Le 4 janvier 2014, plusieurs hauts responsables de la sécurité intérieure irakienne faisaient état de la prise de Fallouja - bastion insurgé situé à l'ouest de Bagdad dans la grande province sunnite d'Al-Anbar - par des combattants liés à l'État islamique d'Irak et du Levant (EIIL), émanation locale de l'organisation salafiste-jihadiste d'Al-Qaïda. Les affrontements violents qui ont pris place dans la ville en ce début d'année ne sont pas les premiers à frapper cet ancien fief de l'insurrection anti-américaine et font suite à une série d'incidents venus sanctionner un nouveau point d'orgue du conflit irakien. Ils témoignent surtout d'une logique toujours plus vive et meurtrière de communautarisation des lignes de faille en Irak et à l'échelle de toute la région, comme en témoigne la crise syrienne voisine et ses effets d'ores et déjà redoutables.
Cette "bataille de Fallouja" intervient tout d'abord à une date particulièrement symbolique, à savoir dix ans après les deux sièges militaires américains qui avaient dévasté la ville suite au rapt et à l'exécution par pendaison de quatre contractuels de la société Blackwater. En l'espace de quelques semaines, Fallouja était tombée une première fois aux mains de la mouvance jihadiste, alors conduite par le Jordanien Abou Mousab al-Zarqawi, "prince" d'Al-Qaïda en Irak et emblème de la résistance à l'occupation étrangère jusqu'à sa mort dans un raid en 2006. Au terme de longs et terribles combats, de loin les plus meurtriers de toute la phase d'occupation, l'armée américaine était finalement parvenue à restaurer un semblant d'ordre au mois de novembre 2004, abandonnant Fallouja derrière elle à un champ de ruines.
Réduits au rang de minorité, frappés par la "débaasification" - politique d'élimination systématique du régime baasiste en 2003 - et mis en marge au plan politique, les sunnites ont tiré du traumatisme de Fallouja un profond ressentiment tant à l'égard des États-Unis que des nouvelles autorités irakiennes chiites et kurdes. Ils ont boycotté les premières élections de janvier 2005, puis se sont tenus éloignés du processus de transition dans son ensemble. Même les tentatives de certains partis de revenir sur le devant de la scène, lors du second scrutin de décembre 2005 et des élections provinciales de 2009 par exemple, se sont soldées par des échecs cuisants. Alors que nombre de sunnites avaient misé sur les dernières élections de la période d'occupation en mars 2010 et la candidature du chiite laïc Iyad Allawi (bloc Iraqiyya) pour opérer un retour, le coup de force orchestré par Al-Maliki pour se maintenir au pouvoir a fait voler en éclats leurs espoirs.
Le virage autoritaire amorcé par le Premier ministre au cours des deux dernières années, et ayant pris la forme d'une concentration toujours plus grande du pouvoir, n'a fait qu'affermir ce constat amer et la perception généralisée parmi les sunnites d'un gouvernement chiite à la botte de l'Iran. En lieu et place d'un dialogue avec ses critiques et adversaires, Al-Maliki a choisi l'option du tout répressif, ignorant les demandes les plus légitimes exprimées par les manifestants (réintégration politique, fin des bavures sécuritaires) et reproduisant ironiquement certaines pratiques chères à l'ancien dictateur irakien Saddam Hussein. Al-Maliki s'est lancé dans une véritable campagne de diabolisation des sunnites, associés tous azimuts à la mouvance d'Al-Qaïda ainsi qu'à l'ancien parti Baas.
Illustration de cette dérive, Al-Maliki fait prononcer un mandat d'arrêt contre le vice-président sunnite Tarek al-Hachémi, figure clé de la mouvance irakienne des Frères musulmans, au lendemain même du retrait des dernières troupes américaines en décembre 2011. Accusé de liens avec le terrorisme et d'actes criminels contre les chiites, celui-ci est condamné à mort par contumace en septembre 2012. Deux mois plus tard, en décembre, c'est au tour du ministre des Finances Rafi al-Issawi, lui-aussi sunnite et membre de l'alliance Iraqiyya, d'être visé par le gouvernement à travers l'arrestation de plusieurs de ses gardes du corps et son placement en résidence surveillée. L'événement marque le point de départ du mouvement contestataire d'Al-Anbar, d'où est originaire Al-Issawi, mené par un ensemble de figures religieuses, laïques et tribales exigeant toutes la réhabilitation des sunnites et favorisant l'usage de moyens pacifiques pour ce faire. Mais c'est pourtant par la force que Bagdad répond aux manifestants, et non par une quelconque volonté d'apaisement et de dialogue national.
