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Lecture critique de l'article 1: La laïcité

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Pour ceux qui ignorent la signification du terme "laïcité", rappelons-en la définition succinctement. Il s'agit en fait et principalement de la séparation de deux institutions, de deux principes directeurs régulant la vie sociale, politique, religieuse de l'individu, du citoyen. En d'autres termes, État et clergé doivent divorcer, se séparer et mener leur petit bonhomme de chemin chacun de leur côté, en solo.

En d'autres termes, les hommes de religion doivent s'abstenir de formuler la moindre critique ou la plus infime ingérence quant aux pratiques religieuses de l'individu. Ils doivent également éviter de s'immiscer dans ses croyances ou de tenter d'interférer dans ses convictions. Ils doivent, par ailleurs, s'abstenir de juger ou de condamner ceux qui affichent leur "athéisme", leur "apostasie", leur "agnosticisme". Parce que, somme toute, la foi est une affaire strictement personnelle qui concerne l'individu seul, même si le clergé, à un certain moment de l'histoire, avait joué un rôle de père fouettard, de directeur de conscience, de redresseur de torts.

Le clergé s'était particulièrement octroyé le droit, pour ne pas dire le devoir, de s'ingérer dans la liberté de conscience de ses ouailles (mot dont l'étymologie me semble d'une ironie mordante, quand on sait que ce terme vient du latin ovis signifiant "brebis" - Nul ne peut ignorer, je pense, qu'une brebis est la femelle adulte du "mouton" et que métaphoriquement celui-ci est assimilé à un être sans volonté, aboulique et indolent se contentant de suivre le mouvement, sans protester), et par-delà, s'était attribué le droit d'intervenir dans l'exercice du pouvoir politique.

C'est ainsi que certains prédicateurs avaient incité leurs semblables à accorder leur confiance à un gouvernement plutôt qu'à un autre, louant les actions de celui qui s'était donné les moyens d'instaurer une paix immuable, à ceux qui aimaient Dieu et qui croyaient en lui. Heureusement que la Révolution française advint en 1789 et avec la Déclaration universelle des droits de l'Homme et du citoyen abolit les droits féodaux, entraînant dans son sillage l'abolition des privilèges rattachés à la monarchie et ceux du corps ecclésiastique.

C'est d'ailleurs à partir de cette époque historique faste que le pouvoir de l'Église fut ébranlé (pour faire un raccourci rapide), en attendant que l'on sonne le glas définitivement de ses privilèges et de son influence sur la vie politique, publique et sociale des populations. Dorénavant, les hommes d'église sont cantonnés à leur principe initial, celui de répandre la joie de vivre, le bonheur, l'amour du prochain, sans chercher à exercer la moindre coercition sur l'individu devenu citoyen à part entière, et non plus sujet.

Notion du clergé inexistante

Par ce rappel historique succinct, et probablement incomplet, il s'agit d'évoquer les circonstances conjoncturelles qui avaient précédé l'émergence de la laïcité en France, pays culturellement proche de la Tunisie du fait du passé colonial nous unissant. Cependant, il convient de signaler que la réalité et le vécu des deux nations sont diamétralement opposées.

Dans nos contrées musulmanes sunnites, en effet, la notion même du clergé est inexistante. La relation de la créature avec son Créateur est perçue comme une relation individuelle rejetant tout intermédiaire, le Tout-Puissant n'ayant pas désigné de vicaire, tutélaire de la parole divine, sur terre. D'ailleurs, la prière, par exemple, est considérée comme un moment de méditation particulier où le croyant entre en communion parfaite et totale avec le Seigneur, et le rôle de l'imam est restreint uniquement à la direction de la prière et ne consiste certainement pas à intercéder auprès de Dieu en faveur de quiconque, la créature n'ayant pas besoin d'intercesseur auprès de son Créateur.

