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Aux origines d'Ebola, il y avait une forêt: Comment un journaliste américain a retracé les origines du virus

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"L'épidémie n'est toujours pas sous contrôle", a indiqué mardi 02 décembre la Banque mondiale, estimant que la crise Ebola va faire plonger en récession la Sierra Leone et la Guinée en 2015. L'épidémie d'Ebola qui se propage en Afrique de l'Ouest depuis août est loin d'être terminée. Elle a fait près de 6000 morts.

Tout commence dans une forêt. Dans les années 80, un Français, Charles Monet, vit dans une petite habitation entre une usine de sucre et une forêt dans l'Ouest du Kenya, au pied du mont Elgon. Pour les fêtes de fin d'année, il part camper accompagné d'une femme d'un village voisin sur les flancs de cette montagne, la plus large d'Afrique. Cet homme solitaire n'est jamais aussi heureux qu'au milieu de la nature. Cette fois-ci, il tient à montrer à sa compagne la grotte du Kitum.

Dans cette immense grotte creusée dans le mont Elgon, les éléphants viennent gratter les parois de leurs défenses à la recherche de minéraux à se mettre sous la dent. Au plafond, une colonie de chauves-souris de plusieurs centaines d'individus pendent. Tout au fond, la grotte laisse entrevoir son trésor, une forêt primaire pétrifiée par une ancienne éruption de l'ancien volcan Elgon. Que s'est-il passé dans cette grotte? Le Français s'est-il coupé en caressant des arbres fossilisés? A-t-il touché des fientes de chauves-souris contaminées? Le couple s'est-il déshabillé pour faire l'amour, exposant leur peau à un organisme dont ils n'avaient senti la présence?

kitum
L'une des entrées de la grotte du Kitum

Difficile de répondre à cette question. Malgré son enquête soignée, le journaliste américain Richard Preston n'a toujours pas trouvé la réponse. Charles Monet est mort avant d'avoir pu témoigner. Sa compagne est elle aussi morte, certainement des mêmes maux. Cela commence par un mal de tête lancinant, quelques jours après cette escapade. Une forte fièvre puis des vomissements violents. Le visage se pare d'un masque inexpressif, les yeux s'injectent de sang. Charles Monet a bien tenté de se rendre dans un hôpital local. Les médecins ont bien essayé de le soigner par des antibiotiques pensant avoir affaire à une infection bactérienne. En vain. Son transfert est finalement envisagé vers la capitale Nairobi.

"Nous sommes encore très, très loin de la fin de cette crise"

Dans le petit avion de trente-cinq places, le mal empire. Charles Monet vomit désormais une substance noire. Son ventre est pourtant vide depuis bien longtemps. Son nez saigne aussi. Finalement quand l'avion atterrit, encore capable de marcher, il se rend à l'hôpital le plus proche puis s'évanouit dans une mare de sang au milieu de la salle d'attente. Il mourra au petit matin sans que l'équipe médicale n'ait pu faire quoique ce soit. Charles Monet n'avait pas contracté Ebola, mais le virus Marburg, son très proche cousin. C'est sur ce récit qu'a choisi Richard Preston pour ouvrir son effrayant récit sur les origines d'Ebola publié pour la première fois en France le 20 novembre dernier. Cette grotte fascinante rythme son récit, comme la clé d'un mystère qu'il n'est pas encore parvenu à résoudre. Après Charles Monet, un petit garçon sera lui aussi infecté vraisemblablement dans cette grotte, une équipe de scientifiques passera la zone au peigne fin, Richard Preston lui-même s'y rendra pour conclure son livre.

mount elgon kenya


Ebola, sa majuscule, son nom exotique, son pouvoir évocateur. Un virus lointain qui décime des populations tout aussi éloignées. À tort, on pourrait croire que l'épidémie s'est calmée. La République démocratique du Congo a d'ailleurs annoncé le 21 novembre dernier la fin de l'épidémie sur son territoire. Pourtant, "nous sommes encore très, très loin de la fin de cette crise" comme l'a rappelé le même jour le chef de la Mission des Nations Unies pour la lutte contre Ebola.

Ce livre dont la première publication en version originale date de 1994 est ressorti aussi aux États-Unis alors que l'attention médiatique autour d'Ebola commençait à retomber. Couverture sombre, un long virus Ebola noir se tord un fond rouge sang. La quatrième de couverture promet des frissons, citant Stephen King, "l'un des livres les plus terrifiants que j'ai jamais lus". Venant de l'homme qui a écrit "Shinning" et "Ça", on ne peut qu'être hésitant à entamer la lecture.