Le 23 avril 2013, sur fond de report du scrutin provincial dans les régions sunnites entrées en rébellion, le Premier ministre irakien lance une offensive contre le camp de Houweïja, situé à l'ouest de la ville pétrolifère de Kirkouk. L'assaut fait plusieurs dizaines de mort du côté des protestataires et engendre un nouveau cycle de tensions entre chiites et sunnites. D'autres actions du même type suivent et culminent le 30 décembre 2013 lorsque le gouvernement décide de démanteler le camp de Ramadi, installé un an auparavant sur la route reliant Al-Anbar à Bagdad. Dans la foulée, le député et cheikh sunnite Ahmed al-Alwani, connu pour son soutien aux opposants, est lui-aussi arrêté. L'ire des sunnites, radicalisés par des mois de combats avec les forces de sécurité, ainsi qu'une décennie de stigmatisation, atteint son comble, l'EIIL capitalisant sur ce pourrissement pour recruter de nouveaux membres, appeler à la sécession territoriale et se présenter comme seule alternative militaire et politique.
Or, au-delà de la confrontation historique qui les oppose actuellement à Bagdad et d'un indéniable élan de solidarité, les sunnites demeurent extrêmement divisés, tant sur un plan tactique qu'au niveau idéologique. Déchirés entre lutte armée et horizon d'une participation politique, repli religieux et attachement au sécularisme, urbanité et reviviscence des allégeances tribales, ces derniers sont incapables de parler d'une même voix. Certaines tribus et forces politiques ont d'ailleurs choisi de s'aligner sur ce qu'elles perçoivent comme le "moindre mal", à savoir l'offensive finale décidée par le gouvernement central contre Al-Qaïda. Al-Maliki a évidemment bien compris l'intérêt d'exploiter ces divisions pour briser la contestation sunnite et ainsi affaiblir les rangs de l'opposition. Il en va ici de sa survie politique de long terme, surtout à l'approche des élections législatives dont la tenue a été fixée au 30 avril 2014.
Cette "bataille de Fallouja" intervient tout d'abord à une date particulièrement symbolique, à savoir dix ans après les deux sièges militaires américains qui avaient dévasté la ville suite au rapt et à l'exécution par pendaison de quatre contractuels de la société Blackwater. En l'espace de quelques semaines, Fallouja était tombée une première fois aux mains de la mouvance jihadiste, alors conduite par le Jordanien Abou Mousab al-Zarqawi, "prince" d'Al-Qaïda en Irak et emblème de la résistance à l'occupation étrangère jusqu'à sa mort dans un raid en 2006. Au terme de longs et terribles combats, de loin les plus meurtriers de toute la phase d'occupation, l'armée américaine était finalement parvenue à restaurer un semblant d'ordre au mois de novembre 2004, abandonnant Fallouja derrière elle à un champ de ruines.
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Réduits au rang de minorité, frappés par la "débaasification" - politique d'élimination systématique du régime baasiste en 2003 - et mis en marge au plan politique, les sunnites ont tiré du traumatisme de Fallouja un profond ressentiment tant à l'égard des États-Unis que des nouvelles autorités irakiennes chiites et kurdes. Ils ont boycotté les premières élections de janvier 2005, puis se sont tenus éloignés du processus de transition dans son ensemble. Même les tentatives de certains partis de revenir sur le devant de la scène, lors du second scrutin de décembre 2005 et des élections provinciales de 2009 par exemple, se sont soldées par des échecs cuisants. Alors que nombre de sunnites avaient misé sur les dernières élections de la période d'occupation en mars 2010 et la candidature du chiite laïc Iyad Allawi (bloc Iraqiyya) pour opérer un retour, le coup de force orchestré par Al-Maliki pour se maintenir au pouvoir a fait voler en éclats leurs espoirs.
