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Interview d'Amina Sboui: "Je veux m'engager pour toutes ces femmes qui sont marginalisées en Tunisie"

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Après une partie de l’été 2013 passée en prison, entre autres pour avoir tagué un mur du cimetière historique de Kairouan, la jeune Tunisienne Amina Sboui a finalement été libérée. Depuis, elle a rompu avec les Femen, mouvement dont elle avait soutenue la cause en posant seins nus à deux reprises.

LIRE AUSSI: Amina Sboui quitte les FEMEN: "Je ne veux pas que mon nom soit associé à une organisation islamophobe"



La jeune fille est partie terminer ses études à Paris où elle a également écrit un livre qui sort en février prochain. Elle a expliqué au HuffPost Maghreb vouloir y rétablir la vérité sur son engagement féministe et vouloir désormais s’engager pour les femmes tunisiennes.

HuffPost Maghreb: Vous êtes à Paris pour passer votre bac, pourquoi avoir choisi la France?

Amina Sboui: Au début c’était plus un problème dû à mes études car aucun lycée à Tunis ne voulait me prendre après avoir appris que j’étais en prison donc quand on m’a offert l’opportunité d’aller à Paris, je l’ai saisie. Tout s’est fait pendant que j’étais en prison, assez rapidement. C’était important pour moi de continuer mes études et d’avoir mon baccalauréat. Ce qui m’a dérangé c’est que tout s’est déroulé trop vite. Je suis passée de la prison à l’ambassade de France et j’ai atterri à Paris.

Vous avez également écrit un livre qui va être publié dans une maison d’édition française, fin février, quel est l’objet de ce livre?

Je voulais un peu rétablir la vérité sur ce que je suis car dans la presse tunisienne, je passe pour une folle et dans la presse étrangère, pour une héroïne. Je ne suis ni l’une ni l’autre.

Je voulais raconter mon enfance, qui a été déterminante pour m’affirmer en tant que féministe, et le passage en prison, qui a été très marquant. Donc j’ai écris le livre avec l’aide d’une journaliste française, Caroline Glorion, parce qu'en français je dis beaucoup "meuf", "ouais", etc…donc voilà (rires), il fallait que ce soit un peu revu et corrigé.

Vous vous êtes réellement livrée dans ce livre? Etes-vous revenue sur les Femen et votre rupture avec le mouvement?

Je me suis surtout confiée sur le plan personnel car je n’ai jamais vraiment parlé aux journalistes des rapports que j’ai pu avoir avec ma mère, beaucoup de choses ont été déformées sur ce sujet. Sur les Femen, oui j’en ai parlé surtout afin d’écarter toutes les fausses informations. Après, les Femen c’est fini, je l’ai déjà dit et je persiste. J’ai soutenu leur action à un certain moment mais maintenant, je ne suis plus avec elles. On reste des amies, ce n’est pas grave, mais je ne suis plus d’accord sur leur mode d’action.

Avez-vous peur de la réception du livre en Tunisie, tout comme votre action qui n’avait pas été toujours bien perçue au sein de la société?

Ah oui ça, c’est sûr que j’ai la trouille (rires), je crois que je vais m’exiler sur la lune le jour où le livre paraîtra! Après, une de mes conditions quand j’ai commencé l’écriture du livre, c’était d’éviter de déprimer les gens, donc le livre est aussi à mon image, avec beaucoup d’humour et de dérision. Je sais que beaucoup de gens n’approuvaient pas que je sois avec les Femen. Mais qu’est-ce que vous voulez que je vous dise? Quand je me suis ralliée à elles, scandale à Tunis, quand j’ai rompu avec elles, scandale à Paris, on ne peut pas faire plaisir à tout le monde (rires)! Par contre je pense qu’aujourd’hui, certains Tunisiens voient mieux quelle personne je suis et ont compris pourquoi je me suis désolidarisée du mouvement.

Etes-vous retournée à Tunis depuis votre arrivée à Paris? Comment cela se passe lorsque les gens vous rencontrent dans la rue?

Oui je suis allée à Tunis en octobre dernier. Quand les gens me reconnaissent, on va dire qu’au pire, je me prends une insulte du genre "montre-nous tes seins Amina" et je les envoie balader, au mieux, ils viennent me voir car ils me soutiennent. Mais je n’ai pas de problèmes, et si quelqu’un vient m’embêter, c’est à ses risques et périls (rires).