Portrait d'un prédateur

Il faut dire que Richard Preston lorsqu'il dresse le portrait d'Ebola n'omet aucun détail. Tout au long de ces 300 pages, il a rencontré et fait parler les témoins qui ont suivi les différentes épidémies d'Ebola pour collecter toutes les informations possible sur leur histoire, leur habitudes jusqu'au nom de leur chien. Une foule de détails sur le quotidien des médecins, victimes et scientifiques qui pourraient distraire le lecteur de l'horreur de la fièvre hémorragique, il n'en est rien. Les scènes de vie quotidienne parviennent à ménager un suspense continu. Restent des descriptions parfois à la limite du supportable. Comme le rappelle Sandrine Cabut dans Le Monde, Richard Preston lui-même a d’ailleurs récemment reconnu qu’évoquer les "larmes de sang" de certains malades était sans doute "inapproprié". Une épidémiologiste américaine a en octobre dernier, voyant les ventes de ce livre s'affoler, pris la parole pour dénoncer l'exagération des symptômes que décrit Richard Preston. Tous les malades ne se vident pas de leur sang, comme il semble le suggérer.

Malgré ces excès, Richard Preston signe un "thriller scientifique" passionnant. Ebola y est densément personnifié. Richard Preston décrypte méticuleusement sa composition, ses "méthodes" pour se développer, son efficacité implacable, le virus est décrit comme un prédateur, "un fléau éradicateur d'hommes", un "requin moléculaire" selon les termes du Smithsonian, l'équivalent du CNRS américain dans sa critique du livre. Le virus "massacre" les malades, il s'attaque à des familles, il "s'insinue" partout.

Une personnification d'autant plus frappante et inquiétante quand le virus fait une percée sur le territoire américain. Dans un entrepôt de la banlieue de Washington en 1989, raconte Richard Preston, comment des singes en provenance des Philippines tombent malades et meurent les uns après les autres. "La communauté scientifique s'était convaincue qu'Ebola n'était pas une grande menace pour le monde. Cette hypothèse était fausse", avance Richard Preston dans son avant-propos écrit en 2014. L'opération militaire de décontamination de ce gigantesque entrepôt dans les années 90 fait froid dans le dos.

Un virus qui va et vient

Des scientifiques et des médecins sont en prise avec un organisme, Ebola dont ils ne comprennent pas le fonctionnement et qui les fascinent. Ce virus est rangé en classe 4, réservé aux virus les plus dangereux pour le genre humain. Le choix du titre original, "The Hot Zone", n'est pas anodin. La "zone chaude" en français est une expression qui vient du jargon militaire, décrit un espace qui contient des organismes pathogènes potentiellement mortels. C'est la chambre d'un malade, le laboratoire dans lequel est contenu un tube à essai de sérum humain contaminé, la cage d'un singe qui a récemment succombé. Le médecin et les infirmières de Charles Monet en ont fait les frais, tous sont morts après s'être occupé du français mourant.

Seule vraie faiblesse de ce récit haletant, la fin. Non pas la fin du livre, mais le retrait d'Ebola. Richard Preston raconte plusieurs percées du virus chez les hommes. Le virus vient d'une forêt "dense et humide", écrit-il. À chaque épidémie passée, "le virus est reparti dans la forêt" explique-t-il encore. Comment? Pourquoi? Sur ce point l'auteur reste silencieux. Un cadavre de singe ou une morsure de chauve-souris ont certainement permis à ce virus de contaminer un homme sur les rives de la rivière Ebola en 1976. Ce qui semble le faire reculer? La faiblesse de son hôte, l'Homme, très facile à contaminer mais qui succombe bien trop rapidement aux dégâts d'Ebola. La chauve-souris ou un insecte semblent bien plus fiables pour que survive le virus.

Parce que Ebola fascine, difficile de fermer ce livre. Surtout quand le journaliste montre qu'il emprunte les mêmes voies qu'un virus lui aussi issu de la forêt de la même région, le Sida. "Il existe un parallèle entre les deux épidémies, souligne Martine Peeters virologue à l’unité multidisciplinaire UMI 233 de l’Institut de recherche pour le développement (Montpellier) et cosignataire d'un article scientifique sur les origines du Sida, mais personne ne s’attendait à ce que le virus Ebola sorte et se transmette aussi vite, beaucoup plus vite que le VIH. Il faut dire que les voies de transmission ne sont pas les mêmes, celle-ci étant plus facile pour Ebola, et que l’incubation est nettement plus courte que pour le VIH". En attendant, Richard Preston continue à travailler sur le sujet. En août 2014, le journaliste a publié une longue enquête sur les recherches génétiques sur Ebola, parmi les résultats de ces études sur les mutations du virus, se trouve peut-être la meilleure arme pour stopper l'épidémie.

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