Le virage autoritaire amorcé par le Premier ministre au cours des deux dernières années, et ayant pris la forme d'une concentration toujours plus grande du pouvoir, n'a fait qu'affermir ce constat amer et la perception généralisée parmi les sunnites d'un gouvernement chiite à la botte de l'Iran. En lieu et place d'un dialogue avec ses critiques et adversaires, Al-Maliki a choisi l'option du tout répressif, ignorant les demandes les plus légitimes exprimées par les manifestants (réintégration politique, fin des bavures sécuritaires) et reproduisant ironiquement certaines pratiques chères à l'ancien dictateur irakien Saddam Hussein. Al-Maliki s'est lancé dans une véritable campagne de diabolisation des sunnites, associés tous azimuts à la mouvance d'Al-Qaïda ainsi qu'à l'ancien parti Baas.
Illustration de cette dérive, Al-Maliki fait prononcer un mandat d'arrêt contre le vice-président sunnite Tarek al-Hachémi, figure clé de la mouvance irakienne des Frères musulmans, au lendemain même du retrait des dernières troupes américaines en décembre 2011. Accusé de liens avec le terrorisme et d'actes criminels contre les chiites, celui-ci est condamné à mort par contumace en septembre 2012. Deux mois plus tard, en décembre, c'est au tour du ministre des Finances Rafi al-Issawi, lui-aussi sunnite et membre de l'alliance Iraqiyya, d'être visé par le gouvernement à travers l'arrestation de plusieurs de ses gardes du corps et son placement en résidence surveillée. L'événement marque le point de départ du mouvement contestataire d'Al-Anbar, d'où est originaire Al-Issawi, mené par un ensemble de figures religieuses, laïques et tribales exigeant toutes la réhabilitation des sunnites et favorisant l'usage de moyens pacifiques pour ce faire. Mais c'est pourtant par la force que Bagdad répond aux manifestants, et non par une quelconque volonté d'apaisement et de dialogue national.
Le 23 avril 2013, sur fond de report du scrutin provincial dans les régions sunnites entrées en rébellion, le Premier ministre irakien lance une offensive contre le camp de Houweïja, situé à l'ouest de la ville pétrolifère de Kirkouk. L'assaut fait plusieurs dizaines de mort du côté des protestataires et engendre un nouveau cycle de tensions entre chiites et sunnites. D'autres actions du même type suivent et culminent le 30 décembre 2013 lorsque le gouvernement décide de démanteler le camp de Ramadi, installé un an auparavant sur la route reliant Al-Anbar à Bagdad. Dans la foulée, le député et cheikh sunnite Ahmed al-Alwani, connu pour son soutien aux opposants, est lui-aussi arrêté. L'ire des sunnites, radicalisés par des mois de combats avec les forces de sécurité, ainsi qu'une décennie de stigmatisation, atteint son comble, l'EIIL capitalisant sur ce pourrissement pour recruter de nouveaux membres, appeler à la sécession territoriale et se présenter comme seule alternative militaire et politique.
Or, au-delà de la confrontation historique qui les oppose actuellement à Bagdad et d'un indéniable élan de solidarité, les sunnites demeurent extrêmement divisés, tant sur un plan tactique qu'au niveau idéologique. Déchirés entre lutte armée et horizon d'une participation politique, repli religieux et attachement au sécularisme, urbanité et reviviscence des allégeances tribales, ces derniers sont incapables de parler d'une même voix. Certaines tribus et forces politiques ont d'ailleurs choisi de s'aligner sur ce qu'elles perçoivent comme le "moindre mal", à savoir l'offensive finale décidée par le gouvernement central contre Al-Qaïda. Al-Maliki a évidemment bien compris l'intérêt d'exploiter ces divisions pour briser la contestation sunnite et ainsi affaiblir les rangs de l'opposition. Il en va ici de sa survie politique de long terme, surtout à l'approche des élections législatives dont la tenue a été fixée au 30 avril 2014.