Par contre ce qui est fatiguant c’est que sur Facebook, certaines personnes me prennent pour la Présidente de la république tunisienne et pensent que je vais régler tous leurs problèmes. J’ai dix neuf ans, je ne peux pas m’occuper de tout le monde, je n’ai pas les moyens de prendre un billet d’avion dès qu’il y a un problème.

Vous parlez beaucoup de votre séjour en prison désormais. Dans le cas du procès au tribunal de M’saken, vous aviez été mise en cause pour avoir insulté un agent alors que vous tentiez de défendre une détenue qui se faisait frapper. Qu’avez-vous ressenti quand vous avez été poursuivie en justice?

En fait ce qui m’a frappée, c’est que sous Ben Ali, je m’étais fait un peu molester par les flics mais je pensais que la torture et les maltraitances s’arrêtaient après le passage au commissariat. Et en fait non, cela continue en prison comme dans le cas de la jeune fille que j’ai défendue.

L’histoire de l’agression de Rabâa, enceinte de cinq mois et qui a perdu son enfant après s’être fait agresser, c’était très dur et ne serait-ce que pour cette histoire, il faut dénoncer cette maltraitance.

Quels autres souvenirs gardez-vous de la prison? Êtes-vous restée en contact avec ces femmes?

En fait, c’est une histoire un peu drôle et tragique à la fois. Le jour où je suis sortie, la plupart des amies que je m’étais faite m’ont glissé dans le décolleté des papiers avec leur email ou un petit mot même si ça ne sert pas à grand-chose car il n’y a pas de portables ou d’internet. Mais avant de sortir, on m’a fouillée donc quand j’ai enlevé mon t-shirt, tout un répertoire en est tombé (rires). Donc je me souviens d’elles et d’un numéro, celui de la mère de Rabâa avec qui je suis restée en contact.

Après, j’ai pleins d’autres souvenirs, comme le jour où je me suis retrouvée dans la même cellule avec une femme qui avait tué son frère, c’était quand j’étais en garde à vue. J’étais terrifiée, je suis restée tremblotante dans la partie toilettes de la cellule, pendant toute la nuit. Mais après j’ai parlé avec elle et je me suis rendue compte qu’il y a aussi un être humain derrière. Même si c’est difficile de sympathiser.

L’un des souvenirs les plus marquants, c’est quand je suis revenue du procès de M’saken à la prison. Il faisait chaud dans le fourgon, nous n’avions pas de ventilateur et c’était en plein ramadan. Là j’arrive, je me fais bien sûr embêter par le chef de cellule qui se moque de moi en me disant "alors comme ça tu dis qu’on te maltraite en prison, eh bien tu vas y rester pour longtemps." Du coup le soir, le personnel de la prison nous apporte une soupe dégoûtante pour rompre le jeûne, et moi je dis aux filles "surtout ne mangez pas ça." Je crois que la journée avait été tellement dure pour tout le monde, qu’elles m’ont écouté et comme ça, une grève de la faim collective a été improvisée. Du coup le lendemain, le même directeur m’a fait venir et m’a dit: "Maintenant tu organises des grèves de la faim? Tu vas voir, c’est moi qui vais te sortir pour que tu ne remettes plus les pieds ici." (rires)

Vous avez dit que vous parliez aussi de votre enfance dans votre livre, pourquoi cela vous semblait-il important?

Je voulais montrer aux gens que le féminisme, ce n’était pas une révélation avec les Femen. Moi j’étais féministe depuis toute petite. Vous pouvez demander à mon père, j’ai toujours été rebelle. Sans connaître le sens du mot "féministe", je réalisais les injustices dont était victime la femme, dans la rue, dans la vie quotidienne. J’ai perçu dès mon plus jeune âge, un mépris pour la femme.

Si vous aviez à définir le féminisme, c’est quoi pour vous?

Je pense que chaque femme a une part de "féminisme", même sans le réaliser ou sans connaître le sens du mot. En fait, le féminisme pour moi commence quand on prend conscience que l’on est méprisée en tant que femme et que ce n’est pas normal. Et puis "être féministe", c’est lutter contre cela, ne pas seulement en prendre conscience.

L’exemple de ma grande sœur et de la relation que j’ai avec elle est intéressant pour définir le féminisme. Ma sœur réalise ce qu’est le sexisme, elle me le dit mais elle ne lutte pas contre. Ma sœur est féministe parce qu’elle perçoit que ce n’est pas normal qu’un mec couche avec pleins de filles mais que sa copine soit obligée de rester vierge jusqu’au mariage, sinon il la largue. Mais la différence entre ma sœur et moi, c’est qu’elle, elle me dit "oui malheureusement, la société est comme ça, on doit faire gaffe en tant que femmes" alors que moi, je refuse net.