Pourtant, ceux qui prétendent veiller sur le respect des préceptes divins et leurs "apôtres" (tels Adel El Elmi et ses acolytes) ont l'outrecuidance de prendre la place de Dieu et d'endosser ses responsabilités en prétendant assumer le rôle de préserver l'islam, contre les "mécréants" et les "apostats". De ce fait, ils ont omis un élément très important: s'attribuer des qualités divines en s'octroyant le droit de juger de la profondeur de la foi d'un croyant, en le condamnant aux feux de l'enfer, leur confère un statut point du tout glorieux, puisqu'ils s'imaginent égaux de Dieu, péché rédhibitoire selon les textes sacrés et la religion dont ils prétendent respecter la lettre.

Dans ce cas de figure, justement, et pour éviter toute ingérence du politique dans le religieux, ne doit-on pas plutôt opter pour la laïcité pour s'assurer définitivement de "rendre à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu"?

L'ambigüité autorise toutes les dérives

Vœu pieux, il me semble, puisque l'article 1 de la Constitution de 1959 qui dit: "La Tunisie est un État libre indépendant et souverain: sa religion est l'islam, sa langue l'arabe, son régime la République" est repris en l'état, maintenu et confirmé. Lequel article, même si la charia n'est pas clairement mentionnée comme source principale de législation, autorise toutes les dérives et permet toutes les interprétations, aussi liberticides soient-elles. Le législateur peut en effet se réclamer de cet article pour récuser des droits que l'on croyait inaliénables!

D'ailleurs, l'encre de la nouvelle Constitution n'a pas encore séché, sa mise en application peine à devenir effective que déjà les élus nahdhaouis cherchent à mettre en avant ledit article pour appeler par exemple à l'annulation de l'article 103 relatif à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes (plus connue sous l'acronyme de CEDAW).

LIRE: Des députés Ennahdha veulent l'annulation du décret-loi 103


Il est fort probable, d'ailleurs, qu'ils ne s'arrêteront pas en si bon chemin. Même s'ils ont fini par céder le pouvoir à un gouvernement de technocrates, les élus de leur parti et leurs affidés remettront en cause toutes les lois qu'ils jugeront contraires aux dispositions de l'article 1.

D'abord, par le truchement de propositions de lois réactionnaires qu'ils soumettront à l'Assemblée constituante, à l'instar de celle se rapportant aux mosquées ou de celle des Awkaf.

LIRE: L'islamisation en marche


Ensuite en récusant certaines dispositions du CSP, comme le fait si bien leur principal affidé, j'ai nommé Adel El Elmi, qui ne cesse de clamer que la polygamie a été indûment abolie et il appelle à la rétablir, puisque selon lui la polygamie est permise aussi bien par le Coran que par la Sunna. Comme l'Islam est religion d'État, il pourrait obtenir gain de cause, surtout s'il réussit à convoquer le ban et l'arrière ban pour les appeler à défendre les préceptes religieux et à veiller à l'application des injonctions divines.

Quelle serait donc la première victime de cet éventuel revirement? La femme bien entendu, à laquelle on pourrait même dénier le droit de demander le divorce, pourtant institutionnalisé depuis 1956 par le CSP, lequel code stipule que les trois modes de dissolution du lien matrimonial sont ouverts aux deux époux, sans discrimination aucune. D'ailleurs, au moment de la promulgation de ce Code, ces dispositions n'avaient pas eu l'heur de plaire aux adeptes de la tradition patriarcale machiste qui préféraient que la répudiation demeure un privilège masculin exclusif.

En définitive, une Constitution aussi progressiste soit-elle ne peut jamais garantir le respect de lois démocratiques ni la démocratie. Parce que la Constitution de 1959 (si on en exclut quelques articles amendés par Bourguiba ou Ben Ali) était, somme toute, novatrice et garantissait des droits inaliénables. Ce qui compte réellement c'est son application effective dans la vie quotidienne de chaque citoyen tunisien. De plus, seule la laïcité garantirait la totale liberté de conscience et protègerait les citoyens contre l'ingérence du pouvoir politique dans leurs croyances.

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