale américaine. Bien sûr qu'il faut que l'Algérie s’assure que ce fond lui rapporte. Mais il y a d’autres moyens. Elle peut investir dans l’intégration maghrébine, ne serait-ce qu’avec le tiers.
Et comment se comporte l'Europe envers l'Algérie?
Quand on voit Barroso (président de la Commission européenne, ndlr) qui va en Algérie pour un accord énergétique favorisant l'UE, la voix de l'Europe en Algérie est vraiment trop faible.
Vous dites que pour vous, il n’y a pas eu de Printemps arabe. Vous mentionnez une "approche de com". Que voulez-vous dire par là?
La Tunisie est un cas spécifique. Le processus a vraiment été démocratique. Les autres pays, c’est plus compliqué. L'amalgame du Printemps arabe, ça fait juste bien dans les médias.
Vous êtes élue écologique au Parlement européen. Connaissez-vous les "boulevards de l’environnement" en Tunisie et les poubelles qui les jonchent?
(Rires) Non... C'est préoccupant. Mais c'est le gaz de schiste qui m'inquiète le plus. Les trois pays ont lancé des projets d’exploitation. L'exploitation suppose une masse d’eau très importante. Au Maghreb, il y a dans le Sahara la nappe phréatique de l'Albien, qui appartient à tous les gens du Sahara. Souiller cette nappe, c’est empêcher tous ces peuple d'utiliser ces eaux potables. L'eau devient un enjeu très important. J'en ai parlé à Sellal, il m'a répondu: "Bon, pas tout de suite…" De l'autre côté, les multinationales leur vendent des projets.
En Tunisie, il y a du progrès environnemental, notamment dans la Constitution.
L'environnement est-il vraiment une priorité pour des pays en difficulté économique?
Absolument. En ce moment, être moderne, c'est copier le mode de vie et de consommation notamment des Européens. C'est une erreur! Les peuples de la région du Maghreb ont un mode de vie traditionnellement écologique. Il suffirait donc de repartir sur les connaissances et le savoir-faire des peuples qui ont toujours protégé la région.
Malika Benarab-Attou a répondu sans tabous aux questions du HuffPost Maghreb. Constitution en Tunisie, présidentielle en Algérie, inégalités sociales au Maroc: On a fait le tour.
Jeudi, vous avez rencontré Mustapha Ben Jaâfar dans le cadre de l'Assemblée EuroMed du Parlement européen. Comment s’est passé la rencontre?
Monsieur Ben Jaâfar a développé son analyse de la Constitution et de la relation Tunisie-Union européenne. Nous l’avons tous félicité. La Constitution est pour moi un moment historique. Pour son contenu d abord, mais aussi au regard du processus: démocratique et pacifique, entre plusieurs factions a priori opposées.
Dans une interview au HuffPost Maghreb, Ben Jaâfar parle d’une Constitution "à la sauce tunisienne". Vous-même avez souligné "un travail intelligent et courageux"...
Oui. Parmi l'héritage de Bourguiba, il y a eu une politique éducative ambitieuse et forte, donc les nouvelles générations contribuent fortement aux processus. Grâce à ça, la société civile a joué un rôle, au-delà des élus.
"Moment historique", "travail intelligent"... Vous ne souhaiteriez donc rien modifier à cette Constitution?
Si, bien sûr! Une fois que j’ai salué tout le monde et que j’ai félicité, je redeviens critique. Qui aime bien châtie bien. Moi, je regrette que la pluralité de la Tunisie, qui est aussi celle du Maghreb, ne soit pas présente dans la Constitution. La force de la Tunisie est de prendre en compte tout son héritage.
Vous êtes née en Algérie...
Oui, et ma langue maternelle est le berbère.
Le terme "arabo-musulman" (Préambule, article. 39, ndlr) est, pour moi, une victoire des islamistes. La spécificité du Maghreb, c’est qu'il a cette empreinte berbère et multiculturelle. L'Islam qu'on trouve au Maghreb est humaniste, contrairement à celui des pays du Golfe. Il y a une bataille autour de cette vision de l'Islam. Je ne suis pas d'accord avec l'Islam fermé du wahhabisme.
Justement, Ennahdha parle aujourd'hui beaucoup du succès de l'Islam ouvert. Vous croyez en la conciliation entre Islam et démocratie?
Déjà, malgré ce que peut dire Ennahdha, ils n'ont pas gagné. Ne serait-ce que sur la question de la femme, où Ennahdha voulait la complémentarité. Non, c’est le peuple qui a gagné. Je crois en effet que l’Islam est compatible avec la démocratie, à condition que les islamistes négocient, comme ils l’ont fait à l’ANC, et non qu'ils disent détenir la vérité.
La bataille, maintenant, c’est l’application. L'autre bataille, c’est d’adapter les lois existantes. Ben Jaâfar nous a confirmé que c'était pour lui une priorité.
Vous vous intéressez particulièrement aux questions sociales...
La question des droits sociaux n’est pas suffisamment forte dans la Constitution. Je crois qu’il faudrait répondre aux aspirations des citoyens tunisiens. S’ils ont fait la révolution, c'est pour avoir une vie décente: logement, santé et revenu décents.
Sur l'appréciation de l'actualité tunisienne, on observe parfois un décalage entre la presse étrangère et la presse nationale. Le président Marzouki est plutôt bien vu à l'étranger, beaucoup moins en Tunisie.