Malgré la pression des mœurs et de la société que vous dénoncez, vous ne regrettez toujours pas votre action seins nus?

Non, au contraire. Vous savez, le gouvernement m’a même proposée une protection policière à un moment mais moi j’ai répondu "non y’a pas moyen que je travaille avec les flics". Finalement la Tunisie, c’est peut-être le seul pays arabe où une femme peut faire ce que j’ai fait, et survivre après. Evidemment, j’ai mes limites aussi, je ne vais pas aller me balader seins nus dans les quartiers populaires (rires).

Est-ce que vous vous sentez proche des organisations féministes en Tunisie comme les femmes démocrates?

En fait je connaissais certaines d’entre elles depuis 2009, comme Ahlem Bel Haj. Elles ont toujours été bien avec moi et on a beaucoup discuté après mon action. C’est vrai qu’il y a eu un conflit de générations. Mais ce qu’elles ont fait à une époque, était aussi assez choquant et dix ans plus tard, ça avance. Moi aussi, je pense que dans dix ans mon action sera considérée moins choquante qu’aujourd’hui. Au début j’étais une "pute" pour certains et maintenant, même si la société n’accepte toujours pas, la réaction des gens est plus posée, plus portée vers la discussion.

Par exemple, ma deuxième photo seins nus que j’ai faite à ma sortie de prison, c’était aussi pour faire passer un message. Les gens viennent au Bardo en mode "c’est cool, etc…on est de l’opposition, on est contre les islamistes" et après il y a les partis de gauche qui organisent une prière dans la rue devant l’Assemblée nationale. Alors ça veut dire quoi ça? Pour moi, ça ne veut pas dire que les gens veulent un pays laïc. Mon message, c’était contre cette hypocrisie générale.

Mais est-ce qu’aujourd’hui vous êtes toujours convaincue que votre corps est votre meilleur moyen de lutter dans une société où l’exposition de la nudité reste taboue?

L’idée c’était de faire passer un message et de toucher un maximum de personnes. Je voulais faire quelque chose qui reste gravée dans les mémoires. J’étais sûre que tout le monde en entendrait parler en Tunisie, justement parce que ça choque. Et même si les gens ne comprennent pas, ils en parlent et à la fin, ça brise le tabou. Le problème c’est que c’est difficile de se battre pour une cause en Tunisie.

Pour lutter, il y a plusieurs méthodes: vous pouvez utiliser des tracts, et en Tunisie, les tracts, on en fait des éventails parce qu’il fait chaud ou on les jette par terre. Je ne plaisante qu’à moitié. Ou alors vous pouvez faire un rassemblement et prendre la parole en public. Et dans les quartiers où les gens sont illettrés ou peu politisés, ça ne sert à rien ou alors ça donne un effet inverse, ils se font manipuler. Après, qu’est-ce qu’il reste comme moyen de lutte? Payer les gens pour qu’ils aillent grossir des manifestations? Je ne suis pas sûre que ça change les mentalités non plus. Ou alors, il faut écrire un livre, et je ne pense pas qu’actuellement, un Tunisien ait les moyens de s’acheter un livre. Quand il a de l’argent, surtout maintenant, où les gens ont presque plus rien, un jeune Tunisien s’achète des cigarettes ou de la bière et dans le cas des filles, un parfum (rires), ou alors les jeunes couples vont au cinéma pour avoir un minimum d’intimité à bas prix.

Pourquoi avoir écrit un livre alors si vous pensez qu’il ne va pas être lu?

Je pense que les Tunisiens vont lire mon livre déjà un peu par "tnessniss" (curiosité mal placée). Certains vont se dire que je vais révéler des choses sur ma vie sexuelle ou autre. (rires) Enfin j’espère que quelque soit leurs raisons, ils le liront et qu’ils seront agréablement surpris et puis j’aimerais qu’il soit traduit en "derja" (dialecte tunisien) comme ça, d’avantage de gens pourront le lire.

Qu’avez-vous contre les régimes islamistes? Est-ce que pour vous, être féministe veut forcément dire être contre les islamistes?

