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La Constitution n'est qu'une première étape

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Après plusieurs mois d'impasse, les députés réunis au sein de l'ANC sont revenus à la table des négociations afin de finaliser la rédaction de la nouvelle Constitution. Les rancunes politiques ont marqué le processus de rédaction dès son début en 2011. Des divisions idéologiques et culturelles se sont exacerbées au sein d'un paysage politique en plein évolution, illustrant les principales lignes de fracture qui ont ralenti le processus en retardant l'achèvement du texte.

Dans ce contexte, la reprise du travail le 2 janvier semblait remettre la transition sur les bons rails. La communauté internationale n'a pas cessé de féliciter l'opposition politique, étant entendue sur un certain nombre de points litigieux, notamment ceux concernant la religion. Le Monde a déclaré que le gouvernement a finalement "tourné son dos à la charia" et Libération a félicité l'ANC d'avoir, selon le journal, avancé dans la garantie de l'égalité des sexes. La plupart des amendements visant à donner un ton plus religieux à certains articles ont été rejetés, traduisant ce qui pourrait être l'acquiescement de Ennahdha ou la capacité de l'opposition à s'unir en ce moment critique du processus transitionnel.

Pourtant, bien que dépecé de son langage provocateur, le texte reste ponctué d'ambiguïtés. Cette polarisation constante invite à tempérer nos attentes concernant le potentiel transformatif de la version finale de la Constitution.

Si la constitution elle-même serait un baromètre de polarisation idéologique, on pourrait constater que le paysage politique tunisien est en train de se stabiliser, et que Ennahdha et des partis "laïcs" ont trouvé le consensus espéré au début du processus. Mais le texte ne nous révèle qu'une partie de l'histoire.

Les interactions personnelles au sein de l'Assemblée se révèlent être beaucoup plus hostiles et complexes que les votes actuels ne l'indiquent. L'intervention virulente du Nahdhaoui Habib Ellouze le 5 janvier, lorsqu'il a accusé le député de gauche Mongi Rahoui d'être un "ennemi de l'Islam," montre que le débat autour de la religion est aussi personnel qu'il est légal ou politique. Rahoui a réagi en défendant son héritage musulman, confirmant que l'exclusion de la charia du nouveau texte ne se traduit pas par à un consensus entre partis discordants.

LIRE AUSSI: La polémique entre Mongi Rahoui et Habib Ellouze


Il n'est pas étonnant que cet incident ait suscité des craintes, faisant écho à la rhétorique qui a précédé les assassinats de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi. Le ministère de l'Interieur a augmenté les mesures de sécurité dans une atmosphère de suspicion. Il a même averti Rahoui et sa famille des risques de violence envers eux.

Ce conflit révèle la crise de confiance qui continue à caractériser l'arène politique et qui pourrait déstabiliser les prochaines étapes de la transition.

Si les échanges au sein de l'Assemblée n'illustrent pas suffisamment la précarité du processus, les amendements proposés offrent une preuve écrite des ruptures au sein de l'ANC autour du rôle de l'Islam dans la Constitution. Même si Ennahdha s'est présenté comme modéré pendant la campagne électorale en 2011, rassurant l'électorat sur le fait que le parti ne souhaitait pas inclure la charia dans la constitution, le terme est apparu dans un document de travail que le parti a publié en janvier 2012, une décision que la députée Latifa Habachi a qualifié de "malheureuse et loin de l'esprit général du parti Ennahdha" dans un entretien.

Face à la colère publique et à la pression internationale, Rached Ghannouchi a officiellement renoncé à inscrire la charia dans la constitution, une décision révélatrice des divisions internes du parti. En ce moment, l'enjeu religieux semblait écarté du débat politique, mais sa réapparition récente, reflétée dans un amendement - rejeté, même par certains députés nahdaouis - proposant d'établir le Coran et la Sunna comme sources principales de la législation, montre le consensus fragile sur lequel la transition tunisienne repose. Ces débats nous donnent un aperçu d'un paysage politique dynamique, trop souvent décrit comme fixe et homogène, et doivent nous encourager à éviter toute généralisation sur les implications de chaque débat.

En donnant une image optimiste des débats actuels, certains journaux donnent l'impression que le texte final sera bien laïc et démocratique, supposant qu'un vote contre la charia serait synonyme d'une Constitution sans trace d'influence religieuse. Mais l'ajout de l'Article 38, relatif à l'enseignement public, a assombri ce ton prometteur. En garantissant ce droit, l'article souligne que l'état doit agir pour "l'enracinement de son identité arabo-musulmane ainsi que l'ancrage et le soutien de la langue arabe et la généralisation de son utilisation," une clause que le juriste Yadh Ben Achour qualifie d'"obscurantiste et conservatrice" et de "principe omnidirectionnel qui bafoue des principes comme le modernisme," posant un "danger pour l'éducation, la culture et la scolarité pour les générations futures."

LIRE AUSSI: L'article 38, une grave régression, par Faouzia Charfi


Ces conclusions hâtives sont aussi évidentes dans la réaction médiatique à l'ajout de l'article 20, consacrant le fait que les "citoyens et citoyennes sont égaux en droits et devoirs." Libération a félicité le vote, le qualifiant de "fruit du compromis" entre Ennahdha et l'opposition. France24 a également affirmé que l'égalité des sexes aurait été inscrite dans la Constitution, à défaut de reconnaitre qu'une référence aux citoyens et citoyennes est loin d'une affirmation positive des droits des femmes (selon l'argumentation de plusieurs organisations des droits de l'homme suite au vote). Un blocage autour de l'Article 45, qui aborde directement le sujet des femmes, nous indique que l'ajout de l'Article 20 n'est pas synonyme d'une volonté générale d'améliorer la situation des femmes en Tunisie.

LIRE AUSSI: Article 45, l'amendement en faveur des droits des femmes adopté


Les reportages - surtout ceux des médias français - sur les débats actuels s'inscrivent dans la tendance consistant à rapprocher chaque avancée sur la Constitution à la transition politique en général.

L'importance réelle de la nouvelle Constitution ne doit pas nous rendre trop optimiste sur la réalité de la transition depuis 2011. Car même si l'ANC réussit à rédiger une Constitution démocratique, compatible avec les normes internationales des droits de l'homme, ceux qui s'intéressent à la transition doivent reconnaître les grands défis de l'avenir. L'égalité des sexes dans la Constitution ne dépassera pas les réserves de la Tunisie sur la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discriminations à l'égard des femmes (CEDAW), toujours persistantes, pas plus qu'une liberté d'expression garantie dans la constitution ne contrebalancera pas une justice qui n'est pas réformée.

La transition est bien sur les rails et on ne doit pas minorer l'importance des débats actuels, mais la rédaction de la Constitution ne reste qu'une première étape depuis la fin du régime autoritaire.

LIRE AUSSI: Pas si "unique", la Constitution


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