Il a beaucoup perdu en popularité. Un président doit gagner la majorité de la population. Je crains que ce ne soit pas le cas. Je pense qu'une des erreurs qu'il a faite a été de recevoir les Ligues de protection de la révolution, alors que tout monde savait qu'il s'agissait de milices.
Changeons de sujet. Vous avez créé le groupe d'amitié UE-Maghreb. Vous poussez toujours vers une Union maghrébine. Qu’est-ce que l’Union pourrait apporter au Maghreb?
J'ai créé ce groupe pour soutenir l'intégration maghrébine, avec à la fois des parlementaires et la société civile. Nous avons lancé un appel.
Le projet de l'Union maghrébine était porté dès l’indépendance. C’est pour moi une faute politique des gouvernants de ne pas avoir agit en sa faveur. Tous les peuples le disent. Le coût du non-Maghreb, c’est au moins 2% de croissance de perdue.
Quant aux relations UE-Maghreb, j’espère que l'Europe n'imposera pas la politique libérale au niveau économique qui l'a entraînée dans le mur.
Justement, le Maroc a le statut le plus avancé avec l'Union européenne. C'est aussi le plus libéral économiquement.
Le président de la délégation Maghreb au Parlement européen Pier Antonio Panzeri a proposé qu'on offre également le statut avancé à la Tunisie. Je suis d’accord, à condition qu'on n'impose pas de vision libérale. La vie digne suppose qu'on ait les moyens de vivre, il ne faut pas être aveugle sur les questions sociales.
Certains disent que les réformes démocratiques de 2011 au Maroc n’ont pas été mises en œuvre...
Pour moi, le Maroc n'a pas été jusqu'au bout du chemin. Le Roi a été suffisamment intelligent, lorsque les mouvements ont commencé en 2011: au lieu de subir, il a préféré prendre le taureau par les cornes et lancer une réforme constitutionnelle. Mais la réforme n’a pas été jusqu’au bout. Le Roi a encore un pouvoir constitutionnel réel. On ne peut pas nier l'avancée, mais le pays reste au milieu du gué.
Les inégalités sociales au Maroc vous préoccupent-elles?
C'est assez choquant! Je suis allée dans un village au sud de Marrakech, la pauvreté est vraiment flagrante. Les femmes vont chercher l'eau à la source avec des bidons. A quelques pas, il y a les touristes et tout le fric de Marrakech. Le taux d'éducation des milieux populaires est très bas. L'inégalité des richesses, c'est vraiment un problème.
Vous vous êtes aussi dite déçue de l’Algérie.
Je suis surtout inquiète. On n’avait jamais vu ça. Je ne vois pas comment Bouteflika pourrait aller vers un quatrième mandat. L'Algérie pourrait être la locomotive de l'intégration maghrébine, mais il y a un mal-vivre alors que c'est le pays le plus riche du Maghreb. En tout cas, ( le Premier ministre Abdelmalek) Sellal, (le candidat Ali) Benflis, c’est les mêmes. Il y a des gens très bien en Algérie, ce n'est pas possible qu'on remette tout le temps les mêmes. L'Algérie n'est pas une démocratie. Il faut bien qu'ils acceptent une alternance!
C'est réaliste?
C'est une nécessité. Est-ce qu'on va y arriver? Je ne sais pas, il y a une dynamique possible. C'est très difficile à évaluer.
Je vais vous donner un exemple de la folie de la politique algérienne. Le pays a 200 milliards dans les caisses de la Réserve fédérale américaine. Bien sûr qu'il faut que l'Algérie s’assure que ce fond lui rapporte. Mais il y a d’autres moyens. Elle peut investir dans l’intégration maghrébine, ne serait-ce qu’avec le tiers.
Et comment se comporte l'Europe envers l'Algérie?
Quand on voit Barroso (président de la Commission européenne, ndlr) qui va en Algérie pour un accord énergétique favorisant l'UE, la voix de l'Europe en Algérie est vraiment trop faible.
Vous dites que pour vous, il n’y a pas eu de Printemps arabe. Vous mentionnez une "approche de com". Que voulez-vous dire par là?
La Tunisie est un cas spécifique. Le processus a vraiment été démocratique. Les autres pays, c’est plus compliqué. L'amalgame du Printemps arabe, ça fait juste bien dans les médias.
Vous êtes élue écologique au Parlement européen. Connaissez-vous les "boulevards de l’environnement" en Tunisie et les poubelles qui les jonchent?
(Rires) Non... C'est préoccupant. Mais c'est le gaz de schiste qui m'inquiète le plus. Les trois pays ont lancé des projets d’exploitation. L'exploitation suppose une masse d’eau très importante. Au Maghreb, il y a dans le Sahara la nappe phréatique de l'Albien, qui appartient à tous les gens du Sahara. Souiller cette nappe, c’est empêcher tous ces peuple d'utiliser ces eaux potables. L'eau devient un enjeu très important. J'en ai parlé à Sellal, il m'a répondu: "Bon, pas tout de suite…" De l'autre côté, les multinationales leur vendent des projets.
En Tunisie, il y a du progrès environnemental, notamment dans la Constitution.
L'environnement est-il vraiment une priorité pour des pays en difficulté économique?
Absolument. En ce moment, être moderne, c'est copier le mode de vie et de consommation notamment des Européens. C'est une erreur! Les peuples de la région du Maghreb ont un mode de vie traditionnellement écologique. Il suffirait donc de repartir sur les connaissances et le savoir-faire des peuples qui ont toujours protégé la région.
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