En fait lutter contre l’islamisme, c’est-à-dire un régime politique islamiste, et lutter pour la cause des femmes, c’est vraiment lié pour moi. Quand j’ai vécu en Arabie Saoudite avec mes parents, j’avais 8 ans, j’étais dans un hôtel cinq étoiles et même si je n’étais qu’une gamine, je n’avais pas le droit de me baigner dans la piscine de l’hôtel. J’ai passé deux ou trois ans là-bas et c’est évident que le régime islamiste impose une discrimination envers la femme. Je ne pouvais rien faire alors que je n’étais même pas pubère. J’étais déjà en galère si je montrais un bout de pied nu alors imaginez à vingt ans.

Votre séjour là-bas a-t-il pu déterminer en partie votre engagement féministe?

Oui, même si je ne m’en suis pas rendue compte sur le coup. Mais je ne supportais pas de devoir rester dans la voiture tout le temps, de ne jamais pouvoir aller au café avec mon père boire un "gazouze" (soda) par exemple, ou manger une glace dehors. Je pleurais tout le temps comme un bébé. Je me souviens que ma mère nous gavait de bananes et de chocolats parce que ce n’était pas cher. Et puis elle voulait qu’on corresponde au canon arabe de la femme un peu ronde pour être plus faciles à marier plus tard. (rires)

La relation n’a pas toujours été facile avec votre famille et en particulier avec votre mère. Est-ce plus apaisé désormais?

Oui, mon père a été un très bon soutien. Je pense que du côté de ma mère, le problème était plus qu’elle ne comprenait pas ce que je faisais. Maintenant ça va mieux. Elle et ma tante veulent que je me trouve un mari vite fait (rires) mais moi, alors là, c’est le dernier de mes soucis.

Et en Tunisie, il y a eu quelques victoires notamment sur les droits des femmes dans la nouvelle Constitution, même s’ils restent ambigus. Qu’en pensez-vous?

Pour moi, une Constitution qui commence par "Au nom de Dieu" et qui se termine par la formule "cette constitution a été faite grâce à Dieu", ce n’est pas très représentatif d’une Constitution où la liberté de conscience est inscrite aussi.

Et puis après, l’égalité entre l’homme et la femme, c’est peut-être dans la Constitution, mais bon ça ne veut pas dire que ce sera appliqué. Tout le monde parle de ça comme si c’était révolutionnaire, alors que ce sont les mentalités qu’il faut changer. Par exemple, moi en prison, sur les 150 femmes avec qui j’étais, il y en avait une cinquantaine au moins qui étaient des prostituées. Alors que l’on sait très bien, que le problème de la prostitution en Tunisie, c’est aussi du côté des hommes. Tout le monde a entendu parler du "bezness", de ces jeunes garçons qui draguent des vieilles européennes pour avoir des papiers ou de l’argent. Est-ce qu’on les arrête ces jeunes là? Est-ce qu’on parle de la prostitution masculine devant un juge?

Pareil pour l’adultère, mes codétenues qui avaient été condamnées pour "adultère", en fait c’est "adultère par parole". Ce qui veut dire, que c’est juste sur la base des dires de leur mari et d’un pseudo témoignage d’une autre personne qu’elles sont jugées pour adultère. Est-ce que c’est valable dans le cas du mari qui trompe sa femme aussi? Je ne crois pas ou en tout cas, le mari ne va pas jusqu’à la case prison.

Quels sont vos projets après le baccalauréat?

En fait l’argent du livre va me servir à ouvrir un centre d’hébergement pour les femmes qui sortent de prison en Tunisie afin d’aider à leur réinsertion dans la société.

Mon séjour en prison m’a beaucoup servi car j’ai pu voir toutes les difficultés auxquelles les femmes sont aussi confrontées dans leur vie quotidienne. Par exemple sans argent en prison, c’est très difficile de vivre correctement, si vous n’avez pas quelqu’un qui vous apporte un couffin de nourriture. Donc celles, qui n’ont pas de visites ou qui ont été répudiées par leurs familles, doivent se nourrir avec ce qu’on leur sert en prison ou acheter par-ci par-là. Et je peux vous assurer que la nourriture est dégueulasse là-bas.

Donc l’idée c’est d’aider ces femmes et de leur offrir un centre dès qu’elles sortent et d’assurer un soutien moral et financier dans les premiers temps.

Malgré la rupture avec les Femen, vous avez donc l’intention de continuer de vous engager pour la cause des femmes en Tunisie?

Oui, d’ailleurs c’est vraiment ce qui me motive aujourd’hui. Je veux m’engager pour les femmes en prison, les mères célibataires, toutes ces femmes qui sont marginalisées en Tunisie.


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